Chapitre 30 : Spectateur

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Vyrian visualisait de nouveau le Monde Mythique. Il retrouva les trois miliciens, Declan, Wikee et Djima. Les Mysticys se tenaient regrouper dans une chambre spartiate. Le jeune Sage Vagabond était maintenu de force sur le lit. Malgré quelques soubresauts, l’artisane parvint à lui enfoncer une seringue dans l’épaule. Le mage tenta de la retirer. A force d’agitation, du sang se mit à couler le long de l’aiguille. Epuisé, Declan dû s’avouer vaincu, les deux miliciens ne relâchaient pas pour autant leur étau.

Plaqué dos contre le matelas, la cage thoracique du jeune mage se soulevait frénétiquement, accompagnée par les gémissements de l’armature du lit. Vyrian le vit devenir blanc, au fur et à mesure que les rouages de la seringue s’actionnaient, relevant cran après cran le piston qui émit un ultime cliquetis. C’était ce bruit qui avait activé l’omniscience du chercheur.

Vyrian regarda la seringue se remplir d’un fluide transparent à peine visible : la magie de Declan. Le précieux flux récolté, Djima retira l’aiguille du bras du mage qui peinait à rester conscient.

Le biologiste reporta son attention sur le dispositif de l’artisane. Il en observa chaque rouage, en apprécia la complexité, se délecta de l’ingéniosité du système. Chaque piston avait en effet une fonction bien particulière. L’un filtrait la magie des autres composants du sang, tandis que le reste retournait à son propriétaire. Une fois la magie prélevée, un second piston permettait de purifier la magie, de lui retirer tout résidu non mystique qui aurait pu s’y greffer et enfin un dernier traitement rendait visible le liquide. Son dispositif permettait donc de rendre la magie tangible.

Une fois la seringue remplit, elle en versa le contenu dans un cube. La structure s’agrandit au fur et à mesure qu’elle absorbait le liquide. Djima sorti une clef de sa poche et remonta le mécanisme. Un orifice s’ouvrit, le dispositif projeta des gouttelettes de magie pure sur lesquelles dansaient les souvenirs de Declan.

Tous purent voir le jeune homme accéder au rang de Sage Vagabond, suivirent les discussions entre amis et les accolades chaleureuses puis vint l’apparition précipitée de Pitchi. L’expression du jeune Sage s’était alors métamorphosée, l’euphorie qui l’animait avait peu à peu été remplacée par la crainte. Declan s’était rapidement excusé au près de ses amis avant de filer à la poursuite de Pitchi. La petite créature ne cessait de pépier, elle virevoltait pointant du doigt l’herbe calcinée. Declan avait alors analysé le terrain et découvert l’existence d’un portail, il s’apprêtait à en créer un nouveau lorsque les Miliciens l’avaient interrompu.

Djima resta pétrifiée, seuls quelques mots parvinrent à franchir ses lèvres.

— Il est innocent. Il essayait vraiment d’ouvrir un portail pour retrouver son ami ! Vous l’avez agressé pour rien !

Cette dernière phrase s’adressait aux Miliciens. Malgré cela, leur réaction fut minime. La Milicienne ne prit pas la peine de la regarder.

— Les règles étaient simples, tu désapprouvais nos méthodes, tu partais. Qu’attends-tu pour dégager ?

— Mais …

— Mais ? Mais quoi ? Aurais-tu peur de te retrouver seule ? Renies-tu tes principes pour survivre ?

— Ce n’est pas ça !

— Vraiment ? Tu ne cesses de nous juger. Pourtant, au fond nos buts sont identiques, nous voulons comprendre les secrets de ce monde et détruire ceux potentiellement dangereux. N’es-tu pas d’accord ?

— Si.

— Alors maintenant regarde-le bien, t’a-t-il l’air d’une menace ?

— Non… enfin si ! Euh non … Peut-être !

— Très bien, laisse-moi te rafraichir la mémoire. Nos deux ordres ont été crée il y a bien longtemps. La Milice a adopté un caractère indépendant, ne se voulant rattacher à aucun village, la Guilde des Sciences Mystiques à laquellel tu appartiens s’est rattachée au village d’Hemyra pour profiter de leurs technologies. Notre ordre s’est focalisé sur l’offensive, le tien sur la prévention. Initialement, nos deux ordres étaient complémentaires, mais le temps effaça peu à peu ce lien. La Guilde des Sciences Mystiques s’est épanouie en offrant des connaissances et des outils de plus en plus poussés dont certains dépassaient nos simples compétences. Notre ordre a essayé de vous mettre en garde, le savoir des autres mondes n’est pas nécessairement bon !

Vyrian fut choqué par cette nouvelle. Puis peu à peu, il prit conscience des spécificités et similitudes entre les mondes. Il les avait trouvés jusque-là bien équilibrées, mais il s’agissait en réalité d’un apprentissage mutuel. Les Ombres avaient étudié le Monde Mythique et le Monde Historique, les Régisseurs s’étaient limités au Monde Mythique. Les scientifiques du Monde Historique étudiaient les deux autres mondes. Chaque monde devait ses avancées aux autres mondes. Pour la première fois, Vyrian réalisa que ces mondes étaient liés de par la Légende mais également de par leur culture, dans chaque monde se tenait des observateurs qui d’une manière dérobée s’imprégnaient des connaissances d’une autre culture. Ils ne faisaient qu’un.

Le scientifique n’eut pas le temps de plus se pencher sur la question, les décibels grimpèrent rapidement, il reporta son attention sur la discussion.

— Moins fort ! C’est un non-initié, il ne doit pas obtenir de telles informations ! Pis, ce ne sont que des outils ! Ils ne peuvent être tenu responsables des actes d’autrui !

— Bien ! Dans ce cas que penses-tu des InfoTechs ? Tu sais, ces armes qui se souviennent de l’habilité de leur porteur, de leurs aptitudes magiques. Comment y avez-vous eu accès ?

— C’est vieux…

— C’est ce que tu vas dire aux familles des victimes ? Désolé, vous ne saurez jamais la vérité, les événements sont trop vieux, j’étais à peine née.

— Non…

— Bien. Je veux que tu comprennes, ton ordre joue à un jeu dangereux. Certaines de vos inventions dépassent le cadre de simple arme. Vos créations sont des entités à part entière. Par exemple où vont les données récoltées ?

— Nulle part.

— Vraiment ?

— Oui !

— Je n’en suis pas si sûre. Si nous tolérons ta présence c’est en mémoire de l’ancienne alliance qui unissait nos ordres. Nous estimons nos connaissances complémentaires. Apporte-nous ton savoir et nous renterons sauf.

— C’est un accord ?

— Evidemment, que veux-tu que ce soit ?

— J’accepte ! Mais ne le maltraitez plus !

— Tout dépendra de sa coopération.

Sur ces paroles Wikee intervint.

— Une bonne rouste de temps en temps, ça lui fait pas de mal !

En voyant le désaccord entre le mage et le Willefy, Djima eut une idée.

— Dit Wikee, tu ne saurais pas toi par hasard ce qu’il se cache derrière ce portail ?

— Non.

— Vraiment ? J’étais pourtant sûre que tu possédais un savoir inégalable, faut croire que je me suis trompée sur ton compte…

Le Willefy lança un regard noir à la jeune artisane. Intimidée, la jeune femme recula imperceptiblement.

— Ne t’avise pas d’essayer de me corrompre. C’est à ce crétin que j’ai juré fidélité. Pas à la première bécasse venue. Je n’ai certes pas le partenaire idéal mais je respecte mon engagement. Lorsque je l’estimerai digne, c’est à lui et à nul autre que j’apporterai mon savoir !

Djima mit un certain temps à reprendre ses esprits, les paroles de Wikee bien que justes avaient laissés en elle un malaise. Elle avait bien sûr son ExoTempus mais celui-ci ne communiquait pas. Il était encore trop jeune. Il se contenta juste de la caresser le visage dans un signe de réconfort.

La nuit se passa sans autre incident. Au petit matin, la bande fut libérée du logement qu’ils occupaient. Vyrian vit Declan plissé les yeux bien que la luminosité soit encore faible à cette heure.

Avec Ywan pour guide, ils rejoignirent la mairie. Faric les attendait. Plus en retrait se tenait Dungal, Feyna et Pitchi. Vyrian ne vit nulle trace de Dallan et de Fara. Il espérait qu’ils ne leur soient rien arrivé.

Sans plus de formalités, la Milicienne dont le nom échappait toujours à Vyrian rapporta les nouvelles.

— Il dit la vérité.

Faric parut ravi.

— Bien, je communiquerai cette information à la Confrérie. Cette histoire fait grand bruit.

D’un geste de la main, il ordonna à Feyna d’approcher, l’hybride peinait à dissimuler le désir de meurtre qu’elle éprouvait pour le politicien. Néanmoins, elle tentait de faire profil bas. Moins on aurait à lui reprocher, plus elle avait de chance de s’en tirer à bon compte.

Comme convenu Faric lui retira ses chaines. Les mains libres, Feyna s’attarda sur la gorge dégagée du politicien. Vyrian pouvait sentir l’envie la consumer. Pourtant, elle n’en fit rien. Elle alla rejoindre tranquillement le groupe avec Pitchi somnolant sur son épaule.

Dungal voulut s’adresser à son fils. Faric ne lui en donna pas l’occasion.

— Bien, vous traverserez le portail dans ce cas. Il se passe des choses étranges, vous découvrirez de quoi il s’agit.

La milicienne s’inclina sur ses paroles.

— Bien.

Discrètement, Djima vint lui rappeler ses propos.

— Indépendant, c’est ça ?

La Milicienne marmonna entre ses dents.

— Offensif, les nôtres disparaissent, nous les retrouverons.

Sans plus de cérémonie, la séance prit fin. Les deux miliciens encadrèrent Declan.

— Ne te retourne pas. Ne lui laisse pas voir ce que tu éprouves.

Le jeune mage suivit ce conseil avisé. Ils regagnèrent leur logement de fortune et se préparèrent chacun de leur côté aux épreuves qui les attendraient le lendemain. Ce fut Declan qui rompit le silence.

— De quoi parliez-vous tout à l’heure ?

Les deux femmes se tournèrent vers lui au même instant.

— De rien !

Pour la seconde fois, les deux miliciens intervinrent.

— Méfie-toi de ton environnement.

— Mais les Visionnaires ne peuvent avoir accès aux habitations !

— Demande-toi à qui appartient cet endroit.

— Faric.

— C’est plus que probable. Bien que la pièce semble respecter les normes magiques, nous devons rester vigilant. Prends ça.

Certaines données de Mère s’imposèrent à Vyrian. Le scientifique apprit que chaque habitation disposait de protections imperméables aux Visionnaires pour des raisons d’intimité. Malgré cela, Vyrian restait méfiant, il n’était pas le seul. Sans dévoiler le contenu de sa main, l’homme le posa dans la paume de Declan, sans que Vyrian n’ait pu identifier l’objet.

— A chaque fois que tu réaliseras une action active le dispositif. Il brouillera la perception des Visionnaires et leur fera croire une réalité différente mais crédible.

L’expédition partit le lendemain. Toujours affaibli, Declan fermait la marche. Arrivé à destination, Declan se laissa s’effondrer. Wikee s’assit à ses côtés.

— Et dire que je pensais ces gars être les voix de la raison. Les voilà en train de faire la même hérésie que toi ! Créer des brèches entre les mondes nous mènera à notre perte !

Pitchi, l’observa, elle avait repris quelques couleurs aux côtés de Feyna. La Textys, se tendait d’impatience que le portail s’ouvre, elle avait hâte de retrouver Keen’an, hâte d’échapper à cette lente agonie, Vyrian ressentait son désir au plus profond des entrailles.

Le portail finit par s’ouvrir sur le Monde Numérique, les vaisseaux des Régisseurs lévitaient au-dessus de la faille, impérieux. Vyrian devait les trouver avant qu’ils ne tombent entre les mains du clan belliqueux.

Alors qu’il tentait de sortir de cette vision dans le but de prévenir les autres et monter au plus vite une expédition. Il se fit happer par une autre vision.

Il se trouvait dans la maison de Nick, sa mère et son père débattaient du besoin de détruire leur invention.

— Yvias a de plus en plus d’influence. Nous ne pouvons le laisser mettre la main sur cette technologie.

— Mais sans elle comment veux-tu venir en aide à Dallan et Fara ?

— Je l’ignore mon amour. Les paroles que je vais prononcer ne vont pas te plaire, mais… si le sacrifice de nos amis permet d’empêcher Yvias de prendre connaissance de notre portail, alors je les sacrifie.

— Almarran…

Ehmra, l’épouse détourna les yeux. Les inscriptions laissées par Mère étaient toujours visibles sur le plancher.

Du coin de l’oeil, Ehmra vit son mari lui faire signe de se baisser. Elle obéit pressentant le danger. Pendant qu’elle faisait cela, Almarann s’approcha de la porte du grenier, Ehmra le suivit quelques peu en retrait, tapis dans l’ombre, une arme à la main.

Avec un temps de retard, Vyrian perçut les bruits qui avaient alertés le couple. Les bruits de pas approchaient, les intrus ne prenaient pas la peine d’être discrets. Le biologiste en vint à espérer qu’ils pensaient les lieux déserts, donnant l’avantage de la surprise à Almarran et sa femme, mais il en était tout autre.

Le couple de Lastys ayant son attention focalisée sur la cage d’escalier n’avait pas pris attention, aux fenêtres se trouvant dans leur dos. Ainsi exposé, ils faisaient des cibles parfaites.

Almarann ne comprit son erreur que lorsqu’il vit le visage de sa femme terrassé par la douleur et le chagrin.

Almarran et Vyrian ne comprirent sa réaction que lorsqu’ils virent une fleur ensanglantée éclore sur l’abdomen du scientifique. Almarran chancela avant de s’effondrer.

Ehmra eut plus de chance, de vieux meubles l’avaient protégé. Bien qu’indemne, Vyrian sut en voyant les gens pénétrer dans la pièce qu’elle ne s’en tirerait pas à si bon compte.

Yvias fut le dernier à entrer, il arborait un sourire satisfait, semblant attendre cette revanche depuis bien longtemps. Ehmra fit glisser le plus discrètement possible l’arme sous un meuble. Tenter une quelconque action maintenant ruinerait à jamais ses chances de riposter. Pour le moment, elle se rendait mais dès que l’occasion se présenterait, elle riposterait.

Yvias secoua sous leurs yeux un petit boitier, il approcha ses lèvres.

— Ça faisait longtemps.

La voix grave du Capitaine sortit du boitier.

— Patience mon ami, bientôt nous rattraperons le temps perdu.

A ces paroles, Vyrian resta hébété. Même avec toutes les connaissances à sa disposition. Il n’avait su voir ce qu’il se tramait sous ses yeux. Omniscient mais impuissant, il regarda Yvias et son bras droit s’approcher du miroir. Le scientifique renégat se tourna alors vers ses hommes.

— Oubliez pas de nous envoyer les colis.

Emhra regarda son mari. Vyrian comprit sa crainte. Almarran ne pouvait disparaitre du Monde Historique, il était l’un des piliers des scientifiques, sans lui l’ordre s’effondrerait et Yvias gagnerait.

Les hommes d’Yvias ne tinrent pas compte des gémissements d’Almarran ni des pleurs de sa femme. Ils tirèrent le corps du chercheur laissant une trace rougie dans leur sillage.

Ehmra tenta de leur arracher son mari. Les hommes de main d’Yvias perdirent patience suite à ces vaines tentatives. Ils l’attrapèrent par le col et la jetèrent au travers du portail. Almarran la suivit.

A son tour Yvias franchit le portail suivit de son bras droit qui donna les ordres à ces subalternes.

— A nôtre retour, ce monde doit être le nôtre. Souvenez-vous, le changement doit se faire en douceur. Montrez au peuple les points faibles dans le raisonnement des chercheurs et le peuple se ralliera peu à peu à nous.

Sur ces paroles, il franchit à son tour le portail. La vision prit fin. Exilés, habitants des trois mondes, chacun luttait pour ses convictions. Dans ce contexte de violence, les six, ou plutôt sept Exilés réunis, le Projet Trimondes allaient pouvoir débuter.

Encore et toujours, Vyrian demeurait un spectateur.

Il sentit qu’on le soulevait. Bien que drogué, il parvenait à percevoir quelques stimuli de l’extérieur. Il sentit sur sa peau une brise fraîche. Il en fut intrigué, cela ne ressemblait en rien à la chaleur du Monde Numérique.

La brise se fit plus forte. Vyrian tenta de se réveiller, tout son corps se tendait sous la peur mais il ne parvint à ouvrir les yeux.

FIN PARTIE 1

Merci de m'avoir suivi pendant ce périple !

Si vous avez des conseils, recommandations, sur l'ensemble de l'histoire, je vous écoute avec joie !

En espérant vous retrouver pour la seconde partie :)

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