Chapitre 14 : Dilemme

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Dans cette obscurité, Vyrian scrutait Keen’an grâce à sa vision infrarouge. Le jeune homme ne cessait de jeter des coups d’œil à l’entrée des cachots. La pierre s’éclaircissait à vue d’œil sous les rayons du soleil naissant. Fatigué, il bailla.

Le professeur connaissait bien l’état dans lequel il se trouvait, épuisé mais l’esprit ne parvenant à trouver le repos. La journée allait être rude pour lui. Au contraire, aussi surprenant que cela puisse paraitre Feyna était parvenu à trouver le sommeil. L’épuisement devait y être pour beaucoup. Malgré tout, son repos n’était pas aussi réparateur qu’il aurait pu l’être, la jeune femme ne cessait de se débattre dans son sommeil, de faibles gémissements lui échappaient par moment. Vyrian eut de la peine pour elle. D’esclave, elle était devenue prisonnière. Seuls, le mépris et la haine semblaient l’accompagner.

Vyrian entendit Keen’an chercher à contrôler sa respiration, après plusieurs inspirations et expirations successives, il ferma les yeux à la recherche du sommeil tant désiré. Seulement, il n’en eut pas l’occasion. Faric fit irruption dans le cachot. D’un geste dédaigneux, il fit signe à Keen’an de se lever. Le prisonnier obtempéra, les bras toujours liés dans le dos. Pitchi reposait dans l’une de ses mains closes.

Docilement, Keen’an s’approcha de la porte. Au moment de sortir de la cellule, Faric inspecta ses mains. Pitchi prit son envol invisible sous le nez de Faric. Elle ne manqua pas d’enfoncer l’une de ses petites mains légèrement rougeoyante dans les plaies récentes du nouveau maire. Immédiatement, l’homme mit la main à sa joue pestant contre sa peau tiraillée.

Sa plainte réveilla les autres prisonniers, tous purent voir les deux hommes sortirent des chachots. Suffisamment loin des cellules, en retrait du village, Faric s’arrêta et se retourna vers son prisonnier.

— Les habitants m’ont rapporté que tu leurs avais dit que la prisonnière n’était pas une Fusionnée. Ils m’ont également rapporté que Fara avait fait mention du terme « hybride ». Sais-tu de quoi il s'agit ?

Vyrian zooma sur l’image. Cette discussion non officielle à l’écart du village, de nuit, sans témoin se révélait prometteuse. Il regarda Keen’an jauger son geôlier. Face à lui, Faric patientait. Après un profond soupir et un éloquent haussement d’épaules, Keen’an répondit.

— Je l’ignore.

Il s’agissait de la vérité. Rien de plus. Pourtant, il arrivait qu’elle soit moins crédible qu’un mensonge. C’est ce qu’il se produisit.

Faric suspicieux, referma son piège sur Keen’an.

— Bien. J’ai fait quelques recherches sur toi. Il se trouve que tu es un mage déserteur. Pourquoi as-tu fui ta vocation ?

— Je me suis rendu compte que ce n’était pas la vie que je désirai.

— Foutaises. Dans tous les cas je suis un homme juste. Je te donne une chance de me prouver que tu n’es pas un lâche contrairement à ce que tu laisses penser.

Si cette fille n’est effectivement pas une Fusionnée, elle ne m’intéresse pas. Je ne peux pas me permettre de réaliser un exorcisme sur une personne sur lequel, il n’aurait pas l’effet escompté. Je perdrai en crédibilité et donc en pouvoir, inenvisageable.

Au lieu de ça, je te propose de retrouver la Fusionnée et de me l’apporter. En échange je libèrerai cette « hybride ». Bien sûr, comme tout marché, il y a des conditions. La Fusionnée ne devra pas être au courant, tu ne devras pas être accompagné d’une autre personne qu’elle.

— Enflure ! Vous voulez que je la trahisse.

— Que préfères-tu ? Faire endurer des souffrances inutiles à une innocente ou exorciser la véritable Fusionnée ? Je te conseille de ne pas me désobéir. A chaque faux pas que tu feras, c’est ta petite protégée qui en paiera le prix. Alors que choisis-tu ? Aide-moi à accomplir la justice ou observe impuissant tel le faible que tu es, les souffrances d’une innocente.

— Comment osez-vous parler de justice ? Vous n’êtes qu’un manipulateur.

— Effectivement, mais j’obtiens ce que je désire. À ton avis comment en suis-je arrivé à obtenir ce pouvoir ?

— Vous m’écœuré. Le seul homme juste c’est Dallan ! Il est respecté dans tous les villages. Comment ferez-vous pour gagner leur soutien ?

— Je l’obtiendrai ne t’en fais pas pour moi. Quant à Dallan, il n’appartiendra bientôt plus qu’au passé. En attendant tu es sous mes ordres. Rappelle-toi, je connais la sentence qui pèse sur ta tête. Je sais ce dont tu es accusé. Il serait facile de te piéger. Estime-toi heureux que je te laisse le choix, je pourrais très bien t’y contraindre.

— Le choix ?

— Exactement. Où vois-tu une quelconque dissuasion ? Tu peux changer d’avis à tout instant.

De colère, la projection mentale du chercheur explosa. Des tessons de son corps imaginé pleuvèrent sur le sol fictif. Mère observa cette déferlante de fureur. Ce comportement ne correspondait pas à la fiche psychologique du biologiste, elle émit un bip d’erreur.

Vyrian savait que ce tempérament ne lui ressemblait pas. Pourtant, il devait l’avouer, il exécrait les gens tels que Faric. Frustré, venant de perdre son seul moyen d’expression physique avec Mère, il se força à se calmer. Un à un, les débris de son corps fictif se soulevèrent de terre et se repositionnèrent, les morceaux ainsi accoler rendirent à sa projection sa forme.

Le chercheur se força à garder la tête froide bien que les effets de sa récente colère soient encore présents. Son rythme cardiaque ainsi que sa température avaient augmenté. Mère rétablit ses constantes vitales.

Bien qu’il parvenait plus facilement à retrouver sa concentration, ses constantes remises à la normale, cela le dérangeait. Il avait l’impression que Mère le privait d’une part de son humanité, de son droit à s’exprimer.

Néanmoins, il ne dit rien. Il se servit de la nouvelle fonctionnalité, captura l’image de Keen’an et attendit que les informations charges. Pendant ce temps, il scruta le jeune homme. Quelle serait sa décision ? Quel était le choix le plus juste ? Faire souffrir Feyna en vain ne l’était certes pas, mais infliger à Yomi l’exorcisme contre son gré ne l’était pas non plus. Ne connaissant pas la procédure d’une telle technique, Vyrian ne parvenait à trancher sur la décision la plus juste. Il n’avait d’autre choix que de s’en remettre à Keen’an.

Le chercheur observa Faric simuler un bâillement d’ennui. La situation n’était pour lui qu’un jeu. Vyrian contint à grande peine la colère que provoquait la vue de cet individu. Il aurait aimé que Pitchi lui fasse une petite farce. Cependant, la jeune Textys voletait autour de Keen’an regardant l’échange qui se déroulait sous ses yeux perplexe.

Finalement, ce fut Faric qui mit fin au suspense.

— Dépêche-toi de confirmer ton choix. L’aube approche et avec elle le jugement des parents et de l’enseignant de la Fusionnée.

— C’est bon, j’accepte

— Fabuleux. Sur ce je te souhaite une bonne nuit.

Keen’an fut reconduit dans les cachots. Là les visages familiers de Feyna, Fara, Dallan et Dungal l’accueillirent.

Une fois Faric sortit, Keen’an de rage shoota dans une pierre en bordure de sa cellule.

Fara engagea la conversation.

— Que te voulait-il ?

— Une trahison. À l’aube, je n’assisterais pas à vôtre jugement. Faric est déterminé à mettre fin à votre influence. Quant à l’Hybride, elle restera ici jusqu’à ce que je retrouve la Fusionnée.

Vyrian vit l’horreur et l’indignation s’inscrire dans les traits des habitants du village d’Alteryx. Ils comprenaient la trahison que cela impliquait. De son point de vue, le biologiste trouvait la réaction des parents adoptifs et de l’enseignant assez légère. Lui-même ne savait comment il aurait réagi mais il n’était pas non plus convaincu d’accepter que sa fille subisse une torture. L’aurait-il protégé au risque de faire souffrir une innocente ? Une part de lui, répondait « oui ». Qu’était-il advenu de son humanité, de son empathie ? La destruction et la corruption les avaient-elles englouties au profit de l’égoïsme ?

Quoiqu’il en soit, Feyna n’était pas pour autant en sécurité. Dallan l’avait bien compris. Il exposa son plan.

— Faric se doute que quelque chose est anormale chez elle. Nous devons lui créer une nouvelle identité dans le peu de temps qu’il nous reste.

Tous acquiescèrent. Pour plus de crédibilité, ils devaient correspondre le plus possible à la réalité. Vyrian observa Keen’an interroger Feyna sur son passé.

— Qui étais-tu dans ton monde ? Quelle fonction avais-tu ?

Feyna ne se formalisa pas de la situation et répondit franchement.

— Je participais à des combats pour enrichir mon propriétaire.

Elle n’eut pas le temps d’approfondir, Keen’an ne lui en laissa pas le temps.

— D’accord. Tu as un propriétaire, tu sais te battre.

Ce fut Dungal qui trouva la solution à leur problème.

— La Milice, aucune preuve de son existence officiellement. Officieusement, elle est chargée d’éradiquer toute anomalie. En ce moment, elle doit être sur le pied de guerre à cause de l’apparition des Sanctionneurs. Ça pourrait expliquer sa proximité avec le village. Elle pourrait prétendre avoir fait des repérages pour expliquer la situation à ses supérieurs.

Keen’an hocha la tête. Vyrian regarda le passé fictif de la jeune femme prendre forme. Cela lui semblait bien compliqué. Mais surtout, ils pouvaient bien lui inventer la vie qu’ils souhaitaient, sans pouvoir magique, elle ne serait crédible.

Les visages concentrés, le mage apporta une nouvelle indication. Il exposa son idée.

— Un sort de métamorphose interrompu pourrait expliquer son apparence. Ce sont des sorts très longs et complexes. Le sort aurait pu être interrompu lors d’une attaque notamment une attaque de Sanctionneurs par exemple. Le sort incomplet aurait laissé Feyna blessée, le corps bloqué dans un état transitoire. Les siens la pensant mourante ou trop faible pour continuer la chasse l’ont abandonné. Ça pourrait fonctionner auprès de certains villageois, Faric ne sera pas dupe. C’est le mieux que nous puissions faire. Les membres de la Milice ne connaissent ni leur identité ni leur visage. Ils ne laissaient filtrer aucune information sur leur vie privée. Ça reste crédible.

Chacun réfléchit de nouveau tentant d’apporter des modifications ou des compléments permettant à Feyna de ne pas éveiller les soupçons. Ce fut Dallan qui pointa le problème.

— Et si on lui demandait d’utiliser ses pouvoirs ?

Tous les regards se portèrent vers Pitchi. La petite créature semblait savoir ce que l’on attendait d’elle. Encore fallait-il savoir quel pouvoir elle allait accorder. Quel pouvoir pouvait bien correspondre au style de combat de Feyna ?

Keen’an était le plus familier des Textys, il tenta de fournir une réponse.

— Pitchi peut lui donner un pouvoir, mais pas la maitrise qui va avec. Je ne peux pas lui enseigner en si peu de temps, Pitchi non plus… Même en la laissant ici, sans parvenir à se faire comprendre, elle ne sera pas d’une grande aide. Je lui appris à écrire il y a longtemps, encore faut-il que tu saches lire.

Feyna secoua la tête. Cet échange sur le langage intrigua Vyrian. Comment pouvaient-ils se comprendre ? Les similitudes entre les mondes permettaient-ils de communiquer hors des frontières ? Quoiqu’il en soit, les révélations de Keen’an ne plurent pas à la petite créature. Sentant l’abandon arriver, elle se replia sur elle-même, de petits gémissements se firent entendre. Vyrian se rappela la signification pour ces créatures de se faire abandonner : la mort.

Réalisant, ce qui chagrinait Pitchi, Keen’an tenta de la réconforter. Il lui murmura des paroles réconfortantes, mais la petite créature demeurait inaccessible. Elle s’approcha de Feyna, lui toucha la tête, une lueur parcourue la jeune femme puis s’estomba. Sa tâche accomplie Pitchi s’isola. Vyrian ignorait ce à quoi avait pu penser le mage. Il pensait peut-être que son périple soit de courte durée, ou bien que Pitchi et Feyna pourrait communiquer par écrit. Au final, rien de tout ça ne s’était concrétisé. Malgré tout, il avait peiné la Textys.

Le soleil poursuivit sa course dans le ciel ne tenant pas compte des états d’âmes des prisonniers. A présent haut dans le ciel. Le temps qui leur était imparti touchait à sa fin. Faric entra dans le cachot. Keen’an sortit en dernier et fut mis à l’écart. Une fois à l’extérieur du village, on lui retira ses liens. Libre, il partit en courant.

Des bourrasques ralentirent sa progression. Il redoubla d’effort. Ses pas le menèrent là où tout avait commencé. Vyrian le vit zoner dans les parages, le jeune homme ne semblait pas savoir ce qu’il cherchait lui-même. Alors qu’il semblait sur le point d’abandonner son tatouage s’embrasa. Un cadran se superposait à présent sur l’étrange symbole. Un point scintillait sur le cadran. Souffrant, les membres tremblants, de la sueur coulant le long de ses yeux, Keen’an tenta de suivre le signal. Le cadran changea alors, le jeune homme s’approcha un peu plus. Le paysage devant lui sembla onduler, il s’apprêta à le franchir. Le craquement d’une brindille le fit se retourner, là sous ses yeux, à quelques pas de là. L’ombre d’une personne dépassait du couvert des arbres.

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