Chapitre 12 : Méprise

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Vyrian regarda s’avancer les deux nouveaux venus sous la surveillance des villageois. Les poignets liés et le regard écarquillé, Feyna ne cessait de scruter les environs. Vyrian connaissait cette expression, il l’avait lui-même arboré. Les traits de la jeune femme s’étiraient d’incrédulité. Elle n’allait pas tarder à comprendre à quel point ce monde était trompeur.

Arrivés devant le reste des villageois, le groupe s’étant séparé en deux, les chefs respectifs se saluèrent.

— Azan, nous l’avons trouvé ! Tu peux dire à tes hommes d’arrêter les recherches, nous rentrons.

Le dénommé Azan s’avança, scruta Feyna avec attention. Tous les regards convergèrent vers lui, en attente de son verdict. Sans concession, le jeune homme remit en question le jugement de son collègue.

— Ywan, es-tu sûr qu’il s’agisse bien d’elle ? Elle semble différente …

— Bien sûr qu’elle l’est !

Sa fiabilité remise en cause, Ywan tira violemment la tête de Feyna en arrière. Elle se débattit sans succès. Son tortionnaire exposait à tous ses oreilles pointues. Il l’a fit tourner sur elle-même afin que tous puissent admirer sa difformité. Vint ensuite le tour de sa queue. L’homme tira dessus sans ménagement arrachant un rugissement à la jeune femme. Feyna semblait à la fois furieuse et honteuse. L’homme s’en amusa.

— Alors ma belle, on assume pas ses difformités ?

Pour toute réponse Feyna lui cracha au visage. Ce qui lui valut un coup de genou au ventre. La jeune femme se plia en deux expulsant l’air de ses poumons. Remise du choc, elle se redressa, le regard fier, de la salive s’écoulait de la commissure de ses lèvres.

Ywan s’essuya le visage, bâillonna Feyna et s’adressa à l’assemblé. Ce n’est qu’à ce moment-là que Vyrian le reconnut. Il s’agissait du fervent admirateur de Faric qui s’était auto-proclamé porte-parole des villageois.

— Avez-vous déjà vu d’autres créatures semblables ?

De toute part les villageois secouèrent la tête. Il continua.

— Alors oui, Yomi parait différente. Elle n’est plus la fille que nous avions connue. Aurait-elle essayé de nous attaquer sinon ? Non. Beaucoup de choses, ont changé chez elle. Son comportement et son physique n’en sont que des exemples. Il ne reste plus d’elle que le nom. Elle a même renié les couleurs de son village, pour les troquer contre cet accoutrement vulgaire !

Azan choisit ce moment pour interrompre son collègue.

— Je fais appel à votre jugeote. Nous avons tous vu Yomi brandir son arc, mais avez-vous fais attention à sa tenue ? Etait-ce la même qu’à présent ? Si ce n’est pas le cas, à quel moment aurait-elle bien pu la changer dans sa course ?

Vyrian vit l’expression des villageois se modifier. Le duel qui se tenait sous leurs yeux les dépassaient. D’un côté, on leur offrait une solution rassurante, ils avaient retrouvé la bannie. D’un autre côté, on leur soumettait une idée qui remettait en cause leur acte. S’il ne s’agissait pas de Yomi, de qui s’agissait-il ?

Le chercheur comprenait le problème dans lequel ils se trouvaient. Bien qu’il saluait l’initiative de d’Azan, il n’était pas sûr de vouloir que les villageois entendent raison. Admettre qu’il ne s’agisse pas de Yomi, les forceraient à s’interroger sur la provenance de Feyna. Si elle leur révélait qu’elle avait changé de monde, cela ne ferait que donner encore plus de crédit à la légende.

Vyrian était attristé par sa façon de penser, mais bâillonner Feyna était ce qu’il y avait de mieux pour la sauvegarde des mondes. Ainsi, aucune information ne risquait d’être divulguée. Cependant, il ne comprenait pas l’indifférence de Nick quant à la situation. Placide, les mains rougies de sang, il attendait.

Le biologiste ne se souvenait pas du jeune homme comme étant observateur, il se souvenait plutôt de lui comme quelqu’un d’impulsif. Or, là son comportement était tout autre. Que s’était-il donc passé ? Une idée lui vint.

— Mère, changez de point de vue, placez-vous dans le dos de Feyna.

La vue changea immédiatement. Là Vyrian vit, une plaie récente. Nick avait donc soigné Feyna. Mais que s’était-il passé durant son absence ? Vyrian se doutait que Nick et Feyna avait changé de mondes, grâce à la technologie mise en place lors du Projet Trimondes. Pourtant, cela n’expliquait pas tout.

— Mère qu’ai-je loupé ?

Les dimensions de la projection changèrent, le biologiste n’avait plus qu’accès aux événements du Monde Mythique dans un onglet à gauche de son champ de vision. A droite, un nouvel onglet s’ouvrit. Vyrian y reconnut la pièce recouverte de draps blancs qu’il avait aperçu plus tôt. Les événements des deux mondes défilèrent sous ses yeux.

A gauche, il vit Ywan délacer sa chemise, écarter les bords de son col et exposer à la vue de tous l’emblème du village d’Alteryx tatoué sur son torse. Il s’approcha de Feyna, fit glisser les cordons de cuir qui maintenaient fermés son chemisier, rabattit le tissu et dévoila à tous le haut de la poitrine vierge de la jeune femme.

— Le seul indice fiable est son manque d’appartenance à un village.

Les murmures naissants furent balayés par cet argument. Involontairement, Feyna fournit à Ywan un argument supplémentaire. En le fusillant du regard, l’homme remarqua ses pupilles fendues. Il lui enserra la tête. L’empêchant de se débattre, avec son index et son pouce, il souleva les paupières de la jeune femme afin que tous puissent voir ses pupilles fendues. Une fois cela fait, il la relâcha se tournant vers son opposant. Devant ses arguments le visage d’Azan se crispa. Il ne dit rien.

La logique venait de perdre contre l’émotivité. Ils prenaient Feyna pour une Fusionnée. Azan avait tenté de leur ouvrir les yeux. Pourtant le danger que représentait les Fusionnés avait obstrué la logique. D’ailleurs en quoi les Fusionnés représentaient-ils une menace ? Dans un monde où les créatures mythiques et l’humanité se côtoyaient, être une Fusionnée ne devrait-il pas être le niveau d’harmonie parfait ?

Un nouvel onglet s’ouvrit en bas de la projection avec pour titre « Histoire et évolution des Fusionnés ». Sachant pertinemment qu’il ne pourrait être attentif aux trois onglets simultanément, Vyrian choisit ce moment où les villageois étaient rassurés dans leur conviction pour visionner les événements qu’il avait manqué dans le Monde Historique.

L’enregistrement prit l’intégralité de la projection et se rembobina. Dans un petit encadré en bas à gauche, Vyrian pouvait continuer de visualiser les événements du Monde Mythique. L’histoire des Fusionnés lui était accessible à partir de de ce qui ressemblait à un raccourci.

Une fois la séquence rembobinée, l’image se scinda en deux parties. A gauche, se tenait Nick la dernière fois qu’il l’avait vu et à droite, Feyna qui s’apprêtait à regagner l’obscurité des bas quartiers.

Tous deux avançaient l’expression grave. Au moment où Nick hésita sur le pas de la porte de la maison familiale, une main se plaqua contre la bouche de Feyna, une seringue pénétra sa peau, elle s’évanouit. Son agresseur la jucha sur son épaule, escalada une maison et ainsi de toit en toit se dirigea vers la maison de Nick.

Après plusieurs hésitations, Nick se décida à franchir le seuil de la porte. Ses parents apparurent, l’anxiété qui apparaissaient sur leurs traits fut remplacée par de la joie, Nick fut enlacé par sa mère. Son père resta en arrière, souriant chaleureusement. Vyrian décela de la honte dans le comportement du jeune homme. Ses yeux restaient rivés sur le sol lorsque ses parents lui parlaient. Après une énième profusion d’amour et de soulagement, Nick fut entrainé au grenier, Vyrian reconnu la pièce recouverte de draps blancs. Au même moment, le ravisseur de Feyna se tenait tapis derrière un arbre mort de la propriété.

Vyrian regarda Almarran et son épouse dévoiler à Nick un étrange miroir. Pendant ce temps-là, Feyna reprenait connaissance. Les explications fusaient d’un côté, les coups pleuvaient de l’autre. Intérêts, connaissances, rivalités s’exprimaient en cette nuit.

L’affrontement qui opposait Feyna à ce qui n’était autre que l’homme de main d’Yvias s’acheva lorsque la jeune femme s’arma d’une pierre qu’elle trouva dans l’herbe et la lança en direction de la maison. Un carreau se brisa, des bris de verre se répandirent sur le sol.

Alerté par le bruit, les explications prirent fin. Almarran, envoya un guide d’utilisation de l’étrange miroir sur le Tempus de son fils, avec pour seule consigne : « Si tu veux nous contacter sert-toi du manuel que je t’ai fourni. Toutes les informations s’y trouvent, qu’il s’agisse de notre projet, de cette technologie, ou bien de nos alliés. »

Les parents laissèrent leur fils seul, perdu face à l’étrange dispositif. Lorsque les bruits de pas cessèrent dans les escaliers, Nick sembla sortir de son mutisme, il se dirigea vers la fenêtre. A l’extérieur, il vit un homme ramasser un morceau de verre et perforer l’abdomen d’une seconde personne.

Pour plus de précision, Vyrian se concentra sur la partie de droite. Il vit Feyna chanceler, du sang s’écoulait de son ventre, alors qu’elle reculait, l’homme la transperça dans le dos. C’est à ce moment-là que sortirent les parents de Nick, en les voyant, l’homme fuit, laissant Feyna à son hémorragie. Elle s’effondra. Almarran la monta à l’étage.

Les deux parties de l’écran fusionnèrent, emplissant l’intégralité de la projection. Vyrian vit Nick reconnaitre Feyna. Il tenta de convaincre ses parents qu’il s’agissait d’un piège, pourtant bien qu’étant au courant de cela, leur réponse fut immuable : ils changeraient de mondes.

Ainsi Nick et Feyna traversèrent le miroir. La projection prit fin. Vyrian jeta un coup d’œil au Monde Mythique, les villageois débattaient encore. Mais ce n’était pas ce qui l’intéressait. La mémoire à présent rafraichit, il tourna son attention sur Nick. Ses doutes étaient fondés. Il ne s’agissait pas du Nick du Monde Historique. Le jeune homme qui se tenait devant lui n’avait rien de chétif, sa musculature donnait du relief à sa peau tendue. La petite créature qui virevoltait à ses côtés ne faisait que renforcer la découverte du professeur. Il s’agissait du Nick originel. Mère apporta quelques éléments de réponses au chercheur.

— Comme tu t’en doutes Nick est le second Exilé. Ayant été élevé par la Confrérie, une nouvelle identité lui fut donné : Keen’an.

— Qu’était-il arrivé au clone ? Nick et Feyna ont quitté ensemble le Monde Historique, où est-il ?

— Selon toute vraisemblance, s’il ne se trouve pas dans ces deux mondes, il ne reste qu’une possibilité.

— Le Monde Numérique …

Qu’avait-il bien pu se passer ? Pourquoi se retrouvaient-ils séparés ? Feyna avait-elle comprit qu’il ne s'agissait pas de Nick à ses côtés ?

A voir les regards qu’elle lui lançait, Vyrian n’en était pas sûr. Feyna semblait attendre quelque chose de sa part. Probablement mettre fin à la confusion qu’ils faisaient entre elle et Yomi, seulement Keen’an ne pouvait lui fournir une telle aide, ne la connaissant pas, cela lui était impossible.

Le jeune homme ne semblait pas approuver les méthodes des villageois. Vyrian l’avait vu à plus d’une reprise froncer les sourcils devant le traitement réservé à Feyna. Chose étrange, il ne semblait pas choquer d’apprendre que la jeune femme ne possédait aucune bénédiction.

Lorsque l’un des villageois le désigna et demanda aux responsables qu’est-ce qu’il comptait faire de lui, un nouveau désaccord naquit entre les leaders.

— Nous allons le libérer. Il n’a rien à voir avec toute cette histoire. Nous avons rempli notre objectif. Ramenons Yomi afin qu’elle soit exorcisée du mal qui l’habite. Espérons seulement, que nous ne commettons pas une grave erreur.

Piqué au vif, Ywan riposta.

— Il est tout aussi coupable, puisqu’il se trouvait en présence de la Fusionnée et n’a fait aucune démarche quant à son statut.

La petite créature refit son apparition, se dressant entre son maitre et Ywan. Vyrian put l’étudier pour la première fois. Son corps n’était que volute d’énergie, une étrange sonorité émanait d’elle : « Pschii, Pschii, Pschiiiiii ». Ywan ne se laissa pas impressionner et envoya valdinguer la petite créature d’une pichenette avant de saisir le poignet de Keen’an.

— Vous n’auriez pas dû faire ça.

La petite créature revint à la charge. Son corps n’était à présent qu’une masse enflammée virevoltant dans les airs. Agile, elle encercla les villageois dans un cercle de feu.

Occupés à éteindre l’incendie qu’elle avait provoquée, les villageois ne la virent pas libérer Keen’an et Feyna. L’hybride se saisit de l’opportunité et attaqua la première personne à sa portée. Keen’an quant à lui restait en retrait évitant les attaques d’Ywan sans difficulté. Entre deux assauts infructueux, il se tournait vers Feyna.

— Ce n’est pas de cette façon que tu vas te faire innocenter.

Surprise la jeune femme, n’esquiva que partiellement la flèche qui la frôla. Elle trébucha et fut saisit par un sort d’attache. Un des villageois venait d’activer un parchemin. Des chaines sortaient de terre et liaient Feyna.

Keen’an poussa un profond soupir, attrapa la petite créature et la sermonna.

— Tu ne penses pas que tu en as assez fais ?

La petite créature se débattit, lançant une série de pépiements incompréhensibles et repartit embraser le paysage.

— Pitchi ça suffit. Tu nous attires des ennuis.

Lassé, Keen’an se décida à contre-attaquer. Il envoya successivement les membres du village au tapis. Vyrian eut du mal à comprendre qu’il modifiait son environnement. Là où il se trouvait peu de temps avant, le sol disparut, un villageois se retrouva piégé. A un autre moment, il écarta les bras, entre ses paumes apparurent un baton fait d'air. Keen'an avait modifié la densité des molécules pour rendre le tout plus consistant. Sa maitrise du combat était incroyable, son habilité à la mgie exceptionnelle. Les villageois tous à terre, il éteignit le feu d’une torsion de poignet et prit la parole.

— J’ignore qui est cette fille mais elle ne peut en aucun cas être une Fusionnée. Sa puissance vous aurait terrassée depuis longtemps. Laissez-la partir, elle n’a rien à voir avec vos histoires !

Ywan se redressa lentement, chancelant.

— Ça c’est au chef du village d’en décider !

— Très bien emmenez-moi voir Dallan, il a toujours été sage !

— Son règne est fini, Faric gouverne.

L’expression de Keen’an se troubla. Il se laissa enchainer et calma Pitchi, la petite créature à présent calmée tournoyait joyeusement au-dessus de sa tête. Son bâillon étant tombée dans la lutte, Feyna saisit l’occasion.

— Nick.

— Tais-toi. Pour ton bien ne dit rien.

Feyna n’eut pas le loisir de l’interroger, un nouveau morceau de tissu entravait ses paroles. Le reste des villageois se remit debout et se dirigèrent vers Alteryx.

Vyrian n’en revenait pas de la démonstration de force de Keen’an. Etait-ce donc de cela qu’était capable les Exilés ? Il avait assisté à la maitrise de l’arme de Yomi mais n’avait pu la voir en combat réel. Il ne doutait pas que la jeune femme était redoutable, mais la maitrise de Keen’an était tout autre, il matérialisait des armes en partant de rien. Leur origine leur donnait-elle une sensibilité différente aux autres mondes ?

Quoiqu’il en soit, Vyrian ne tarderait pas à avoir la réponse, deux des six Exilés étaient apparus. En attendant, il se concentra sur l’onglet clignotant de l’histoire des Fusionnés.

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