Chapitre 11 : Prise de conscience

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Le patchwork de pensées dans lequel Vyrian avait pris l’habitude d’évoluer avait fait place à une unique pensée. La tristesse unanime déferla dans son esprit. Isolé, le chercheur savait qu’il n’éprouvait qu’une infime partie de la peine ressentit par les siens.

Pour autant, il se sentit suffoquer, étouffer par ce déferlement de douleur. Peu à peu, il parvint à identifier l’origine de toute cette souffrance. Des membres de leur communauté venaient de les quitter. Pire les rescapés les avaient senti agoniser, assistant impuissant à la disparition des leurs.

Vyrian déglutit difficilement. Il ne connaissait que trop bien la raison de leur trépas. Fébrile, il ne pouvait détacher son esprit d’une cruelle réalité : il était responsable de leur deuil.

Des larmes perlèrent de ses yeux, sa respiration se fit rauque. Le constat était déplorable, il s’était cru différent des siens, différent d’Almarran, d’Yvias. Il n’en était rien. Tout comme eux, il avait tu la vérité, prétendant agir pour le bien d’autrui.

A présent, les premiers sangs étaient versés, aucun retour en arrière n’était possible. Garant d’un secret trop lourd pour lui, Vyrian sentit ses mains devenir poisseuse. Aucun fluide ne s’y trouvait, pourtant le chercheur pouvait sentir la viscosité du sang encore chaud sur ses mains. Bien sûr, il n’en était rien, il le savait. Pourtant le constat était le même, il avait tué. Involontairement certes mais cela ne l’absolvait en rien de son crime. Il devrait vivre avec, assumer le mensonge responsable de cette situation.

La mort dans l’âme, Vyrian replongea dans ses souvenirs. Il y avait bien longtemps, avec ses confrères ils développaient un moyen de communication permettant aux autistes d’échanger avec leur environnement. La fin du monde marqua l’arrêt du projet.

Leurs recherches n’eurent pas le temps de prendre la poussière. Compte tenu de la situation, leur projet avorté se révéla être une aubaine pour l’humanité.

En essai clinique de phase deux, Télépathie® était un dispositif composé d’un casque et d’un convertisseur électrique. Après des premiers essais concluants le dispositif stimulait les zones du langage permettant ainsi au patient de communiquer avec son entourage. Les premières données étaient encourageantes seulement des réserves avaient été émise quant à l’utilisation d’un tel dispositif sur le cerveau.

L’intérêt du dispositif reposait sur le couplage potentiel avec de nombreux outils de mesures dont un électrocardiogramme et un fluide d’hibernation permettant de conserver le corps. Télépathie® pouvait donc leur être d’un grand secours. Mère fut conçu à cette époque comme contre-sécurité au dispositif.

Seulement l’utilisation d’un tel dispositif sur une si grande population ainsi que sur une durée de temps indéterminée représentait un saut dans l’inconnu. Par peur d’apeurer la population, Vyrian et les siens déclarèrent procéder à une grande campagne de vaccination afin d’aider le corps à résister aux conditions difficiles.

Le casque fut amélioré, la parole n’était à présent plus nécessaire pour communiquer, cet état fut appelé état de Télépathie en référence à la littérature. Une fois la population équipée du dispositif, plusieurs défauts virent le jour. Le plus important fut la saturation du réseau, les pensées étaient communiquées à tous. Le réseau n’étant pas conçu à la base pour autant d’individus, des imperfections étaient à craindre.

Le second défaut, le plus craint, fut l’utilisation constante du casque qui à force de stimulations cérébrales lésait le cerveau. Vyrian venait d’en avoir la preuve. Deux rescapés venaient de décéder d’un AVC hémorragique. Peu de chance de survie, les tissus s’étaient lésés, répandant du sang dans l’encéphale, comprimant les structures intactes, qui à leur tour déversèrent du sang jusqu’à causer la mort.

Vyrian se méprisait pour cela, ils connaissaient les risques mais n’en avaient pas informés la population. Son entourage périssait tandis que lui survivait, son esprit à l’agonie, ses émotions bafouées.

Par prudence, il intériorisa sa peine, sa souffrance, sa colère, aucune émotion ne devait transparaitre. Il ne pouvait attirer l’attention des autres au risque de voir ses sacrifices mis à mal. Les habitants de devaient rien savoir à propos de Télépathie®.

Le biologiste façonna ses émotions en vue d’une prochaine confrontation avec Mère, il espérait ainsi mettre à mal la logique binaire de l’intelligence artificielle.

Maintenant qu’il évoquait son nom, Vyrian se rendit compte que la présence de l’IA était plus ténue. Avec horreur, il comprit qu’elle avait repris son observation du Monde Historique sans lui. Semblant percevoir le cheminement des pensées du chercheur, Mère l’interpella.

— As-tu fini ton deuil ?

Cette sollicitude feinte n’atteignit pas Vyrian. Il voulait se soustraire au désespoir ambiant, replonger dans le Monde Historique, reprendre là où il s’était arrêté.

Mère perçu son désir. Vyrian reçut les stimuli qu’elle lui envoya, il se retrouva dans un grenier. La pièce était remplie d’objets en tout genre recouverts de draps blancs, seul un miroir adossé au mur échappait au linceul qui recouvrait la pièce. Un courant d’air souleva l’un des draps, Vyrian put y voir graver à même le sol « Danger Monde mythique. Sauver Dallan et Fara ». A la vue de cette inscription, le sang du scientifique se glaça. Une seule personne avait pu écrire ce message, seulement, elle n’aurait pas dû l’être. Vyrian regarda Mère attendant sa réaction. Comment justifierait-elle sa trahison, elle n’était sensée intervenir pourtant elle l’avait fait. Comment avait-elle pu enfreindre son code ?

Aucun tressaillement analogique n’apparut. Vyrian soupira, quoiqu’il se soit passé dans cette pièce, il arrivait trop tard. Les dés étaient jetés, il ne pouvait changer la situation. Mère perçue la résignation du chercheur.

L’intelligence artificielle avait accompli la requête de Fara, Almarran allait être prévenu. Vyrian se sentit faible, inutile peu importe le monde qui défilait sous ses yeux, il n’avait rien pu faire, simple spectateur d’une souffrance qu’il aurait aimé pouvoir éviter.

Une fois de plus sa vision ne devint que grésillements, les vastes plaines du Monde Mythique se tenaient devant lui. Le chercheur éprouva un pincement au cœur. La beauté des lieux n’avait pas changé néanmoins, elle ne parvenait à lui faire oublier l’horreur qu’il y avait vu.

Mère survola le paysage d’Alteryx, s’engagea dans la forêt. Là Vyrian reconnu Yomi. La jeune femme avait les yeux rougis, elle caressait distraitement Xam. Le pelage crotté le jeune Xyleras se redressa à l’arrivée de Vyrian. Il semblait attendre de sa part une réponse. Vyrian détourna les yeux. Plus tôt, il avait juré vouloir protéger les mondes, son envie n’avait pas faibli, mais la réalité l’avait rattrapé. Quelle influence pouvait-il exercé sur les mondes ? Comment parvenir à les aider ?

Pathétique, le scientifique regarda du coin de l’œil Yomi ramener à elle Xam, se faisant une feuille tomba de sa poche, atterrit dans une flaque non loin de là. Etonnée, la jeune femme la ramassa vivement. La feuille imbibée d’eau était devenue translucide, l’encre coulait, perlant dans la flaque. Au travers le scientifique parvint à déchiffrer ce qu’il restait du texte : « Je tiens à m’excuser de la façon dont j’ai agi, tu ne méritais pas un tel traitement mais je n’ai pas eu le choix, je devais agir. Je t’ai donc assommé et légué les secrets du Monde Mythique. Je m’en veux tellement de ne pas être là pour t’apprendre comment avoir accès à ces connaissances. Je t’ai laissé seule, livrée à toi-même. J’espère que tu me pardonneras… ». La suite du message était illisible.

Des larmes ruisselèrent sur les joues de la jeune femme, suivant le chemin tracé par les précédentes. Vyrian aurait aimé pouvoir Lui apporter un peu de réconfort. Semblant, capter son intention Xam se tourna vers lui, sans être agressif, son regard lui fit comprendre que quoiqu’il veuille tenter il valait mieux pour lui qu’il n’ajoute pas de la peine à Yomi. Bien que le jeune Xealeras ne pouvait l’atteindre, Vyrian se sentit intimidé.

Des cris se firent entendre, des villageois apparurent. Ils désignèrent Yomi du doigt et se mirent à courir dans sa direction. Des armes de lancer terminèrent leur trajectoire non loin de sa position. La jeune femme récupéra son arme. A sa vue, Vyrian se souvint qu’elle l’avait laissé tomber lors de la tentative de sauvetage de sa sœur. L’arme à présent abimée se trouvait dans les mains de la jeune femme, le dispositif enclenché, la structure s’assouplit, une flèche se matérialisa. Yomi resta ainsi les bras tremblants. Une mince fissure commença à se propager le long de la structure. Yomi n’en tint pas compte. L’arc bandé, la flèche encochée, elle maintient sa position. Elle se mordit les lèvres, relâcha ses bras et s’enfonça dans la végétation. Xam la talonna. Les villageois s’élancèrent à leur poursuite. La traque avait commencé.

Vyrian observa la folle course poursuite qui se déroulait sous ses yeux. Yomi avait beau avoir eu l’avantage de la surprise, les villageois ne cessaient de gagner du terrain. Fuir n’était qu’une solution temporaire. Il lui fallait un plan, une échappatoire.

Les tentatives de capture s’enchainèrent, Yomi esquivait au dernier moment poursuivant sa course. Progressivement, elle augmenta la distance la séparant de ses poursuivants. L’attraper leur demandaient de cesser leur course au moment où ils pensaient la tenir.

Yomi profita de ce répit tournant la tête de droite à gauche à la recherche d’un refuge. Tournant sur elle-même, elle obliqua. La jeune femme grimpait à présent une pente ardue. Arrivée à son sommet, un élément du décor intrigua Vyrian et Yomi. La jeune femme s’y dirigea.

Deux personnes entrèrent dans son champ de vision. Elle les vit disparaitre derrière une brèche. Intriguée Yomi se rapprocha. Elle observa la brèche se refermer progressivement, seules des cendres incandescentes voletaient dans le ciel. Le Monde Numérique comprit le chercheur.

Un dernier coup d’œil en arrière convainquit la jeune femme, elle n’avait pas de meilleure opportunité. D’un saut, elle franchit la brèche qui se referma derrière elle.

Les habitants arrivèrent quelques instants plus tard, essoufflés. Ils entreprirent de pister les traces de pas. Pendant ce temps, Vyrian se tourna vers Mère.

— Tu n’aurais pas oublié de me dire quelque chose ?

L’intelligence artificielle resta muette.

— Tu peux me dire comment les habitants du Monde Numérique font pour changer de mondes ? Il s’agit bien de ça n’est-ce pas ? Fara et Dallan viennent du Monde Numérique.

Mère entreprit de le corriger.

— Tous les habitants du Monde Numérique ne possèdent pas cette aptitude, uniquement le peuple auquel appartiennent Dallan et Fara.

— Pourquoi donc ?

— Parce que tes prédécesseurs l’ont voulu ainsi. Les scientifiques Stein, Newt et Willis sont parvenus à pirater mes systèmes peu de temps après avoir découvert l’état préoccupant du Monde Historique. Ne pouvant agir eux-mêmes, ils ont décidé de recourir à un intermédiaire.

Leur ayant présenté les différentes civilisations peuplant les trois mondes, ils ont jeté leur dévolu sur le clan des Ombres. Comme ce clan avait pour vocation d’apprendre les secrets de son monde.

Les scientifiques m’ont piraté, sont entrés en contact avec ce clan. Ayant 20% de ressemblance, la communication fut difficile mais envisageable, ainsi comme preuve de leur bonne parole ils ont partagés ma capacité à voyager entre les mondes à ce peuple, en échange il leur était dévoué. C’est ainsi que huit des leurs partirent dans le Monde Historique pour sauver les nourrissons. Seulement, leur bonne volonté nuisit au Projet Trimondes, ce sont eux qui sont responsables des questionnaires ayant circulés.

Vyrian ne dit rien pendant de longues secondes, intégrant ses nouvelles informations. Une idée lui vint. Elle déplut à Mère.

— Ne t’avise pas de tenter de me pirater. Cela est impossible. Tu en mourrais.

— Dans ce cas pourquoi ne pas nous attribuer la capacité de voyager entre les mondes ?

— C’était effectivement une possibilité mais votre intervention bloqua le protocole.

Des cris mirent fin à la discussion. Les villageois revinrent avec deux prisonniers. Vyrian laissa son désespoir s’exprimer.

— Non, pas eux…

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