Chapitre 10 : Renégat

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Vyrian ne parvenait à s’expliquer la situation. Plus il en apprenait sur les mondes, plus il lui semblait étrangers. Les événements s’enchainaient mais il ne parvenait à les appréhender.

Ces informations décousues le laissaient pensif. Comment ses prédécesseurs étaient-ils intervenus dans le Projet Trimondes ? En quoi l’avaient-ils saboté ? Quel rôle Fara et Dallan y avait joué ? Le chercheur ne parvenait à s’expliquer l’influence du couple. Pourtant, celui-ci semblait y avoir une importance cruciale. Le biologiste était à présent sûr que l’adoption de Yomi ne devait rien au hasard.

Mère l’observa. Vyrian tentait de rationnaliser la situation, les hypothèses se succédaient mais aucune certitude ne fut émise.

Frustré le chercheur reporta son attention sur Nick. Le jeune homme avançait d’un pas déterminé. Il emprunta une étroite ruelle que Vyrian n’était pas parvenu à distinguer lors de son arrivée dans le Monde Historique.

Les épaules du jeune homme frôlaient les parois égratignant le tissu le recouvrant de crasse. L’air ambiant était saturé de fumée. Si Nick ressentait un quelconque désagrément quant à la situation, il ne le montra pas.

Vyrian comprit que le jeune homme venait de pénétrer dans la zone défavorisée de ce monde. Bien que ne s’y trouvait pas, le chercheur fut pris d’une quinte de toux. Ses poumons irrités par les stimuli que lui envoyaient Mère.

Etouffant, Vyrian regarda l’Historian déterminé poursuivre son chemin. Plusieurs heures s’écoulèrent avant qu’il n’admette être perdu. Furieux, il déversa toute sa colère contre un mur. Essoufflé, perdu, crasseux, Nick était misérable. Il se laissa tomber au sol ne se préoccupant pas de l’urine qui serpentait entre les pavés.

Le professeur peinait toujours à reprendre son souffle, une ombre attira son attention. Fruit de son imagination ou réalité, il la regarda se déplacer de mur en mur avec aisance. Arrivée devant Nick l’ombre se cacha. Le jeune homme la tête baissée, regardait distraitement le flot jaunâtre se contentant d’écarter ses pieds de sa trajectoire.

Avant que Nick ne puisse y soustraire son regard, l’ombre refit son apparition. Des bras lui comprimèrent la trachée. Il lutta… pour l’amusement de son agresseur.

Un rire cristallin retentit. Une fille sortit de l’ombre. Vyrian interrogea Mère.

— Qui est-elle ?

— Je l’ignore. Elle n’a aucun lien avec le projet Trimondes.

Malgré cela, Vyrian ne parvenait à croire à une simple agression. Du peu qu’il était parvenu à comprendre du Projet Trimondes, il avait retenu que les coïncidences n’existaient pas. Tout avait soigneusement était planifié des années auparavant. Il ne lui restait plus qu’à découvrir les motivations de la jeune femme.

Nick tenta de prendre la parole mais l’air se bloqua dans sa gorge. Il manqua de s’étouffer. Un sourire satisfait étira les lèvres de la jeune femme.

— Ne fait pas cette tête. Tu devrais de nouveau pouvoir parler bientôt. En attendant c’est moi qui pose les questions. D’abord que fait un type comme toi ici ? Regarde-toi ! Faible, vulnérable, tu n’as pas ta place ici. Je te repose la question que viens-tu faire dans les bas quartiers ?

Le ton de la fille était menaçant, elle le scrutait, analysait chacun de ses mouvements. Un couteau papillon apparu dans sa main. Intimidé Nick ne trouva pas ses mots, ses problèmes d’élocution n’arrangèrent pas son cas, il ne put que bégayer.

— Je…Je cherche…

Bien qu’il s’applique à prononcer chaque mot séparément, des quintes de toux l’empêchaient de s’exprimer convenablement.

Agacée, la fille reprenait ses phrases, le poussant à continuer.

— Tu cherches… Que cherches-tu ?

Le chercheur vit le jeune homme se recroqueviller sur lui-même, bien que mince la jeune femme n’en demeurait pas moins intimidante. Manquant une nouvelle fois de s’étouffer Nick lui montra la carte de visite qu’on lui avait laissé.

À en juger par la réaction de son interlocutrice, il était évident qu’elle connaissait la personne qui habitait à cette adresse. Son ton se fit plus dur, son attitude n’exprimait que la méfiance.

— Que lui veux-tu ?

Aucune réponse ne vint, Nick avala goulument une bouffée d’air nauséabonde, sa toux avait cessé, il était de nouveau capable de s’exprimer.

Vyrian redoutait la réaction de la jeune femme, elle l’avait interrogé, il l’avait ignoré. Visiblement irritée par cette attente, elle se rapprocha menaçante, la lame de son couteau semblait onduler dans l’air sous l’effet de ses moulinets. Nick voulu fuir. Elle le plaqua d’une main contre le mur, fit racler son dos contre la surface irrégulière, ses vertèbres heurtèrent la pierre mal dégrossit. De l’autre main, elle posa son couteau sur sa gorge, de la sueur tinta sur la lame.

Le chercheur observait la scène le souffle court, aussi terrorisé que s’il s’était retrouvé face à l’agresseur.

Satisfaite de son effet, la jeune femme relâcha son emprise. Le corps immobile de Nick retomba, la lame du couteau lui écorcha le menton dans sa chute, son corps percuta mollement les pavés.

A peine le corps avait-il heurté le sol que la jeune femme le chevaucha. Elle lui tira tête en arrière, son arme dessinait des jeux de lumière sur sa gorge.

— Parle !

— Ça ne te concerne pas !

— Ta fierté est-elle une raison suffisante pour souffrir ?

Vyrian comprit qu’elle ne bluffait pas, elle pouvait abattre à tout moment sa lame sans le moindre état d’âme. Il supplia le jeune homme de coopérer. Sa prière sembla être entendue, Nick accepta de lui céder quelques informations.

— C’est lui qui m’a laissé sa carte.

— Où l’as-tu vu ?

— Ce matin au laboratoire.

— Je vois. C’est donc toi. Je m’appelle Feyna, tout comme la personne que tu as vu ce matin j’appartiens à l’homme qui habite à cette adresse.

Feyna rengaina sa dague, libéra Nick de son étreinte et le remit sur pied. Effrayé, perdu le jeune homme la dévisagea. Elle le fixa de ses yeux jaunes fendus sur toutes leur hauteur par une fine pupille. Déstabilisé, il tituba.

Non offusquée de sa réaction, Feyna lui montra ses oreilles aux bouts pointus, chose surprenante le pavillon était mobile. La jeune femme continua sa démonstration. Vyrian vit apparaitre sur ses paumes de mains des callosités qui une fois solidifiées se colorèrent légèrement apportant une nuance avec le reste de la peau, ses mains étaient pourvues de coussinets. Pour terminer, la jeune femme tourna le dos à Nick, souleva le bas de son tee-shirt, un pansement se détacha, des vertèbres coulissaient hors de la plaie. Les os recouverts d’une fine membrane séchèrent à l’air libre, la membrane se solidifia, devint de la chair qui se couvrit d’une fourrure courte mais drue.

La transformation à présent terminé, Nick restait pétrifié, il exhala dans un souffle.

— Une hybride

Choqué, Vyrian dévisageait la jeune femme. Grande, maigre, des cicatrices parcouraient sa peau la piquetant de discrètes tâches blanchâtres. Elles attestaient des combats qu’elle avait mené. La crasse la maculait lui conférant un camouflage. Il ne faisait aucun doute, elle était une survivante, une guerrière.

Il la prit en pitié. Que lui avaient-ils fais subir ? Dans son monde, seuls des animaux avaient été hybridés, ils se révélaient stériles et leur durée de vie s’en trouvait raccourcit. Etait-ce aussi le cas de la jeune femme ?

Vyrian ne pouvait imaginer le niveau de corruption et de désespoir qu’il fallait atteindre pour venir à hybrider des humains. N’avaient-ils aucune éthique ?

Feyna ne semblait pas attrister de son sort. Excepté ces particularités, son apparence restait humaine, sa silhouette était féminine. La curiosité dépassant la crainte, Nick l’interrogea.

— Qui est ton créateur ?

— Yvias Ewias, un scientifique renégat. Il y a dix-huit ans, il travaillait sur le même projet que ton père.

Nick ne parut pas surpris par cette annonce.

— Je peux t’amener à lui si tu le désires.

Vyrian le vit hésiter. Le doute le saisit. Les réponses étaient à portée de main pourtant il n’osait franchir le dernier pas qui le mènerait à la connaissance.

— Est-il fiable ?

— Yvias peut être qualifié de beaucoup de choses, mais je te déconseille de lui accorder ta confiance.

— Mon père est un homme respecté, pourtant il m’a trahi. Alors un homme qui ne cache pas sa véritable nature est surement plus fiable qu’une personne dissimulant ses actes. Je vais le rencontrer.

Comme promis Feyna le guida à travers les étroites ruelles. Nick et Vyrian admirèrent l’aisance avec laquelle elle se déplaçait. Le trajet ne fut pas long, ce qui frustra Nick d’avoir abandonné si près du but. L’extérieur du bâtiment était comme tout le reste, sale, usé, délabré.

L’intérieur quant à lui contrastait avec l’impression de ruine qu’on pouvait avoir en regardant le bâtiment. L’aménagement était fonctionnel, le confort n’avait pas sa place dans ce bâtiment. Seul importait l’efficacité. Yvias Ewias devait être un homme très occupé.

L’endroit semblait aseptisé de tout bien personnel, ç'en était presque triste. Un homme apparut derrière le comptoir. Vyrian comprit qu’il s’agissait d’Yvias. L’homme avait une belle carrure, des rides commençaient à creuser des sillons sur son front. Il invita Nick à prendre place à une table située légèrement en retrait de l’entrée. Quant à Feyna, il lui fit signe d’attendre dehors ce qui parut déplaire à la jeune femme.

Nerveux Nick jouait avec ses mains, ce geste n’échappa pas à l’ancien chercheur.

— Nerveux mon garçon ?

L’intéressé répondit avec un sourire timide.

— Oui.

— Tâchons d’élucider tout ça au plus vite. Qu’es-tu venu chercher ?

— Vous avez travaillé avec mon père, dans quelles circonstances m’a-t-il créé ?

L’homme sembla replongé dans de lointains souvenirs.

— Le projet fut d’abord monté en interne, mais des questionnaires ne tardèrent pas à circuler, révélant le projet au grand jour. Heureusement pour nous, personne ne le prit au sérieux. Les fichiers détruits, les perturbateurs arrêtés, le projet reprit. Un nouvel obstacle se présenta, il fut réglé par ce que nous prenions pour nos détracteurs. Ces étrangers prétendirent venir du Monde Numérique, ils affirmaient agir dans un but commun. Ces personnes avaient soi-disant la capacité de voyager entre les mondes, qu’ils pouvaient nous transmettre le savoir nécessaire pour construire une machine permettant de s’affranchir de ses frontières. Bien que je me sois opposé au projet, celui-ci fut lancé. Les enfants furent retirés à leur famille. Ton père n’échappa pas à cette séparation. Son désir de garder son fils près de lui, celui de ne pas blesser sa femme ainsi que celui de donner foi au projet finirent par le pousser à réaliser un clone à partir des échantillons qu’il avait prélevé sur ton frère. Ton père avant cette nuit-là était contre le clonage, mais la perte de son fils le fit changer.

J’ai longtemps pensé que tout cela n’était que foutaises, mais les années se sont écoulées. Des rumeurs se répandirent quant à l’existence d’autres mondes, la légende de Numyrhis fut créée. D’année en année, elle gagne en adepte. Aucune preuve pour la réfuter, elle donne de l’espoir.

Si j’ai envoyé un de mes gars au labo ce matin c’est pour tenter de lever le voile de mystères qui persistent sur ce projet. Mon encontre à sa réalisation me valut de perdre mon poste, c’est ainsi que je suis devenu la personne que tu vois.

Si tu me permets je voudrais te montrer quelque chose.

— De quoi s’agit-il ?

— Je voudrais mesurer ton âge grâce à un Tempus.

Vyrian perçu des signes de protestations chez Nick mais il se ravisa, lui aussi voulait savoir comprit le biologiste. Il pouvait sans mal imaginer qu’un tel geste représentait une violation de l’intimité dans ce monde où l’âge était synonyme de fatalité.

— Très bien, allez-y.

Le Tempus était un petit dispositif de la même taille qu’une montre à gousset. Mère fournit de plus amples détails à Vyrian.

— Cet appareil se base sur la fréquence cardiaque de la personne ainsi que sur l’état de différents organes : glandes surrénales, cerveau, organes génitaux. Ces différents paramètres permettent d’estimer l’âge d’une personne avec une exactitude surprenante. Lors de l’analyse, les aiguilles tournent sur trois cadrans différents. Le premier indique les années, le second les mois et le troisième les jours.

Nick regarda les aiguilles tourner, elles venaient de dépasser le cap des dix-sept ans. Puis, une à une, elles s’arrêtèrent. L’estimation était faite. Nick avait dix-sept ans onze mois et quinze jours.

Yvias sembla effectuer un rapide calcul mental, pour attester de la cohérence des résultats du Tempus, au bout de quelques minutes, il parvint à cette conclusion.

— Cohérent. D’autres questions ?

— Où est mon frère ?

— Aucune idée. Soit mort sacrifié en vain soit quelque part dans un monde inconnu. Va savoir.

— Vous ne croyez pas en l’existence d’autres mondes ?

— J’y ai longuement réfléchi, la seule preuve de leur existence réside dans la bonne parole d’étrangers venus il y a de cela dix-huit ans. Alors non, sans preuve concrète j’ai beaucoup de mal à y croire.

— Pourtant ce matin vous avez semé une belle pagaille !

— Uniquement pour les faire douter, espérer qu’ils se montrent imprudents.

Vyrian se rendait à présent compte de ce qu’avait voulu dire plus tôt Feyna, Yvias pouvait être beaucoup de choses, manipulateur, machiavélique. Mais peu importait la facette qu’il montrait, il l’assumait. Le biologiste constata que Nick était parvenu à la même conclusion.

— Que voulez-vous de moi ?

— Droit au but. Très bien. Je suspecte les chercheurs d’avoir gardé contact d’une manière ou d’une autre avec les sujets d’expérimentations. Trouve-moi comment. Cette preuve permettra de démentir ou non l’existence d’autres mondes.

— Pourquoi vous aiderais-je ?

— Ne veux-tu pas rencontrer ton frère ? Ne veux-tu pas faire payer ton père pour la souffrance qu’il t’a infligé ?

Les deux hommes se dévisagèrent, l’un calme, l’autre torturé. Vyrian observait Yvias se jouer des émotions de Nick, le vieux roublard avait parfaitement cerner la personnalité du jeune homme, il lui laissait un choix qui n’en était pas un.

— Je ne t’oblige à rien. Tu es libre de ta décision. Dans le cas où tu déciderais de travailler pour moi, prends ceci, c’est une balise. Si je m’aperçois que tes signes vitaux ne sont plus sur la carte du Monde Historique mais qu’une nouvelle carte se trace je saurai qu’il existe au moins un autre monde.

Nick trouva acceptable le marché, il se saisit de l’objet et se leva. Yvias regarda le jeune homme partir. Une fois disparu au coin de la rue, il appela l’un de ses hommes.

— Conformément à vos instructions, la balise est activée, son activité est indétectable.

— Bien, s’il trouve quelque chose, je le saurai. Suis-les, tu sais quoi faire.

Feyna attendait Nick légèrement plus loin. Elle ne le questionna pas. Vyrian la suspectait d’avoir entendu la conversation. Le trajet fut plus rapide qu’à l’aller. Une fois revenu sur la place centrale, Nick fit seul le reste du trajet. Feyna le regarda disparaitre au loin. Alors qu’elle s’apprêtait à regagner l’obscurité des bas quartiers, une main se plaqua sur sa bouche, une seringue pénétra dans sa peau, ses yeux se fermèrent, son corps s’affaissa.

A ce même moment une atroce douleur irradia dans la tête de Vyrian, sa vision se brouilla. Lorsqu’elle s’atténua, les stimuli envoyés par Mère s’étaient arrêtés. Il était de retour parmi les siens, seules peine, chagrin et douleur l’accueillirent.

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