Chapitre 1 : Seconde chance

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Passé, présent, futur, ces termes semblaient appartenir à une autre époque. Inerte, allongé sur un lit d’hôpital, Vyrian paraissait mort. Seul le bip régulier du moniteur attestait sa survie. Son corps amaigri par des années d’immobilité et de privation renfermait néanmoins un esprit fonctionnel.

Lorsque Vyrian s’était retrouvé plongé en état de Télépathie, jamais il n’aurait cru avoir accès aux moindres pensées des survivants allongés aux quatre coins de la pièce, reliés par un vaste réseau de câbles. Tous connaissaient son existence, pourtant tous y faisaient abstraction. Plongé dans le flux des pensées, le monde extérieur se faisait abstrait. Ainsi, il ne se préoccupait pas de son apparence physique. Qu'il s'agisse de son corps chétif, ou bien de son apparence négligée, il s'en moquait. Dans son esprit, il était toujours ce jeune homme brun au teint mat.

Maintenant qu’il y réfléchissait, il ne savait pas à quoi s’attendre lorsqu'il avait donné son consentement. Les évènements étaient allés très vite. Il se rappelait la piqûre, le sommeil puis les souvenirs. Dès les premiers instants, ils s'étaient mélangés sans aucune cohérence. Afin de ne pas sombrer dans la folie, il n'avait eu d'autre choix que de les trier, les analyser et enfin, les comprendre. Si bien que cela était devenu son activité principale.

Vyrian avait l’impression de recomposer un puzzle, il échangeait les pièces inutiles par celles adéquates. Après de longues heures de reconstitution, il obtenait finalement quelques scènes fugaces : des souvenirs de jours heureux pour la plupart. Le scientifique ne pouvait s’empêcher de se sentir honteux dans ces moments-là. Il avait l’impression de dérober l’intimité d’un moment qui ne lui appartenait pas.

Tel était l’inconvénient d'être télépathe, les pensées circulaient librement, sans restriction. Aucune douane psychologique n’existait pour séparer les idées décentes des inconvenantes. Cet échange communautaire avait pour fonction originelle de les aider à surmonter leur situation. Les personnes s'échangeaient leurs souvenirs, leurs émotions afin d'éviter de ruminer sans cesse leurs propres pensées. Or, il s’avérait que ce n’était pas tout à fait au point.

Heureusement, Mère veillait à ce que tout cela ne dégénère pas. L'intelligence artificielle surveillait leurs constantes vitales et veillait à leur santé mentale. Elle s’assurait qu’aucun survivant ne développe de psychose ou de dépression, au risque de la propager.

Vyrian en était là de ses réflexions lorsque Mère l’interpella sur un réseau privé.

Vyrian Nantis, enseignant-chercheur en biologie, votre aide est requise.

Surpris, l’intéressé renvoya une image de lui-même haussant un sourcil. Il doutait être en mesure d’aider qui que ce soit dans ce flot incessant d’informations. Il ne parvenait déjà pas à organiser ses propres pensées, alors apporter son aide... Mais il ne risquait rien à s'interroger.

En quoi puis-je vous aider ?

— Une nouvelle forme de vie a été détectée. En tant que scientifique de renom, vous êtes le plus à même de vous en charger.

— Que voulez-vous que je fasse dans mon état ?

— Les sauver.

L'échange prenait une tournure inattendue, captant progressivement l’attention du professeur. Mère le sut lorsqu’il renvoya une projection mentale de lui-même se redressant. Il n'apparaissait plus las, le regard dans le vague, mais confortablement installé dans un fauteuil de son imagination, jambes croisées, mains jointes, l’œil vif. Il n’attendait qu’une chose : la suite du récit. Mère ne se fit pas prier.

Laissez-moi vous montrer.

Sur ses paroles, elle projeta dans l’esprit de Vyrian des paysages qu’il n’aurait jamais cru avoir la chance de voir. Le vent laissait sur son sillage une odeur parfumée. La végétation luxuriante s'épanoussait sous les rayons du soleil, des bourgeons dardaient des branches prêts à éclore.

Vyrian fut ému par ce cadre idyllique. Des larmes serpentèrent sur ses joues. Il avait conscience de la banalité d'un tel paysage. Pourtant à ses yeux, il représentait une source d’espoir. Tout n’était donc pas mort.

Cela lui mettait du baume au cœur. À l’extérieur de cette salle, la vie avait repris son cours, leur calvaire prenait fin.

Un raclement de gorge informatisé capta son attention.

Il ne s’agit pas de notre monde. Derrière ces portes, seuls la poussière et des ossements vous attendent.

Mère perçut le choc que cela provoqua chez le professeur, bien que celui-ci tentât de le cacher. Les projections mentales souffraient de l’état émotionnel de leur détenteur. Lorsque leur moral se déteriorait, elles se dégradaient au point de perdre en substance, devenaient floues et finissaient par disparaitre.

L'image du professeur mit un moment à se reconstruire, signe que la révélation l’avait ébranlé bien plus que sa voix ne le laissait transparaître.

Bien sûr… j’aurais dû m’en douter.

Cette évidence redonna consistance à l'image mentale du professeur. Cette fois-ci, il apparaissait triste, mais déterminé.

De quel monde s’agit-il dans ce cas ? D’autres planètes sont-elles habitables ?

— Il s'agit justement de la raison de mon appel.  

— Comment s’appellent-t-elles ? Où se trouvent-t-elles ?

Un regain d’énergie sembla animer le professeur. Il brûlait d’en savoir plus, inondant Mère de questions, s’abreuvant de ses réponses.

Elles furent baptisées : Monde Historique, Monde Mythique et Monde Numérique.

— Mais pourquoi ne les avons-nous pas détectées plus tôt ?

— Je l’ignore. Probablement parce que vous étiez plus concentrés sur la pérennité des vôtres que sur l’exploration du système solaire.

— Possible. Vous venez bien de dire qu'elles avaient été baptisées? Par qui ?

— Les professeurs Newt, Stein et Willis.

— Il n’y a pas de hasard n’est-ce pas ? Ce n’est pas une coïncidence si ces trois chercheurs sont décédés cette semaine.

— Effectivement.

N’ayant pas grand-chose à perdre, Vyrian posa la question qui lui brûlait les lèvres.

— Que s’est-il passé ? Comment leur mort a-t-elle eut lieu?

— Je les ai tués. Nous avions un contrat, ils ne l'ont pas respecté.

Le biologiste se voulait le plus neutre possible, pourtant il ne pouvait cacher son ressenti à l'IA. Sa projection mentale le trahissait, véritable miroir sur sa psyché, il lui était impossible de dissimuler ses émotions. C'en était d'autant plus frustrant puisque que ses confrères avaient agi en tout état de cause. Ils avaient acceptés de mettre leur vie entre les mains de Mère, ils en avaient payé les conséquences.  La voix enrouée, il voulut en savoir plus sur les circonstances de leur mort.  

— Qu'ont-ils faits ?

— Ils ont saboté le projet Trimondes.

Comme beaucoup de chercheurs, Vyrian aimait aller de découverte en découverte. Seulement, il appréciait les appréhender, les comprendre. Les bribes d’informations que lui fournissait Mère ne lui permettaient pas de saisir leur sens. Cette discussion faite de questions-réponses à demi-mots le fatiguait. Il ne comprenait pas le besoin que Mère avait de faire durer le suspense. Si elle avait réellement besoin de son aide, pourquoi ne pas juste l’informer de la situation ?

Il lui renvoya une image de lui dans son fauteuil haussant les épaules. Il espérait que Mère comprenne que sans ses informations, il était impuissant et ne pouvait l’aider.

Très bien.

Mère entreprit de résumer rapidement les événements.

Il y a quelques années, j’ai découvert l’existence de nouveaux mondes. J’en ai informé les scientifiques Newt, Stein et Willis. Comme vous, cette nouvelle les revigora. Chaque jour, j'analysais ces planètes. Je comparais les similitudes et les différences, qu’il s’agisse de l’environnement, du mode de vie, de la culture. Je finis par découvrir que notre monde avait 10% de similitudes avec le Monde Mythique, 20% avec le Monde Numérique et 70% avec le Monde Historique.

Mère marqua un temps d'arrêt. Le voyant de la tour de contrôle clignota, une barre de progression apparut à l'écran. De petits bips réguliers et discrets ponctuèrent le téléchargement des données, signe que l'intelligence artificielle chargeait la meilleure formulation possible.

— De par sa forte similitude avec notre planète, les scientifiques se sentirent extrêmement concernés par le sort du Monde Historique. Lorsqu’ils découvrirent que ce monde courait à sa perte, ils contactèrent des chercheurs Historians et ensemble sauvèrent les nourrissons de l’infertilité qui régnait là-bas. Ces nouveau-nés furent envoyés sur les deux autres planètes.

Vyrian ne voyait pas en quoi cette histoire méritait la peine de mort.

— Pourquoi les avoir tués s’ils ont aidé à la sauvegarde de ces univers?

— Leur aide partait d'une bonne intention mais elle fut plus néfaste que bénéfique. Ils ont certes sauvé six nouveau-nés, mais en faisant cela ils ont condamné l’ensemble des trois mondes. Je n'ai rien pu faire pour les en empêcher. Si je fais appel à vous, c'est pour réparer leurs erreurs.

— Qu'ont-ils fais ?

— En interférant avec les mondes, ils ont créé la légende de Numyrhis. Cette légende s’est propagée dans les trois mondes. Beaucoup tentèrent d'en percer les secrets, tous échouèrent. Pourtant, le danger n’a jamais été aussi grand. Ces enfants sont à présent à l’aube de leur dix-huitième anniversaire. A cette date, un symbole apparaitra sur leur main, relançant ainsi la légende.

— Que dit-elle ?

— Elle est la clé de voûte des trois mondes. Son secret les préserve, sa résolution les mènera à leur perte.

— Comment ?

— Certains mondes sont plus agréables à vivre que d'autres. Il est fort possible qu'un exode ait lieu. Seulement dans ce cas, la seule alternative possible est une invasion avec comme conséquence probable la guerre. Méfiez-vous des légendes, elles ne sont pas aussi anodines qu’elles en ont l’air, il s’y trouve toujours une part de vérité. Ici il ne s’agit pas d’empêcher un monde de s’autodétruire mais trois.

Cette fois la projection mentale de Vyrian apparut soucieuse, des traits d’inquiétude lui plissaient le front. Le scientifique sentit la fin de la conversation arriver. Il ne souhaitait pas en rester là. Pourtant, il n'avait guère le choix. Il sentait déjà la présence de l'intelligence artificielle s'affaiblir dans son esprit. Mère venait d'être sollicitée par un survivant. Le biologiste soupira de frustration. Avant que la communication ne soit rompue, Vyrian perçut un dernier message de Mère.

Acceptez-vous ce projet ?

— Oui, Mère. Je l’accepte.

Le regard qu’il lui renvoya ne laissa aucun doute. Vyrian était déterminé.

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