Chapitre 29 : Zones d’ombre

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Lorsque Vyrian retourna dans sa chambre, il ne prit pas la peine d’allumer la lumière, il voulait réfléchir au calme, sans distraction. L’obscurité l’aiderait à se concentrer.

Il chercha son lit à tâtons et s’y allongea laborieusement. Il sortit de sa poche le flacon de gélules donné plus tôt par Rayec et en avala une.

Une fois cela fait, il récupéra le calepin qui venait de lui être légué. Il fit parcourir ses doigts le long de la couverture, sentit les aspérités du cuir. Ce contact le calma. Il avait toujours aimé les vieux ouvrages, leur couverture artisanale, leur odeur d’un autre temps et leur contenu dépaysant.

Apaisé, le scientifique fixa le dossier portant le nom du Capitaine, il s’interrogea sur la véracité de ces fichiers. Pouvait-il s’y fier ? A quel point étaient-ils exacts ?

Fatigué de toutes ses questions, Vyrian ouvrit le dossier, plus que jamais il devrait se montrer critique quant aux données qu’ils consultaient.

Le premier fichier qu’il ouvrit le mena pendant la guerre qui faisait rage dans le Monde Numérique. Impitoyable, le Capitaine menait l’assaut, ses hommes conditionnés à l’art de la guerre répandaient la mort sur leur passage transformant les rangs ennemis en no man’s land.

Pour la première fois, Vyrian put mettre un visage sur le nom du Capitaine. Jusqu’à cet instant, il n’avait pas réalisé l’absence d’informations à son sujet. Mère lui avait offert l’omniscience. Bien qu’il ne maitrisait pas cette capacité, les informations s’imposaient à lui sans qu’il ne parvienne à les contrôler. Le biologiste pressentait que dans ce cas, le problème était d’un autre ordre.

Le chercheur s’attarda sur les traits du soldat. Le Capitaine arborait une ossature fine, une musculature sèche. Bien que sa carrure ne soit pas des plus impressionnantes, il dégageait de lui une aura de force.

La cendre collée à son visage accentuait ce sentiment, soulignant un regard d’un gris anthracite. Bien que jeune, ses yeux semblaient avoir vu le monde.

Vyrian n’en fut que plus curieux à son sujet.

— Que caches-tu ?

Le Capitaine avançait toujours plus profondément dans les lignes ennemies. Un nuage de cendres le dissimula, Vyrian chercha du regard le point de sortie du Capitaine. Il n’en fut rien, l’enregistrement prit fin.

Frustré, Vyrian lança un second fichier, il espérait y trouver des informations sur le passé du Capitaine, son accession au pouvoir.

Cette fois-ci, le Capitaine se tenait au-dessus d’une femme enceinte. La future mère arborait la même chevelure argentée que Zaïk. A sa naissance, le jeune Matéria deviendrait esclave des Régisseurs. Vyrian soupira, ce nouveau fichier l’avait amené dans le futur par rapport au précédent. Il le referma et en sélectionna un autre.

Une fois encore ce fut un échec. Vyrian observait Xenaya et Zaïk plus jeunes, ils devaient avoir cinq-six ans. Les deux enfants se tenaient en garde essoufflés. Vyrian poursuivit le visionnage. Le Capitaine apparut.

— Encore !

Les deux enfants se ruèrent l’un sur l’autre enchainant attaques et parades. Ils se battaient aussi bien au corps à corps qu’à distance, à main nue comme armés.

Vyrian prêta un peu plus attention à la gestuelle des enfants. Leurs mouvements témoignaient de longues heures d’entrainements, leurs attaques rapides et puissantes avaient tout de professionnelles. Leurs défenses étaient solides, leur endurance exemplaire. Vyrian ignorait depuis combien de temps se battaient les enfants mais malgré la sueur qui leur coulait le long du visage et leur respiration saccadée, ils ne montraient aucun signe de fatigue.

Vyrian les admirait pour leur ténacité, le Capitaine les méprisait pour leur faiblesse.

— Xenaya ! Met-le KO. Je vois la peur dans ton regard, tes gestes ont beau avoir l’air assuré, tu dévies tes attaques au dernier moment.

De quoi as-tu peur ? De sa riposte ? Ne me fait pas rire ! Tu as peur de le blesser ! C’est pitoyable, tu es une guerrière ! Je veux voir tes poings couverts de son sang !

La jeune fille se mordit la lèvre et fixa son adversaire. Zaïk était bien plus effrayé qu’elle par cet ordre, il lança un regard suppliant à la jeune Régisseuse. Elle se força à l’ignorer, elle avait bien plus peur de la sentence que lui réserverait le Capitaine en cas d’insubordination.

Elle se ramassa sur elle-même, exécuta une rapide roulade, faucha les jambes de Rayec qui lui tirait maladroitement dessus. Elle récupéra l’arme et tira à bout portant. Une onde de choc jaillit, le garçon fut éjecté. Alors que les pieds de Zaïk décollaient du sol, elle lui attrapa le bras, le tirant à elle. Elle lâcha le pistolet, lui assena un uppercut. La nuque du garçon se courba violemment en arrière. Lorsqu’il redressa la tête, Xenaya l’attendait prête à frapper. Une fois le visage de Zaïk face au sein, son poing s’écrasa contre le cartilage de son nez. Le Matéria se courba et porta les mains à son visage, les larmes ruisselaient le long de ses joues. Xenaya, lui donna un violent coup de pied dans les rotules. Il s’écrasa face contre terre. Elle le chevaucha, lui tirant les bras en arrière jusqu’à ce que le craquement caractéristique d’os déboités se fit entendre. Elle laissa les bras retombés, mous, désarticulés.

Des applaudissements retentirent dans la salle. Le Capitaine s’avança rayonnant. Il caressa la tête de Xenaya. Ce n’est qu’ainsi côte à côte que Vyrian fut frappé par la ressemblance entre les deux Régisseurs. Ils arboraient tout deux ce même regard. Il reconnut chez Xenaya la morphologie du Capitaine, cette même ossature fine, ce corps tonique, rapide et puissant.

Vyrian eut du mal à se concentrer sur les paroles du Capitaine, il peinait à faire taire l’hypothèse que cette ressemblance soulevait. Il ne voulait pas aller trop vite en conclusion.

Le cœur tambourinant dans sa poitrine, il écouta le Capitaine féliciter la jeune fille.

— Tu t’es bien battue petite guerrière. Tu devras encore faire mieux pour le prochain entrainement, j’ai de grands projets pour toi.

Xenaya ne répondit pas. Le Capitaine s’éloigna, la laissant seule devant son adversaire gémissant. La jeune fille demeura immobile, le regard rivé sur le corps de Zaïk. Des mèches de cheveux noirs s’échappèrent de sa queue de cheval lui masquant les yeux, Vyrian crut voir des larmes silencieuses s’écouler sur les joues de la jeune Régisseuse.

L’extrait s’arrêta, Vyrian en sélectionna un autre.

Xenaya et Zaïk avait grandi. Les deux jeunes adolescents se tenaient dans une salle de musculation. Zaïk prit la parole.

— A ton avis pourquoi nous considère-t-il comme ses enfants ?

— Parce que nous lui sommes utiles. En obtenant notre garde, il est sûr de disposer de nous comme il le souhaite.

— Ça ne te fait pas peur ?

— Lui ou un autre qu’importe.

Zaïk médita quelques instants ces propos.

— Que penses-tu de la Résistance ? Joy les a récemment rejoints. Que ferons-nous si nous le croisons ? Te sens-tu capables de le tuer ?

— Nous sommes des soldats, nous nous entrainons dans ce but.

— J’aimerai pas me retrouver à la place de Dinaïn, trahis par son propre mentor.

— Ça tombe bien tu n’y es pas !

La scène s’arrêta, Vyrian passa au fichier suivant. Peu de temps s’était écoulé depuis le précédent enregistrement. Bien que n’ayant pas obtenu les réponses à ses questions. Vyrian continuait son visionnage. Il connaissait peu de choses au sujet des Régisseurs et de la Résistance.

Xenaya se tenait dos contre le mur du couloir, un pied négligemment posé à sa surface. Vyrian reconnu Dinaïn plus jeune passer à proximité, elle le suivit. Le jeune soldat se laissa rattraper.

— Peur que je change de camp princesse ?

— Simple précaution.

— J’en suis touché.

— Trêve de bavardages !

Vyrian sourit aux propos de Dinaïn. Même plus jeune, il possédait cette répartie teintée d’humour. Ce qui n’était pas le cas de l’adolescente bien plus sanguine.

Xenaya lui empoigna le bras, l’attira à elle, attrapa le blaser du soldat, pivota les hanches et bascula le corps de Dinaïn par-dessus. Le jeune soldat fut projeté, il amorti sa chute d’une roulade et se releva souplement.

— Quelle agressivité ! On dirait que le Capitaine a finalement déteint sur toi. Mais je ne comprends pas, quelle est ta raison de me nuire ? Ma place n’est pas à envier, qu’y gagnes-tu ?

— Je ne me bats pas pour éliminer les concurrents !

— Vraiment ? Dans ce cas pourquoi t’entraines-tu sans relâches ? N’est-ce pas pour plaire au Capitaine ? Lui montrer que tu as assimilés ses méthodes : un mort, une place vacante. Que tu es la meilleure de ses enfants ?

— Je me fous de son avis !

— Bien. Dans ce cas, tu ne vois aucun problème à remettre en question sa stratégie. A ton avis comment a-t-il atteint son poste ? Tu sais ce que l’on raconte ? Certains vieux soldats se souviennent de lui comme instructeur, pourtant il ne fait même pas trente ans. Le peuple s’interroge. Tu ne trouves pas étrange d’éloigner les vieux dans des vaisseaux périphériques ? N’est-ce pas une façon de les faire taire ? Qui sait ce qu’il se passe là-bas ?

— Ce ne sont rien que des bruits de couloir !

— Vraiment ! Pourtant tu vis à ses côtés tous les jours, en seize ans t-a-t-il eut l’air de prendre un coup de vieux, ne serait-ce qu’une ride ? Comment se fait-il que nous ne connaissions notre histoire que depuis son accession au pouvoir ? Qu’y avait-il avant ?

La scène s’arrêta ici, il s’agissait du dernier fichier. Deux années s’étaient écoulées depuis. Xenaya avait rejoint la Résistance, Zaïk ne cessait d’être malmené, Dinaïn s’était fait incarcérer. Ils étaient à présent libre.

Vyrian pensa aux tournants qu’avaient pris leur vie en peu de temps. Ils négociaient encore un nouveau virage. Xenaya de part son statut d’Exilée, Dinaïn d’alchimiste, Zaïk suite à son partenariat avec Kaeronn. Vyrian lui-même amorçait de nouveaux changements.

Aucun des fichiers ne traitait réellement du Capitaine, il n’apparaissait qu’en second plan. Ce manque d’informations directes et la longévité du Capitaine inquiétèrent Vyrian.

Seul son peuple avait un métabolisme plus lent que les habitants des trois mondes. Sa longévité n’était pas le seul détail qui orientait le biologiste dans cette hypothèse. Kearonn, ancien dirigeant des cinq clans ne possédait pas d’information à son sujet. En tant qu’étranger cela s’expliquait. Mais si le Capitaine venait bel et bien de son monde, pourquoi ne s’en souvenait-il pas ? Pourquoi Mère ne disposait-elle d’aucune donnée à son sujet ? Les avait-il supprimés ?

Vyrian repensa à la rapidité avec laquelle Mère avait été hacké. Cette performance devenait moins impressionnante s’il considérait le fait que le Capitaine pouvait être son créateur.

En tant que créateur, il pouvait sélectionner les données que Mère partageait. Il se pouvait que le Capitaine ait découvert les autres mondes bien avant que Mère ne révèle leur existence aux scientifiques.

Mais pourquoi les informer de la création de ces mondes dans ce cas ? Mère leur avait dit que c’était pour éviter qu’ils commettent comme eux les mêmes crimes envers leur planète.

C’est ce qui s’était finalement produit. La magie du monde mythique était corrompue, le monde historique pollué, quant au monde numérique, il n’était que cendres. Mère aurait-elle rejeté son créateur lorsqu’il avait pris part à la guerre infligeant des dégâts à la planète, ne respectant ainsi plus ses propres convictions ?

Quant à Xenaya, sa ressemblance avec le Capitaine était frappante. La jeune femme devait se douter de leurs liens de sang. Elle était plus qu’un enfant recueillit dans le but de tuer, elle était sa fille. Lui avait-il avoué ses origines ? Avait-elle conscience de l’enjeu derrière le symbole du projet Trimondes.

Vyrian ne doutait pas que ce soit le cas du Capitaine, il se rappelait les encouragements du Capitaine à l’égard de sa fille « j’ai de grands projets pour toi ». Xenaya l’avait pourtant trahi, elle était membre de la Résistance, elle avait finalement rejoint Joy. Etait-ce une stratégie de la part du Capitaine, une volonté de la part de la jeune femme de défier l’autorité de son père ?

Vyrian l’ignorait, les données de Mère ne pouvait l’aider à résoudre ce mystère.

Ce n’était pas la seule zone d’ombre. Comment l’avait-il équipé du tatouage ? Xenaya ne faisait pas parti des enfants sélectionnés pour le Projet Trimondes. Comment s’étaient-ils appropriés cette technologie ?

L’image d’Yvias s’imposa à son esprit. Si l’on ne pouvait obtenir quelque chose, Yvias était la personne à contacter. Le scientifique renégat avait les connaissances et les moyens nécessaires pour reproduire le tatouage créé par ses anciens collègues.

Vyrian repensa à la boîte qu’il avait confié à Nick, boîte à présent en territoire des Régisseurs. Et s’il s’agissait bien plus que d’une boîte mesurant le déplacement ?

Vyrian se sentit suffoquer. Il était effrayé par les déductions qu’ils faisaient. Mais dans ce cas pourquoi laisser de telles preuves ?

La réponse s’imposa : Numyrhis. Cette légende était bien plus importante qu’il ne le pensait. Que la légende prenne vie dans le monde Historique paraissait logique mais comment avait-elle fait pour se répandre ? Vyrian imaginait mal les huit Ombres répandre la Légende. Non les mondes étaient liés. Des événements se déroulant dans un monde se répercutaient sur les autres mondes.

Vyrian développa sa pensée. Si l’on trouvait la manière dont les mondes se trouvaient connectés. Il était possible de les contrôler, créer un nouveau monde paraissait faisable.

Si tout cela était prémédités, pour quelle raison le Capitaine, les attaquait-il ? Qu’elles étaient ses motivations ? Etait-ce lui l’assassin du fils de Kaeronn ?

Le scientifique sentit le vent pénétrer dans sa chambre, il s’étonna de sa fraicheur, il s’était habitué à la chaleur des cendres. Ce détail l’intrigua, il voulut ouvrir les yeux, une main se plaqua sur son visage. Il tenta de lutter mais une aiguille pénétra sa peau, il entendit le cran d’arrêt se bloquer lors de l’injection.

Ce bruit déclencha son omniscience.

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