Chapitre 22 : Divergences

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Passé l’effet de surprise, Dinaïn se ressaisit rapidement. Ses réactions ne laissaient aucun doute possible. Le jeune homme avait l’habitude d’être confronté à la mort. Vyrian en fut peiné, il aurait aimé que cela en soit autrement.

Le scientifique vit son regard analyser la scène. Il se focalisa sur les corps, suivit les trainées ensanglantées, parvint aux flaques à ses pieds puis à l’arme du crime et enfin à ses mains poisseuses.

Vyrian voulut s’expliquer. Les mots se bloquèrent dans sa gorge. Dinaïn le fixa impassible. Le scientifique sentit son sang bouillir dans ses veines, son cœur battre frénétiquement. Il avait beau assumer son geste. Le regard du soldat le mettait mal à l’aise. Il attendit avec angoisse son jugement. Il n’en fut rien. Son attitude en était dépourvue. Il se détourna mettant ainsi fin au supplice du biologiste.

— Ressaisissez-vous ! Ce ne seront pas les premiers cadavres que vous verrez. Encore moins les derniers que vous ferez si vous tenez à retrouver votre liberté.

Vyrian avait conscience de cela, pourtant il ne se sentait pas mieux pour autant. La culpabilité le rongeait. Il avait bien agi, il le savait. Malgré cela le décès des prisonniers ne lui était pas plus facile. Il ressentait encore le tressautement de leur cœur se propager le long du scalpel. Ses bras en tremblèrent, le sang encore chaud des torturés sur ses mains fit de même.

Des mains enserrèrent ses poignets. Les spasmes cessèrent. Vyrian tourna la tête et découvrit le visage de Nick. Les évènements avaient laissé leurs empreintes sur le jeune homme. Vyrian pouvait y lire la tristesse dans ses yeux. Néanmoins, l’Historian arborait une volonté de fer.

— Reprenez-vous ! Vous ne voulez plus qu’une telle chose se produise ? Battez-vous !

Vyrian revit le jeune homme foncer chez Ywan, changer de monde avec Feyna, se jeter sur le geôlier. Il ne faisait aucun doute, il était impulsif. Ses paroles n’en étaient pas moins pleines de bons sens.

La situation l’exigeant, il avait remis ses questions au sujet de l’hybride à plus tard. Savoir qu’elle était en vie lui suffisait. Vyrian ne doutait pas que dès que le moment serait plus opportun, il reviendrait à la charge.

Vyrian soupira, tant de choses reposaient sur ses épaules. Plus la situation lui apparaissait dans son ensemble, plus ses lamentations lui semblaient vaines. C’était son choix, il l’assumait. Pourtant, ce n’était pas aussi simple. Il y avait également une part de regrets.

L’ultime parole de la dernière Ombre lui revint en mémoire : « merci ». Ce simple mot lui apporta chagrin et réconfort. Il jeta un coup d’œil aux trois corps. Leur vue fit bondir son cœur dans sa cage thoracique. Il ne détourna pourtant pas le regard. Il les observa attentivement. Des pieds à la tête, il s’attarda sur leurs expressions. Leurs traits ne trahissaient que le soulagement.

Vyrian mémorisa leurs visages. Il ferait tout pour ne pas reproduire cette situation. Il se redressa. Dinaïn, avertit par le froissement de ses habits lui jeta un coup d’œil. Il lui fit un hochement de tête approbateur. Depuis sa découverte des corps, il s’était de nouveau posté devant l’entrée. Prêt à intervenir.

Les bruits de pas se rapprochaient, les voix se faisaient plus distinctes. Dinaïn plaça sa main sur la surface lisse du mur. Sa peau commença à se transformer. Vyrian le stoppa.

— Laisse-les entrer.

— Des connaissances Doc ?

— Plus ou moins.

Interloqués, Nick et Dinaïn dévisagèrent Vyrian. Contre toute attente, le soldat obéit et s’éloigna de la porte.

Les secondes s’égrenèrent. La lumière filtra à travers la porte close. Des ombres se profilèrent à travers l’entrebâillement. Peu à peu l’espace fut suffisant pour laisser entrer les nouveaux venus.

Une voix chantante s’éleva. Grâce à l’analyse du spectre sonore, Vyrian reconnut la voix de Saern, un résistant.

— C’est ici que sont enfermés les Ombres qui ont tentés de tenir tête au Capitaine.

Le guide pénétra dans la pièce. Ecarquilla les yeux devant la scène qui lui faisait face.

— Enfin, étaient retenus prisonniers.

Kayle impatient se fraya un passage.

— Comment ça « étaient » ?

L’Ombre s’arrêta à son tour. Vyrian le vit entrouvrir la bouche et la refermer, son expression se déformer. Le regard qui lui porta ne laissait présager rien de bon. Surprise par son arrêt, sa sœur le bouscula. Ce choc sembla lui donner l’élan nécessaire pour s‘approcher du scientifique. Dezaël entra peu après. Un sifflement filtra à travers ses lèvres.

— C’est l’hécatombe ici !

Hostile, Kayle arriva à portée du scientifique. Il lui empoigna le col.

— Et ça ne fait que commencer !

Vyrian savait qu’il aurait pu l’esquiver. Mais à quoi bon ?

Le scientifique plaqua sa main sur la bouche de Kayle faisant pression de son pouce et de son index sur la mâchoire du jeune homme. Surpris, du sang coulait sur sa bouche. L’Ombre le lâcha et tenta de mettre fin à cette étreinte. Il n’y parvint pas. L’exosquelette donnait une poigne inhumaine au scientifique.

Coincé, Kayle n’eut d’autre choix que de suivre Vyrian. L’Ombre faisait à présent face aux corps, il pouvait sentir leurs effluves. Humilié, le jeune homme vociféra entre ses dents.

— Que n’avez-vous pas compris dans le sauvetage ?

Vyrian désespérait. Il laissa sa franchise s’exprimer.

— Que crois-tu faire en hurlant ? Est-ce une manière de témoigner du respect aux tiens ?

— Comment pouvez-vous oser me parler de respect ? Vous avez encore les mains rougies de leur sang !

— Te serais-tu salis les mains même si cela revenait à les tuer ? Leur aurais-tu accordés leur dernière volonté ? Ou aurais-tu eu peur d’être abandonné une fois de plus comme avec tes parents ?

— De quel droit vous permettez-vous de juger ! Vous n’étiez pas là !

— Et toi étais-tu là lorsque les tiens m’ont supplié de mettre un terme à leurs souffrances ?

Le scientifique vit le jeune homme se mordre les lèvres. Son regard se fit déviant. Le biologiste insista.

— Où étais-tu ?

— Planqué. Nous… Nous attendions qu’une brigade passe après nous être évadé.

Un long silence suivit cet aveu. Vanea rompit le silence.

— Kayle, c’est fini. Récupérons les données et partons.

Sur ses paroles le scientifique pose le scalpel ensanglanté dans les mains du jeune homme. Il retira sa main écœuré.

— Comment avez-vous pu ? Comment être sûr que c’était réellement ce qu’ils désiraient ? La torture a pu leur faire perdre la tête.

Cette fois ce fut Saern qui intervint.

— Kayle…

— Assez ! J’en ai marre de vos jugements. Si je me suis lancé dans ce sauvetage, c’est par vocation non par intérêt personnel ! Je vous vois me juger ! Si j’ai agi ce n’est pas pour rentrer dans les bonnes grâces de notre peuple ! Je voulais vraiment les sauver !

— Kayle

— Non Vanea. Je vois comment tu me regardes. Tout le long pendant que j’essayais de recruter des gens pour cette expédition tu me fixais avec pitié. Contrairement à toi, je ne me suis pas désintéressé des miens ! Et toi, ne penses pas t’en tirer à si bon compte !

Vyrian soupira face à cette menace.

— Regarde-les bien ! Regarde leur expression. Ombres, Régisseurs, Matéria, Innovateurs, Calligraphes. Ce monde-ci, un autre, quelle importance ? La douleur est universelle.

— Vraiment ? Testons ça !

Kayle ramassa le scalpel qu’il avait laissé tomber grâce à l’activation de son équipement magnétique. La lame lui atterrit dans la main. Vyrian comprit son attention. Il eut juste le temps de se jeter en arrière relâchant son emprise.

Dinaïn accourut prêt à calmer le jeune homme par la force si nécessaire. Vanea le précéda, elle souhaitait faire entendre raison à son frère.

Dans cette agitation, seul Saern distingua les Infovirus qui s’extirpaient des corps attirés par la blessure fraiche que Kayle s’était faite dans sa précipitation de saisir l’arme. Son sang tintait sur le sol, tel le compte à rebours avant l’affrontement qui aurait lieu.

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