Chapitre 21 : Du sang sur les mains

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Vyrian n’eut pas le temps de répondre, une secousse retentit. Les vibrations déstabilisèrent Nick. Il perdit l’équilibre, son front vint heurter celui du scientifique. Synchrones, les deux hommes jurèrent, les mains posées sur leur visage endolori.

Le biologiste n’eut pas le temps de se remettre du choc, une seconde secousse plus puissante survint. Il fut éjecté contre le mur, Nick vint le rejoindre. Une fois de plus, leurs corps s’entrechoquèrent. Lorsque le tremblement prit fin, la gravité reprit ses droits, ballotés Nick et Vyrian s’échouèrent sur le sol dans un bruit retentissant.

Le corps douloureux le scientifique remarqua tardivement l’odeur de fumée qui emplissait l’air. Que se passait-il ? Que signifiait ces tremblements ? La vue brouillée, Vyrian mit du temps à s’apercevoir de la présence d’une troisième personne. Lorsqu’il l’a reconnu, un hoquet de surprise lui échappa. Il s’agissait de Dinaïn, un Exilé et un Régisseur. Le soldat se leva lentement et dégourdit ses membres. Son sourire moqueur ne quittait pas le scientifique.

— Ça y est vous avez fini de vous amuser ?

Nick et Vyrian émirent un grognement de protestation.

— Bien, dans ce cas que diriez-vous de vous évader ?

Vyrian observa pour la première fois l’environnement qui l’entourait. Il se trouvait bel et bien dans une cellule. Il n’aperçut aucune technologie. Il en fut surpris dans un premier temps, puis cela lui parut logique. Dans un monde où la technologie était synonyme de pouvoir, bloquer son influence rendait les prisonniers impuissants.

A cette pensée, Vyrian se rappela la disquette qu’il avait en sa possession. Inquiet à l’idée d’avoir été fouillé, il tâtonna sa poche, ses doigts rencontrèrent la surface de l’objet, il en fut soulagé. De la même manière ses armes ne lui avaient pas été confisqué. Les Régisseurs devaient avoir une confiance absolue envers leurs technologies. Quoique, le scientifique devinait une autre raison derrière cette vantardise. Il se rappelait l’incapacité qu’il avait eu à analyser les technologies chez les Ombres, les Régisseurs devaient avoir le même problème. Laisser à leurs prisonniers leur équipement devait être pour eux un moyen de connaitre leur fonctionnement et ainsi de perfectionner leur brouillage.

Des bruits de pas se firent entendre, une silhouette se découpa dans la fumée. Dinaïn les remis sur pieds.

— Tenez-vous prêts !

Un homme apparu. Il frappa de sa matraque contre les barreaux de leur cellule. Ils furent éjectés par le choc. Il ouvrit la cellule, Nick se précipita sur lui. Vyrian admira sa réactivité, blessé le jeune homme n’en était pas moins rapide. Mais cela ne suffit pas. Le garde l’attrapa et le projeta sans difficulté. L’Historian percuta le mur du couloir dans un bruit sourd.

Dinaïn ne put s’empêcher de commenter.

— Trop pressé. C’est pourtant pas faute d’avoir essayé de lui enseigner la patience.

Vyrian ne put s’empêcher de penser qu’il comprenait mieux pourquoi le jeune homme était dans un si piteux état.

Le geôlier se dirigea vers lui, sa matraque télescopique brandit. Le chercheur esquiva sans mal les premiers assauts. Les suivants lui furent plus difficile. La technologie lui vint en renfort. Il était désormais capable de voir l’activation des aires cérébrales de son adversaire quelques secondes avant que l’attaque ne soit portée. Ce laps de temps suffisait pour lui sauver la vie, le scientifique analysait les mouvements et les évitaient. Vyrian enchaina les esquives.

Le visage de son opposant se faisait rubicond, sa respiration devenait difficile, de la sueur coulait le long de ses tempes. Vyrian appréciait cette vue, son corps grâce à l’exosquelette lui semblait léger, bien plus réactif qu’il n’avait pût l’être par le passé.

Il se laissa griser par cette sensation et tenta sa chance. Il activa sa deuxième technologie. Il observa « Combo » charger. Des enchainements furent projetés dans sa rétine, son exosquelette les intégra.

Surpris, il sentit sa posture se modifier, ses muscles se tendre. Vif, son poing fendit l’air et percuta le nez du geôlier, le scientifique sentit les os se briser sous ses doigts, du sang gicla maculant ses phalanges.

Il se rapprocha avide de victoires. Cette fois son corps pivota, sa jambe décrivit un arc de cercle, son tibia percuta l’avant-bras de son opposant. Il sentit le choc se répercuter le long de son périoste. La douleur le déconcentra, il se figea.

L’exosquelette appliqua un cataplasme sur son tibia endolori. Le scientifique se reprit. Trop tard, il avait perdu son effet de surprise. L’homme réalisa une projection, Vyrian tenta de lui résister mais il était trop faible, l’exosquelette n’avait pas eu le temps de charger les données lui permettant d’échapper à cette étreinte. Impuissant, Vyrian percuta le mur de plein fouet. Sans son exosquelette, le choc l’aurait probablement assommé.

La voix enjouée de Dinaïn le nargua.

— Pas mal pour un débutant. Il semblerait que je sois le dernier qui puisse sauver notre échappée. Prenez-en de la graine les bleus !

Le garde l’entendit mais ne parvint à le localiser. Il l’invectiva.

— Sors de là, alchimiste !

— J’arrive, j’arrive.

Affaibli, le scientifique observa la silhouette de Dinaïn se détacher du mur. Il pouvait voir les structures électroniques s’adapter, les conformations entre les atomes se modifier, les éléments s’échanger.

Pour la première fois le scientifique réalisa la particularité des Exilés. Issus d’un autre monde, ils développaient des capacités hors normes. Yomi percevait les auras, Keen’an voyait la magie même de chaque chose, Dezaël pouvait comprendre n’importe quelle technologie et s’en approprier le fonctionnement, Djima percevait les informations issues de la magie et interagissait avec via ses inventions, Dinaïn manipulait la structure même des choses. Il ne lui manquait plus qu’un Exilé à rencontrer et il les aurait tous vu.

Sonné, Vyrian observa le jeune soldat s’agripper au cou de son adversaire, il lui comprima la trachée. L’homme suffoqua. Prit par surprise, il tenta de faire basculer le prisonnier, il n’y parvint pas. Solidement attaché Dinaïn continuait d’imprimer une pression constante sur la gorge de son adversaire tout en basculant son poids vers l’arrière obligeant le garde à courber le dos. Le geôlier frappait mollement Dinaïn. Ses armes étaient inefficaces contre la structure du vaisseau dont le corps du jeune homme était recouvert. L’alliage avait été conçu pour résister aux attaques ennemis. Peu à peu le garde s’évanouit. Mort ou juste inconscient, Vyrian n’en avait aucune idée. Le combat avait été bref. Il regarda le Régisseur changer la configuration des molécules. Son épiderme retrouva sa constitution normale.

Il enjamba prestement le corps du garde.

— Dix victoires pour moi, zéro pour toi. Persévère mon pote.

Nick se dirigea clopin-clopant vers Dinaïn, son bras pendait mollement le long de son corps. Le soldat s’en empara et d’un vif mouvement remit en place l’épaule de l’Historian.

— Aïe !

Pour toute réponse, Dinaïn donna une tape sur le corps endolori du prisonnier. Il s’éloigna laissant Nick à sa douleur. Il se rapprocha de Vyrian lui tendit la main, le scientifique s’en empara avec circonspection. Le jeune homme le releva sans ménagement ne tenant pas compte du choc qu’il imposait aux cervicales du chercheur qui sentit sa tête basculer en arrière.

Courbaturé de partout le scientifique se massa la nuque. Grommelant, il regarda le soldat lui indiquer la sortie.

— La sortie est par là.

Le scientifique le regarda, intrigué. Il peinait à comprendre la situation.

— Que se passe-t-il ? Où sommes-nous ?

Le soldat le regarda longuement semblant analyser les dégâts qu’il avait pu prendre dans sa défaite.

— Nous sommes dans un des vaisseaux des Régisseurs. Vous avez été capturés hier. Vous ne vous en souvenez pas ?

— Si, si.

Les souvenirs du scientifique lui revinrent par vague. Il se prit la tête entre les mains. Il peinait à démêler ce qui lui était arrivé de ce qu’il percevait des autres mondes. Les douleurs se confondaient, les émotions se mélangeaient. Peu importe leurs origines, leur souffrance était universelle. Un tremblement secoua son corps, un filet de sang perla de son nez. Il regarda les gouttes s’écraser sur le sol. Son corps ne semblait pas supporter le cadeau que Mère lui avait fait.

Dinaïn le fixa avec attention mais n’émit aucun commentaire sur l’état du scientifique.

— La guerre a repris. La résistance a saboté les vaisseaux. Les autres clans ne devraient pas tarder à attaquer.

Vyrian qui avait vaguement eut le temps de consulter les données de Mère avait connaissance de la guerre entre les cinq clans qui avait donné au Monde Numérique cet aspect ravagé. Ainsi, ils remettaient le couvert. Que resterait-il de ce monde à la fin ?

— Pourquoi t’en réjouis-tu ?

— Je suis libre ! Je vais pouvoir faire regretter à mon peuple l’erreur qu’ils ont commis. Mais trêve de bavardage, il est temps de déguerpir !

Dinaïn s’élança suivit de Nick. Vyrian ignorait quel lien les deux jeunes hommes avaient tissés durant leur incarcération. Néanmoins, ils semblaient mus par le même but : la liberté.

Vyrian se joignit à leur course. L’alerte avait été donné. Des sirènes répandaient un son strident dans l’espace étroit des couloirs. Tapissant les murs de faisceaux rougeâtres.

Au détour d’un couloir, le scientifique entendit des cris, ses pas ralentirent. Il s’arrêta devant les portes d’une salle. Il entra. Une odeur de désinfectant lui assaillit les narines, la senteur semblait imprégner les murs même de la pièce. Trois corps informes se balançaient au bout de chaines. Vyrian comprit qu’il s’agissait des Ombres retenues prisonnières, celles que Kayle et Vanea étaient venues sauver.

Le scientifique entendit la porte s’ouvrir derrière lui. Nick et Dinaïn le rejoignirent. Le soldat ne put s’empêcher de commenter la scène.

— Triste spectacle.

Vyrian approuvait les paroles du Régisseur, il comptait bien y remédier.

— Il est temps que cela cesse.

Surpris par sa brusque implication, Dinaïn l’interrogea.

— Que comptez-vous faire ?

— Les opérer.

Contre toute attente, Nick proposa son aide.

— Je vais vous aider, j’ai déjà assisté mon père dans des chirurgies.

Vyrian ne doutait pas des compétences du jeune homme. Par contre, il se méfiait de son implication. Simple charité ou bien s'agissait-il d'un stratagème pour essayer d'obtenir des informations sur Feyna ? Quoiqu'il en soit, il accepta la proposition.

— Bien. Quant à vous, vous montez la garde. Au moindre mouvement, vous nous prévenez.

Le scientifique fut surpris de l’autorité qu’il perçut dans sa voix. Il n’en montra rien et s’avança, déterminé à sauver ces pauvres gens. Il n’avait que faire des potentiels logiciels de surveillance. Il ne craignait rien d’autre que son impuissance.

Il chargea les fichiers de Mère concernant les Infovirus et apprit leur fonctionnement. Apparemment, ils avaient la capacité de contaminer toute chose, organique ou matérielle et d'en prendre le contrôle. Une fois le contrôle prit, les connaissances des êtres vivants et les programmes des appareils étaient transmis au QG des Régisseurs. L'étape finale de contamination était un changement radical de la personnalité, l'organisme devenait alors entièrement animé de la haine que portaient les Régisseurs aux autres clans.

Plus motivé que jamais Vyrian avisa un présentoir sur lequel reposait plusieurs outils d’opération. Le scientifique choisit une pince et un scalpel et se dirigea vers ses patients. Nick sur ses talons.

Le regard que lui renvoya les trois Ombres le fit frémir. Il percevait leurs attentes. Il s’approcha du plus proche, s’excusa par avance pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Précis, il sectionna l’un des poignets, des filaments rougis de sang apparurent. Il se saisit de la pince et les attrapa, il tira.

Les hurlements du prisonnier lui brisaient le cœur. Mais, il ne pouvait faire autrement, il devait les faire souffrir. Le seul moyen de rompre le contact entre un Infovirus et son l’hôte avant qu’il en prenne possession était d’infliger une douleur telle que le corps de l’hôte devienne invivable, le virus se nourrissant de tout l’organisme, il assimilait aussi sa douleur et souffrait par la même occasion.

Plus Vyrian extirpait les filaments du corps, plus ils reprenaient leur aspect vaporeux que leur connaissait le scientifique. La méthode en soi était la bonne. Par contre, Vyrian doutait de la résistance des prisonniers, ils avaient subi tant de souffrance, il n’était pas sûr que leurs corps en supportent une énième.

Son patient lui donna raison. De ses lèvres craquelées perlèrent du sang qui dans un ultime souhait éclaboussèrent le visage du biologiste.

— Pitié… Tuez-moi.

Vyrian se figea sur place. La mort ne lui était pas inconnue. Loin de là. En revanche, il n’avait pas pour habitude de l’apporter. Deux autres voix se manifestèrent, tel un écho.

— Pitié… Sauvez-nous… Mettez fin à notre torture.

Nick n’aimait pas plus la scène qui se déroulait sous ses yeux.

— Que comptez-vous faire ?

— Répondre à leur souhait.

Vyrian avait eu toutes les peines du monde à contrôler les tremblements de sa voix et de ses mains. Il était venu avec l’intention de les sauver, seulement il n’avait pas pris en compte que la mort pouvait être une source de délivrance. Si tel était leur souhait, il l’exaucerait.

Le chercheur laissa sa pince lui échapper des mains, il resserra sa prise sur son scalpel, le retira de la plaie et l’enfonça dans le cœur du prisonnier. Il sentit les battements se prolonger le long de la lame, puis plus rien.

Tremblant, il retira la lame, un filet de sang s’écoula. Comme guidé par une volonté extérieure, il réserva le même sort aux deux autres prisonniers. Avant que la mort ne délivre la dernière Ombre, celle-ci la gratifia dans un soupir.

— Merci…

Vidé de son énergie, Vyrian se laissa tomber au sol. Des mares de sang se formèrent à ses pieds. Il pouvait voir son ombre s’y refléter. Celle d’un meurtrier. Il savait qu’il agit de la meilleure manière pourtant cela ne suffirait pas à laver le sang sur ses mains.

Nick posa sa main sur son épaule en guise de soutien.

— On ne peut pas toujours sauver tout le monde. Vous avez fait le bon choix. Même en sauvant ces personnes de ce qui les rongeait, elles n’auraient jamais survécu. Vous leur avais épargnés des souffrances inutiles. Elles le souhaitaient.

— Je le sais, pourtant…

Au même moment, Dinaïn réapparu.

— Nous avons de la visite ! Que…

Au même moment dans le couloir les voix de Kayle, Vanea, Dezaël se firent entendre.

Le scientifique se retourna blême, prêt à affronter leurs jugements.

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