Dans un monde que, on l'espère, l'être humain ne connaîtra jamais, un bâtiment tout en longueur perçait le ciel étoilé. Au bout, était perchée au-dessus de la mer de nuages grisâtres et tonnants, une gigantesque sphère qui brillait sous les rayons de la lune encore pleine. C'était le siège du pouvoir dans le monde des créatures fantastiques, le lieu des prises de décision les plus importantes. Le lieu où, des siècles auparavant, avait été signé le traité de paix qui régissait en grande partie cette soirée en particulier. Pour les humains, Halloween était une fête païenne liée à celles des morts. On se déguisait en monstre et on faisait du porte-à-porte pour récupérer des sucreries et bonbons en tout genre. Mais ce qu'ils ne savaient pas, c'est que leurs déguisements étaient bien réels.

Une frontière intangible séparait deux terres. De l'autre côté, comme le reflet du monde que l'on connaît, il existait un autre monde peuplé de véritables créatures issues tout droit des rêves et des cauchemars des enfants. Un monde merveilleux. Un monde fantastique. Un monde dangereux.

À l'intérieur de la sphère brillante, régnait une agitation sans pareille depuis les dernières lueurs du soleil. Une véritable fourmilière s'efforçait de faire régner l'ordre dans le monde des créatures fantastiques. Comme tous les ans, le 31 octobre était un jour spécial : la Grande Fracture des Morts s'ouvrait pour quelques heures. Dès lors, les deux mondes se côtoyaient et permettaient le passage de l'un à l'autre. Bien entendu, les humains encourraient un danger mortel. C'est pour cela qu'un traité avait été signé : les humains étaient protégés tant qu'ils ne franchissaient pas la frontière. Une frontière invisible.

Sur une des parois de la boule géante – bien difficile de dire laquelle – une majestueuse horloge trônait fièrement, regardant d'en haut le manège de ceux d'en bas. L'aiguille des minutes atteignit enfin la soixantième. Un tic-tac tonitruant interrompit le brouhaha qui n'avait cessé depuis le début de la soirée. Toutes les créatures présentes se figèrent et se tournèrent vers l'horloge pour l'écouter religieusement. Il était minuit. La frontière était en train de se reformer. Dans onze secondes précisément, la brèche aura disparu et tout reviendra dans l'ordre. Jusqu'à l'année prochaine. Lorsque l'horloge se tut, chacun échangea un regard, soulagé. Cette année, il n'y aura personne à châtier. Le traité avait été respecté.

Trois individus se tenaient assis sur des trônes en hauteur et assistaient à la scène de l'horloge.

— Mes chers amis, tout s'est merveilleusement bien passé, cette année. Nous n'avons aucun coupable à châtier.

Il avait une voix profonde et un ton très doux.

— Vous avez raison, cher comte. Mais je dois bien vous avouer que je suis déçu. J'aurais bien aimé m'amuser un peu, ce soir..., ajouta-t-il sournoisement de sa voix nasillarde.

Son compère eut un sourire carnassier qui dévoila ses canines immaculées. Mais le troisième personnage s'insurgea : 

— Enfin, Jack, vous ne pouvez pas dire des choses pareilles ! Je vous signale que nous sommes chargés de veiller sur ces terres et de faire régner la paix pour que toute créature puisse y vivre en paix.

Un ricanement comparable au bruit d'une craie sur un tableau sortir des lèvres du dénommé Jack. Il tapa malencontreusement du pied la petite lanterne en fer posée à ses pieds.

— Vous avez une bien drôle façon de faire le bien, ma Dame, articula-t-il lorsqu'il parvint à reprendre son souffle. Vous cachez bien votre jeu.

Le frottement de la longue robe blanche de la femme contre son trône lorsqu'elle bougea lui répondit tandis qu'elle jouait innocemment avec ses longs cheveux de la même couleur que son vêtement.

— Quoi qu'il en soit, reprit le premier individu, nous pouvons nous féliciter. Le monde des humains a été préservé. Nous avons respecté avec brio notre part du contrat. Il est temps de passer la main à notre bon vieil ami en manteau rouge.

Ses deux compères hochèrent la tête de conserve. Une nouvelle fois, le secret d'Halloween avait été préservé.