De mauvais poil

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Un rot profond sortit de sa gorge et résonna dans la pièce mal éclairée empestant l'hydromel de cassis blanc. Avachi dans un fauteuil, un bras pendant et l'autre posé sur son ventre, il tenait dans sa main une bouteille aux trois-quarts vide de la précieuse liqueur. Il n'y avait que ce type d'alcool qui réussissait à l'abrutir. Quelques minutes.

La pièce était glaciale, parcourue d'un vent frais, ce qui ne semblait pas le déranger le moins du monde alors que le pauvre bout de tissu blanc taché tendait tant bien que mal de cacher ses pectoraux proéminents recouverts d'une pellicule de poils châtains.

On aurait pu le prendre pour un de ses stupides morts-vivants tant aucun de ses muscles ne bougeait. Seule sa respiration profonde et étonnamment peu difficile prouvait qu'il possédait des organes en parfait fonctionnement. Ses yeux mornes étaient aussi vides qu'un ciel sans nuage et aussi froids que la banquise.

Soudain, d'un geste rendu automatique par l'habitude, son bras se leva lentement et le goulot de la bouteille toucha ses lèvres. Il finit le contenu d'une traite et posa la bouteille à terre. Une goutte du breuvage glissa de sa lèvre et se perdit dans sa barbe fournie. Alors, ses yeux, qui jusque là n'avaient pas bougé d'un millimètre, reprirent vie et se tournèrent vers l'horloge posée sur un de ses meubles de la pièce. Vingt-trois heures et trente minutes. Ses prunelles s'allumèrent d'une flamme avant de s'éteindre rapidement. Un voile sombre les recouvrit et il replongea dans sa léthargie profonde.

On frappe deux coups à la porte d'entrée. Il ne broncha pas. Alors on frappa plus fort. Il sursauta réellement et parut désemparé quelques instants. Un son guttural retentit dans sa poitrine.

— Y vont vraiment m'faire chier jusqu'au bout cette année grogna-t-il d'une voix caverneuse.

Il ferma les yeux pour tenter d'ignorer les misérables humains à sa porte. Peine perdue. Le traité que ses ancêtres avaient signé avec ces parasites s'imprima dans son cerveau en lettres de feu.

« Article 5 : Lors de l'évènement que les humains surnomment Halloween, il est formellement interdit de ne pas leur ouvrir la porte, sous peine de sanctions. »

Il ne comprenait toujours pas pourquoi ils avaient accepté ce stupide traité. À l'heure qui l'est, il serait en train de se faire un casse-croûte avec ces bouts de viande sur pattes. Il se redressa soudainement, une lueur mauvaise dans les yeux. Après tout, un ou deux humains en moins, qui s'en rendraient compte ? Sûrement pas les vieux cadavres d'en haut. Ils ne peuvent pas tout voir. Au moment précis où l'idée finit de le séduire et où il se prépara à se lever de son fauteuil, une douleur sourde lui vrilla le crâne, l'obligeant à se rasseoir.

— Fichu traité ! tonna-t-il, ses énormes mains enserrant sa tête.

« Article premier : L'être surnaturel qui tente par tous les moyens de s'en prendre à un humain lorsqu'une faille entre les deux mondes s'ouvre, est puni de mort.

L'idée même de le vouloir est châtiée. »

La douleur quitta immédiatement son corps lorsqu'il renonça à son plan. Il put se lever pour de bon, et son siège craqua dangereusement lorsqu'il fut libéré de l'imposant corps de son hôte. Il traversa d'un pas lourd la pièce et ouvrit la porte à la volée, faisant sursauter les enfants sur le perron. Ils levèrent lentement la tête – leurs yeux atteignaient le nombril dénudé de celui qui se tenait devant eux – et étouffèrent un hoquet de peur.

— Vous les v'lez vos bonbons ou pas ? demanda-t-il un tantinet agressif.

Les pauvres marmots hochèrent vigoureusement la tête, au bord des larmes. Il rentra dans la bicoque et ressortit quelques secondes plus tard des bonbons pleins les poignes. Il fit un signe de la tête et les enfants lui tendirent leur sac. Il répartit grossièrement les confiseries et frappa ses mains la chose faite.

— Foutez-moi le camp maintenant, j'ai eu une nuit compliquée hier soir. Faut qu'je me repose.

Les enfants, encore sous le choc de la rencontre qu'ils venaient de faire, comprirent tout de même ses paroles à moitié étouffées lorsqu'il ferma la porte :

« Une chance qu'c'est arrivé hier et pas aujourd'hui, où vous aurez pas fait long feu ».

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