Amour sangsuel

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M. et Mme Van Blutsauger dînaient chacun à l'autre bout de la très longue table de leur salle à manger, devant un feu de cheminée crépitant – chose fort inutile pour des êtres de leur condition – lorsque leur majordome, M. Diener entra dans la pièce. Il se posta au milieu celle-ci, devant la cheminée et attendit respectueusement, les mains derrière son dos, que ses maîtres lui donnent la parole. Ce que fit M. Van Blutsauger lorsqu'il eut fini sa gorgée de sang O+.

— Qu'y a-t-il, Rolf ?

— Navré de vous importuner pendant votre dîner, mais on vient de sonner à la porte. Je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler quelles sont les règles en cette soirée si particulière...

— Vous venez pourtant de le faire, le coupa le vicomte d'une voix ferme.

Il reposa son verre en cristal sur la table.

— Je m'en excuse monsaigneur, ce n'était pas volontaire de ma part, répondit le majordome en se courbant légèrement.

— Ce n'est pas grave, Rolf. Nous sommes tous un peu tendus ce soir, nous devons garder notre sang-froid.

— Profitons plutôt de cette magnifique soirée ! intervint d'une voix pure la vicomtesse. J'ai hâte de rencontrer ceux qui nous rendent visite, pas vous, Klaus ?

— Bien sûr que si, très chère.

M. Van Blutsauger adressa à sa charmante épouse un sourire étincelant, faisant ressortir ses deux longues canines. Celle-ci tapa dans ses mains de nacre et ils se levèrent de concert. Le vicomte se resservit un verre tandis que Mme Van Blutsauger demanda à son majordome d'aller chercher les confiseries qu'elle était allée elle-même chercher en début de matinée.

Puis, les deux époux centenaires traversèrent bras dessus bras dessous le hall de leur manoir. Les chandelles allumées çà et là faisaient ressortir leur peau pâle qui tranchait froidement sur l'environnement sombre de la pièce. Il faut dire que les époux Van Blutsauger avaient un penchant très prononcé pour les nuances de noir, de telle sorte qu'il était impossible de trouver une touche de couleur et si tel est le cas, la vicomtesse serait entrée dans une colère rouge.

Mais pour le moment, point d'animosité. Mme Van Blutsauger affichait un sourire à faire fondre la banquise lorsqu'elle tourna le pommeau de la lourde porte d'entrée – qu'elle n'eut aucun mal à faire bouger malgré sa frêle corpulence.

— Bonsoir mes chéris ! s'écria-t-elle lorsqu'elle vit les petites frimousses s'agiter devant elle. Que vous êtes appétissants ainsi vêtus.

Les bambins la lorgnèrent, mi-fascinés mi-apeurés devant cette grande et gracieuse femme. Ils en oublièrent de dire leur phrase fétiche en cette soirée spéciale.

— Très chère, cessez de les regarder ainsi, vous savez quel effet vous faites aux humains, souffla doucement le vicomte.

La dame cligna des yeux, surprise, avant de se reprendre et de libérer les demi-hommes de son charme envoûtant. Elle porta la main à sa bouche, et si elles avaient pu, ses joues auraient rosi d'embarras.

— Oh, veuillez m'excuser, je ne voulais pas.

Les enfants parurent sortir d'un rêve éveillé.

— Vous aussi vous vous êtes déguisés ? Z'êtes trop beaux ! bégaya le timide zombie.

Il se tordit les doigts et, lorsqu'il croisa les prunelles de la vicomtesse, il baissa immédiatement les yeux en rougissant violemment.

— Oh qu'il est mignon ! Klaus, peut-on l'adopter ?

— Vous savez bien comment cela se terminerait. Et puis, je vous indiquerais que nous avons l'ordre exprès de ne pas toucher aux mortels.

L’immortelle hocha doucement la tête en se rappelant du traité qui les liait. Elle plongea alors la main dans son grand panier.

— Tendez-moi vos sacs mes sucres succulents, que je les remplisse de petites sucreries sanglantes.

Les enfants obéirent comme un seul homme et très – trop – vite, les sacs furent pleins à craquer.

Lorsque les garnements s'éloignèrent encore époustouflés par la rencontre surnaturelle qu'ils venaient de faire, M. Van Blutsauger gronda gentiment son épouse :

— Vous les avez encore trop gâtés cette année, ma chère.

— Je n'y peux rien, ils sont à croquer avec leurs petites frimousses, plaida-t-elle d'une voix attendrie.

Le vicomte sourit devant l'air tendre qui déformait les traits de son visage pourtant de marbre habituellement. Dans un élan amoureux, il posa une main sur les hanches de sa dame.

— Et si nous allions nous promener un peu ?

Mme Van Blutsauger regarda son mari abassourdie. Il était connu que le vicomte n'aimait pas se mélanger aux autres d'ordinaire.

— Dans le monde des mortels ?

— Tout à fait.

La vicomtesse ne se laissa pas prier plus longtemps.

— Je vais chercher mon châle et je reviens, lança-t-elle avant de déposer un baiser sur la joue de son mari.

— Entendu.

Alors qu'elle s'éloigna dans un bruissement de soie due à sa majestueuse robe noire, le majordome apparut soudainement au côté de son maître. Il lui tendit sa canne surmontée d'un crâne et le vicomte le remercia d'un geste de la tête.

Lorsque Mme Van Blutsauger fut prête, les deux amants éternels s'éloignèrent d'un pas lent en direction du centre-ville, plus heureux que jamais.

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