Sorcière et sortilèges

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Dans la maison, la pendule du salon sonna vingt-et-une heures.

— Bon sang, déjà ? s'éleva une voix rauque venant d'en bas. Je suis débordée cette année, rien n'est prêt.

Un râle de frustration suivi d'un tintement sourd ponctuèrent ces quelques paroles. Camouflé derrière une bibliothèque, un escalier en pierre menait au sous-sol. Là, une porte en chêne noir délimitait l'entrée de la cave. À l'intérieur, un immense chaudron en argent trônait au milieu de la pièce dont le fond rougeoyait sous l'effet de la chaleur brûlante qui émanait du feu allumé en dessous. Perchée sur un tabouret, une drôle de bonne femme remuait un liquide verdâtre avec une immense louche en fer aussi grande qu'elle.

— Albert, passe-moi la corne de licorne, bouge-toi !

Un croassement lui répondit et après un déplacement d'air, le corbeau noir déposa dans sa main tendue l'objet désiré. La sorcière le jeta dans la mixture qui changea immédiatement de couleur et vira au bleu nuit.

— Dépêchons, dépêchons, je n'ai plus de temps à perdre. Tout doit être fini à temps !

Elle renifla bruyamment et agita soudain sa main en l'air. Un pot en verre posé sur l'étagère au fond de la pièce se mit à léviter et s'approcha de la vieille femme. Le couvercle s'ouvrit et le contenant glissa. Elle marmonna des paroles incompréhensibles tout en remuant énergiquement. De grosses bulles se formèrent à la surface avant d'exploser dans un « ploc » retentissant. La sorcière s'épongea le front avec les manches de sa large tunique noire, se gratta la verrue sur son long nez crochu et cracha dans le mélange maintenant violet. Son crachat crépita lorsqu'il atterrit dans le chaudron.

Soudain, le tintement d'une sonnette retentit, ce qui fit sursauter la femme hideuse.

— Saperlipopette ! Il ne manquait plus qu'eux ! V'là qu'ils vont venir m'emmerder, ces crapauds hirsutes.

Elle sembla hésiter un instant, fit un rond avec sa louche dans sa soupe étrange, avant de rouspéter bruyamment.

— J'en ai ras la verrue, toujours la même histoire tous les ans !

Elle sauta de son perchoir et sortit de sa tanière. Elle gravit les marches de l'escalier sans cesser de gémir dans sa barbe composée de trois poils sur son menton proéminent.

— Pourquoi ont-ils dû faire de ce jour si particulier une fête joyeuse ?

Elle ralentit le pas pour souffler un peu avant de repartir de plus belle.

— La magie est tellement intense en cette nuit de l'an qu'elle ouvre une porte entre nos deux mondes ! Mais bien sûr, on ne doit pas les toucher ! Heureusement qu'ils me sont d'aucune utilité sinon, ça ferait bien longtemps que je les aurais...

Elle s'arrêta brusquement et ouvrit grand les yeux. Un frisson parcourut son corps rachitique et un masque d'angoisse s'abattit sur son visage. Quelques secondes plus tard, elle se secoua et reprit sa lente marche sans cesser de se plaindre une seconde.

— Chiens de parasites, vous me faites perdre du temps. Enfants d'ignares, rejetons de ploucs...

Elle sortit enfin à la surface et claqua des doigts. La bibliothèque se déplaça dans un crissement à faire grincer des dents et masqua à la vue de tous l'endroit d'où sortait la grincheuse vieille. Lorsqu'elle passa devant un petit miroir poussiéreux accroché sur un mur, ses épaules s'affaissèrent un peu plus. Elle souffla et leva les yeux au ciel. Elle chuchota une formule magique et un épais brouillard violet s'échappa des lattes du parquet et l'enveloppa. Une belle femme d'une quarantaine d'années en sortit, un panier en forme de citrouille dans ses mains. Elle se redressa et s'approcha de la pote d'entrée. Après avoir placardé un sourire parfait sur ses lèvres, elle l'ouvrit.

— Un bonbon ou un sort !

Pauvres petites limaces bavantes, je vais vous en montrer moi des sortilèges...

— Oh, mais que vous êtes terrifiants, lança à la place la sorcière. Vos déguisements sont très bien réussis, bravo !

Les enfants sourirent, heureux.

Un vampire noir, on aura tout vu ! Le comte Dracula lui-même se retournerait dans son cercueil et en ferait des cauchemars pendant une bonne centaine d'années s'il voyait ça.

— Tenez, vous l'avez bien mérité ! Et je ne veux pas être transformé en vilain crapaud par votre charmante amie.

La ménagère lança un clin d'oeil à la petite fille boudinée dans son collant et sa jupe noirs, pitoyable imitation de la tenue d'une parfaite sorcière.

Je plains le balai qui devrait la porter si elle en était vraiment une...

Avec un empressement qu'elle réussit pourtant à très bien cacher, elle remplit les seaux et sacs en plastique des enfants massés devant chez elle avec les confiseries de son panier-citrouille. Puis, elle leur souhaita une bonne récolte et referma la porte avant même qu'ils ne quittent le perron. Aussitôt, son sortilège se rompit et elle reprit son apparence.

— Allez, j'ai encore une montagne de potions à faire et de sortilèges à peaufiner, moi ! Je comprendrais pourquoi on nous oblige à jouer cette stupide comédie depuis des millénaires. Et je peux même pas mettre un peu de poisons dans les bonbons, juste histoire de leur flanquer une bonne diarrhée à ces mômes dégoûtants.

Elle s'éloigna clopin-clopant en direction du sous-sol, en se raclant la gorge pour évacuer la glaire qui la gênait depuis quelques minutes.

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