Beathlag Cawen déteste l'eau

5 minutes de lecture

Beathlag était en train de jouer avec son chien-chien, un beau petit Terrier qui répondait au nom de Bandit (je sais c'est nul. À mon avis on devrait interdire aux gosses de donner des noms aux clébards). Il lui envoyait un bâton aussi loin qu'il pouvait. Ce qui ne faisait pas beaucoup. Mettez ça sur le compte de ses petits bras d'enfant. Si le Terrier ne loupait jamais son coup pour rattraper la branche, autant vous dire que le petit Beathlag était une brêle, et qu'il le lançait une fois sur trois dans les buissons. Mais le Bandit, il s'en foutait.

Lui, le seul truc qui l'intéressait, c'était de choper cette connerie de bout de bois. Rien à battre de s'écorcher dans les ronces ou d'aller le récupérer dans la flotte.

C'est exactement ce qui s'est passé ce jour-là. Bâton dans le buisson. Et un plein d'épines, avec ça.

Comme d'habitude, le chiot a détalé dans les fourrés comme s'il avait le feu au cul. Mais malheureusement pour lui, cette fois il n'arrivait pas à l'atteindre. Alors, il s'est mis à aboyer comme un guedin. Le gosse a bien essayé de le faire taire, mais le truc avec Bandit, c'est qu'il était aussi têtu et buté qu'un chien peut l'être.

Il le voulait, son putain de bâton.

Alors quand le garçon a compris qu'il n'y aurait pas moyen de le calmer, il a relevé sa manche pour l'enfoncer dans la haie d'épine, finissant par trouver la branche à force de tâtonner.

Je l'ai trouvée ! qu'il a dit. Je sais, je fais mal les voix d'enfant.

Vous voyez la suite ? Ou pas ?

Le Bandit, il a sauté sur le petit Beathlag pour lui montrer comme il était content.

Mauvaise idée, de sauter sur un garçon qui a la main coincée dans un paquet de ronces. Le gosse a retiré son bras d'un coup, en raccrochant une aiguille. Elle lui a déchiré la peau. Un beau sillon qui allait de la main jusqu'au coude, d'un rouge bien baveux.

Alors Beathlag, il a fait ce que tous les gamins font quand ils ont mal. Il s'est mis à hurler et pleurer. À sa décharge, même s'il ne devait pas avoir si mal, l'entaille était plutôt impressionnante. Il faut dire que ça pissait le sang.

Alors Bandit, il a fait ce que tous les chiens font quand leur maître gueule. Il s'est mis à aboyer aussi fort qu'il pouvait.

Je sais, vous allez me dire : mais tout se passe d'une façon tout à fait normale. Ben non.

Parce que Kanan Cawen n'a pas réagi comme tous les pères l'auraient fait.

Kanan non plus, n'aimait pas l'eau (seul point commun qu'il ait jamais partagé avec son fils). C'est pour ça qu'il buvait essentiellement du whisky. Et s'il n'en avait pas encore bu un seul verre depuis l'aube, il s'était fait un plaisir d'en vider une bouteille la nuit d'avant. Du coup, pas moins sobre que d'habitude, le papa.

Bien sûr, qui dit cuite, dit gueule de bois. Dit aussi mal de crâne carabiné. Et grasse mat'. Du moins, jusqu'à ce que les cris et les aboiements le réveillent. Alors il a déboulé de la maison, plutôt en défonçant la porte qu'en l'ouvrant, et s'est rué sur le gamin, en cognant au passage le tonneau qui leur servait à recueillir l'eau de pluie. Je précise qu'il pleut pratiquement tout le temps, à Caer Edyn. Alors les tonneaux, ils sont pratiquement tout le temps pleins.

Quant à savoir qui gueulait le plus fort, je suis bien incapable de le dire. Je peux seulement vous dire que ça gueulait pas mal. Et encore plus quand le marmot s'en est pris une dans la trogne. Il l'avait presque aussi rouge que son bras en sang, mais pas autant que le pif de son pochtron de père (qui lui était vraiment un vrai pochtron). Lequel, en voyant la balafre que son fils avait récoltée dans le buisson, s'est mis à hurler encore plus fort (si, c'était possible).

Et le foutu cabot qui aboyait.

Et ce putain de mal de crâne.

Alors Kanan Cawen a fait la seule chose qui lui paraissait sensée à ce moment là : faire taire la saloperie de clébard. Avec un coup de pied au cul, à l'aide de sa lourde godasse crottées de boue.

Le chiot n'aboyait plus. Et quant le père s'est mis en tête de relever Beathlag par le bras pour le tirer jusqu'à la maison, le gamin a chialé comme jamais il avait chialé (si si, c'était possible).

Le cabot gémissait, l'arrière train plié. Il couinait en rampant sur ses deux pattes avant, pendant que celles de derrière traînaient comme des branches mortes. Le papounet avait tapé un peu trop fort.

Alors, en voyant le clébard agoniser, Kanan Cawen a fait la seule chose qui lui paraissait sensée à ce moment là. Il a attrapé le cabot par la peau du cou, comme ça, et s'est dirigé droit vers le tonneau de flotte, poursuivi par son fils qui lui hurlait de le lâcher, en chouinant et en pleurant comme seuls les gosses peuvent le faire. Une peine à crever le cœur de n'importe qui, sauf d'un poivrot encore ivre de la veille.

Kanan a plongé le bestiau dans l'eau glacée et l'a maintenu immergé. Malgré la morsure du froid, malgré les plaintes de son fils et les coups de poing sur sa cuisse. Le liquide bouillonnait, il voyait la silhouette déformée de Bandit se débattre. Il y avait des petits bulles qui venaient claquer à la surface.

Ploc, ploc, ploc, que ça faisait.

Ça n'a pas duré bien longtemps. Mais quand on noie le chien de son fils, pas longtemps c'est déjà trop. Quand Kanan a fini par retirer sa main du tonneau, bleue comme une queue qu'on a serrée trop fort, Bandit ne se débattait plus.

Maintenant il arrêtera de brailler. Et toi aussi.

C'est tout ce que le père a trouvé à dire au fils, avant de retourner dans la maison. Et dans son lit.

Beathlag a bien essayé de repêcher le corps de Bandit, mais le chien avait coulé tout au fond. Et le petit garçon n'était pas assez grand pour aller le chercher. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était se mettre sur la pointe des pieds pour regarder son copain qui ne bougeait plus, la gueule et les yeux grands ouverts.

Quand sa mère l'a trouvé près du tonneau, elle a récupéré le cadavre et a aidé Beathlag à l'enterrer. Elle n'a jamais parlé de cette histoire. Même pas à Kanan. Valait mieux pas le contrarier, son mari.

De cette journée là, Beathlag Cawen n'en a gardé que de la trouille pour l'eau, et de la haine pour son père.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Darzel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0