XIV. Difficile retour parmi les vivants.

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Bien loin de me procurer le repos, mon sommeil ne m'a offert que des images d'horreur, me faisant revivre en boucle la nuit dernière. Je suis toujours aussi fatiguée, et je suis encore plus mal qu'avant. Je sens que j'ai cruellement besoin d'eau. Mes yeux refusent de s'ouvrir, et mes membres sont engourdis, comme plongés dans la glace.

Je me sens terriblement démunie. À découvert. Dans l'incapacité de me défendre, de revêtir ma carapace, d'être invisible. Je suis aveugle, alors que les autres pourraient me voir. Et ça me fait peur. Il n'y a sûrement personne dans cette plaine abandonnée, à part Alena et moi. Mais je ne peux m'empêcher d'avoir peur. La chose pourrait nous poursuivre, et nous dévorer nous aussi, comme elle l'a fait avec tout Liniorath et ses environs.

Et je ne veux pas mourir, moi. Même les yeux fermés, je suis capable de me projeter dans le futur, qui pourtant paraît si incertain en ces temps obscurs. J'ai peur.

- Inawan, réveille-toi, tu délires totalement !

J'ouvre subitement les yeux, et enfin la réalité se rappelle à moi.

Devant moi, Alena, qui me considère d'un œil inquiet. Derrière elle, les arbres qui, curieusement, ont perdu toutes leurs feuilles. Une espèce de brume épaisse nous entoure, et d'épais nuages recouvrent le ciel, nous cachant le soleil. Je suis gelée.

- Tiens, mets ça sur toi, ça devrait te tenir chaud. Tu trembles de froid.

Alena me tend une couverture qui semble venir de nulle part. Elle m'aide à m'enrouler à l'intérieur, car elle a raison, je suis frigorifiée. Désorientée, je jette des regards autour de moi, avec sûrement l'air hagard de l'Elfe qui ne comprend pas ce qu'il se passe, ce qu'il lui arrive.

- Ina, il faut que tu restes avec moi. Je crois que tu es malade. Mais tu ne dois pas t'inquiéter, d'accord ? Je vais faire du feu. Tout va bien se passer.

- D'accord... Je croasse. Ma voix est complètement brisée.

Ma compagne m'aide à m'adosser en position plus ou moins assise contre un tronc d'arbre, et s'éloigne un peu de moi pour faire son feu. Quelques minutes plus tard, la magie a fait son œuvre, et plusieurs flammes dansent dans le brouillard.

Mes yeux se posent sur la source de la chaleur bienvenue, et se fixent sur les danseuses. Aussitôt, je revois Liniorath en flammes. Moi, à terre, le feu se rapprochant dangereusement de mon visage. Visage. Celui de ma mère, ensanglanté. Sang. Tout ce sang sur les deux jeunes filles, sur mon père... Mort...

Je pousse un hurlement et me débats dans la couverture, fuyant du regard ce brasier qui me rappelle trop de mauvaises choses. Je tombe à terre et roule quelques pas plus loin, avant de me faire attraper par Alena qui me murmure de me calmer.

- Ça va aller, Inawan, je te le jure.

Non, ça ne va pas aller. Tout ce qui se rapproche de près ou de loin à du feu rappelle en moi ces souvenirs terribles. Et je ne peux pas le supporter. Des larmes chaudes viennent s'inviter sur mes joues, et Alena me replace contre l'arbre, pour finalement se mettre en position accroupie devant moi.

- Regarde-moi, Inawan. Regarde-moi. Ça va aller, d'accord ? Je sais que tu as vécu quelque chose d'horrible, moi aussi j'étais là. J'étais avec toi, tu sais. J'ai aussi perdu mes parents, mais je sais que c'était différent. Et moi, je ne les ai pas vus comme toi tu as vu les tiens. Je sais que c'est terrible. Je sais que c'est affreux. Mais tu dois m'écouter. Nous devons aller à Menaran. Je ne pense pas que ce soit très loin d'ici, il suffit de suivre le Nord. Il faut que tu sois avec moi. On doit faire quelque chose, avertir tout le monde, pour que jamais la chose ne se reproduise. Tu m'entends ? Il faut éviter que des gens vivent la même souffrance que toi.

De ses doigts, elle essuie chacune des larmes qui coulent sur mes joues.

- Ça viendra après, mais je sais que plus tard, quand tu iras mieux, tu auras envie de faire quelque chose pour honorer la mémoire de tes parents, pour faire en sorte que leur mort ne soit pas vaine. Mais ici, c'est toi qui doit être forte, parce que je ne peux pas être forte pour deux. Pour réussir, il faut que tu ailles de l'avant, et que tu guérisses, pour commencer. C'est une tragédie que tu vas devoir surmonter, et avec tout le temps qu'il te faudra. Mais Inawan, j'ai besoin de toi. Et je suis sûre que de là-haut, tes parents te regardent et espèrent que tu te relèves. Maintenant, mange, ou tu vas finir par geler sur place.

Elle fait une courte pause et me donne quelques baies, avant d'ajouter :

- Et ne regarde pas le feu.

À l'évocation des flammes, je tressaille, mais je finis par me calmer et par manger, ce qui me procure un bien fou. Alena trouve également de l'eau, et bois avec moi.

- Où est le serpent ? Je demande, tandis que son souvenir se rappelle brusquement à moi.

Une tête lumineuse émerge soudain de ma couverture. Deux yeux verts, presque turquoises, me fixent d'un air intéressé. Puis tout le serpent sort de sa cachette, pour s'appuyer contre moi, la tête sur mon cœur.

- Il n'est pas comme les autres serpents... je murmure, tandis que je passe ma main sur ses petites écailles blanches et polies.

- Il m'a l'air en effet fort expressif... Comme s'il savait ce que tu ressens. Tu veux lui donner un nom ? Il a vraiment l'air de tenir à toi...

- Mooni, je lance à tout hasard.

- Va pour Mooni ! Sourit Alena. Bienvenue dans le cercle des filles étranges... dit-elle sur un ton mystérieux, qui m'arrache à moi aussi un sourire.

Alena, et Mooni. Deux personnes pour moi toute seule, qui tiennent à moi et qui veulent m'aider.

Dans cette nouvelle noirceur qui me semble infinie, je crois maintenant apercevoir une deuxième lueur, de plus en plus grande, prenant la forme d'un serpent...

- On va s'en sortir, Inawan. On va s'en sortir, je te le promets.

Et elle s'installe à côté de moi. Je pose ma tête sur son épaule et m'endors à nouveau, dans l'espoir de faire de meilleurs rêves que ceux de la dernière fois.

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