VII. Brise la vitre et forge ton destin.

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Puis le bruit fatidique retentit. La sonnerie de l'Académie, qui annonce le début des cours. Je me lève en soupirant, et Merenda et moi nous rendons devant la salle d'études des plantes. Le temps passe plus vite en compagnie de ma nouvelle amie. Nous discutons, nous découvrons lentement. C'est étrange, cette sensation de la connaître depuis longtemps, alors que ça ne fait que deux jours que nous nous sommes rencontrées. Je suis à l'aise avec Merenda, et même si pour l'instant je n'ose pas tout lui dire, je ne peux m'empêcher de noter le petit tournant que prend ma vie. Il y a toujours l'oppression, le désespoir si poussé que ça en donne l'impression d'être fait exprès lorsque je relis les mots que j'écris dans mon carnet, mais cette sensation de légèreté et de partage... Est si délicieuse. Comme si je n'étais plus seule à porter ce lourd poids sur mes épaules.

C'est beau, l'amitié. Même celles de deux jours. Elles font du bien, elles rassurent, elles donnent l'impression qu'elles ne se briseront jamais. Chose que finalement, je n'avais jamais vécu, sauf en cycle primaire. Mais ce n'était pas la même chose.

- À quoi tu penses ? Me demande à nouveau Merenda, comme obsédée, à la fin du cours.

- Si je te réponds « à rien », je sens que ça ne va pas te plaire, je plaisante, pour détendre un peu l'atmosphère que je rends souvent lourde à cause de mes silences répétés.

- C'est exact, dit-elle sur le même ton.

- Alors, on va dire que je pense à l'amitié, et au fait que je sois heureuse lorsque tu es là.

- C'est très gentil de dire ça, Sahenann.

- Mais de rien, Merenda.

Je souris, vraiment cette fois-ci. Nous arrivons devant la salle de magie pratique, et le prof' nous invite à entrer. L'enfer peut commencer.

C'est une grande salle, avec de larges tables, des murs bruns, et un parquet grinçant. Une de ces anciennes salles pas encore rénovées. Il faut dire que Liniorath fait d'énormes progrès au niveau des infrastructures et des mécanismes que l'on peut activer grâce à la magie. La moitié d'entre eux sont inutilisables pour moi, je suis incapable de les faire fonctionner.

Je vais à ma place, et vois Merenda discuter avec le prof', qui ne l'a jamais vue. Elle fait un signe de tête vers moi, mais Maître Raanko est négatif dans sa réponse. j'en conclus donc que Merenda a essayé de négocier une place près de moi, ou l'inverse, et que cet idiot a refusé.

Je suis tout au fond, entourée de gens qui ne m'aiment pas. Ma voisine de table pousse mes affaires en grommelant des insultes à mon égard et je me retrouve avec 30 centimètres de table seulement. Déjà que j'ai du mal à appliquer la méthode, ceci ne va pas arranger les choses...

Ma voisine de table me pince le bras en ricanant discrètement. Je peste contre elle, mais malheureusement, nous sommes en cours, donc je ne peux rien faire. De toute façon, si je dis que c'est elle, tous diront que c'est moi. Alors je me contente de l'ignorer, tandis que le Maître commence son cours.

- Avant de commencer...

Bon, je retire ce que j'ai dit.

- Vous savez que demain se déroulera la cérémonie en l'honneur d'Estherell. Tout cela se déroulera sur la Place Lumineuse, dès l'aube. Je vous conseille d'être à l'heure, car comme vous le savez, Estherell ne vous accordera pas sa protection si vous ne la respectez pas. Rappelez-vous d'apporter une fleur d'automne, que vous cueillerez le jour même.

Les élèves acquiescent, sauf moi.

Je ne crois pas en Estherell. Je ne crois en personne.

Aujourd'hui, nous explique le Maître, on doit travailler l'illumination. Il nous explique qu'on va devoir faire briller un objet. La table, par exemple, devra produire sa propre lumière.

Je ne sais pas faire ça. On a déjà abordé le thème la semaine dernière, et j'ai été incapable d'émettre la moindre lumière, alors je saurai encore moins la transmettre à un objet. Je ne sais pas transformer les choses en soleils, moi. Ce n'est pas de mon niveau, diraient les autres. Mais ils sont peut-être dans le vrai, pour une fois.

Ma voisine, qui porte le doux nom de Mahin, me donne des coups de coudes, et elle me fait déraper sur ma feuille de cours, alors que je suis entrain d'écrire le déroulement des étapes pour faire s'illuminer des choses. C'est très frustrant d'écrire quelque chose que je ne pourrai jamais réaliser. Merenda le pourra, elle...

Les personnes qui sont derrière se joignent à la partie, eux aussi. L'un d'eux me donne un coup dans mon bras droit, me faisant encore déraper. Je commence à en avoir assez. Ma jambe prend un coup aussi, et je pousse un petit gémissement. Ils étouffent leurs rires, puis le prof' se retourne. C'est l'heure de la pratique.

Nous débarrassons nos affaires, la théorie écrite sur le tableau grâce à la lumière, et chacun prend un objet au choix, pour le faire s'illuminer. Déjà lassée, j'attrape mon crayon de bois, et une fois que tout le monde a son objet, nous commençons.

Mahin réussit au bout de deux fois. Impressionnée, j'observe sa feuille produire sa propre lumière, une douce lumière violette. En plus, ma voisine la fait léviter, ce qui donne un aspect féerique au tour de passe-passe.

Et moi, je suis là, avec mon crayon, les mains vides de toute énergie, aucunement capable d'une telle prouesse. En fait, ce n'est même pas la peine d'essayer. C'est comme si je tendais juste les mains devant moi. Rien ne sort, rien ne rentre. Tout est bloqué, les engrenages ne tournent pas. Je ne sens aucun flux d'énergie, celui que je devrais pourtant ressentir.

Je ne suis pas normale.

- Eh ben alors, s'esclaffe Mahin, la petite n'y arrive pas ? C'est normal, ce n'est pas de son âge...

Je ne réagis pas à sa boutade. Au lieu de ça, j'essaie de me concentrer, comme si, comme ça, d'un seul coup, il pourrait y avoir une petite once de magie qui s'échapperait de mes mains. Mais cette petite once ne vient jamais, et n'est jamais venue. Efforts vains et complètement stupides.

- Genre, Mahin, tu te sens pas trop gênée d'être à côté de cette chose ? Imagine, elle te contamine, et elle te vole toute ton énergie pour pouvoir faire de la magie ? Lance un garçon, Kroãni, derrière moi.

- Bah écoute, si elle essaie, on va la défoncer... mais t'as raison, je demanderai à changer de place, cette horreur sur pattes ne mérite même pas de me regarder.

Je serre les poings sous ma table, mais ne dis rien. Je fusille le crayon des yeux, comme si tout était de sa faute. Je prends aussi mon cahier, faisant semblant de m'intéresser à la théorie, comme si j'avais oublié un détail.

- Débile, nan mais tu crois qu'on t'a pas vue ? J'avoue, les idiotes comme toi ne devraient pas être ici. Tu n'as pas d'amis, tu prends tout mal, tu parles à personne, mais t'es qui ?

- Tais-toi, je dis un peu trop fort.

- Qu'est ce que c'est que ce boucan dans le fond ? râle le prof'.

Mes trois bourreaux me pointent du doigt. Je suis responsable, bien sûr. Toute la classe s'esclaffe, rit aux éclats. Ma voisine m'insulte, mais le prof n'y fait pas plus attention que ça, et reprend sa discussion avec un élève.

- Sahenanana, c'est une fille débile qui ne fondera jamais de famille, qui n'aura jamais d'amis, qui restera toute seule dans sa vie, et qui est tellement nulle que personne ne voudra l'aider. Elle aura jamais de mec ! Elle a jamais été en couple de sa vie, de toute façon !

- Trop petite, trop moche, trop stupide pour faire un simple tour de magie, mais c'est quoi qu'il te faut, l'exil ?

- Ouais, c'est bien l'exil, elle pourra plus jamais nous imposer sa présence.

Taisez-vous.

- Tout ce qui l'intéresse, c'est ses bouquins, qui parlent de dragons... Elle en aura jamais ! Elle ne fait partie d'aucun Clan !

- Et personne ne veut lui parler ! Même la Reine Hellen n'aurait pas assez pitié d'elle pour l'accueillir au Palais de Mezeï !

- Elle mérite pas la vie de château, de toute façon.

Fermez-la...

- Un grizzli, voilà ce qu'elle est. En plus, c'est une connasse. Elle veut jamais donner les réponses.

- L'intello, quoi. La fille qui parle à personne. Victime qui sait pas se défendre. Débile qui sait pas faire de magie.

Arrêtez !

- Elle mérite juste qu'on la tabasse, en fait.

- Nan, faudrait qu'elle aille se tuer elle-même, je suis sûre qu'elle ne se supporte même pas...

ASSEZ !

Et toutes les vitres volent en éclats. Les objets des élèves se renversent à terre, balayés par un vent terrifiant qui se calme immédiatement. De l'adrénaline parcourt mes veines, et fait frémir le moindre de mes pores. Mes mains sont bleues.

Les visages des personnes près des fenêtres sont ensanglantés, ayant pris tout le verre brisé dans la figure. Merenda comprise. Je suis debout, appuyée contre le mur, pendant que tout le monde me considère d'un air horrifié. Et moi, je suis terrifiée. Terrifiée par ces mains bleues. Apeurée par tous ces regards.

Retenant mes larmes, je m'empare de mon sac contenant mes cahiers et mon calepin, mon crayon qui curieusement est le seul objet resté sur sa table et je me sauve, laissant finalement échapper ces sanglots que je n'avais plus entendu sortir de ma bouche depuis longtemps.

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