VI. Une Lueur dans l'Ombre bienveillante.

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Stupéfaite, je ne trouve tout d'abord pas les mots pour exprimer ce que je ressens à la seconde où elle me fait cette révélation. Au bout de quelques secondes, qui m'ont parues interminables, je croasse lamentablement :

- Quoi ?

- Je ne te mens pas. Je vois les pensées de tout le monde, sauf les tiennes. C'est très désagréable, j'entends tout ce que tout le monde pense sur les uns et les autres, notamment sur toi, et crois-moi, leurs pensées ne sont pas très élogieuses.

Je ne lui réponds pas. Je me mords la lèvre inférieure. Ça me dépasse un peu. Je ne sais pas vraiment ce qu'il faut en penser.

- Je vais y aller, déclare Merenda. Je devrais éviter d'irriter mes parents... Même si en ce moment ils m'ignorent avec une force qui me sidère encore. Ils ne me le pardonneront jamais...

Avant que je puisse la retenir, ou même lui dire au revoir, elle se lève et sort de chez moi, sans un regard. Alors je reste là, les bras ballants, figée dans mon mutisme et mon étonnement. Personne ne s'est jamais confié à moi. Personne ne m'a jamais adressé la parole amicalement, sauf mes parents. Personne ne m'a jamais souri, même exception. Et voilà que s'incruste dans ma vie une jeune fille qui n'hésite pas à me raconter ce qui lui arrive. Le vent a donc enfin décidé de tourner ?

Le lendemain, je me rends à l'Académie, comme d'habitude. Sur le chemin, mes pensées voguent malgré elles vers mon père. Je ne peux m'empêcher de repenser aux bons moments passés avec lui, au dernier moment, aussi, celui empli de tristesse, d'effroi, de douleur. Celui qui a à jamais changé ma vie et celle de ma mère. J'ai comme une furieuse envie de pleurer, mais encore une fois, les larmes ne sortent pas. J'en suis incapable. Ça me brûle dans la gorge, mes yeux me piquent, et parfois ma tête tourne, et tout cela me noie dans un océan de sentiments que je ne peux pas extérioriser. De quoi perdre la raison.

Il n'est jamais bon de s'apitoyer sur son sort. Il n'est jamais conseillé de ruminer ce genre de pensées, de ressasser le mal qui nous entoure. Mais il arrive parfois qu'on ne puisse échapper à ces souvenirs, qui ne sont pas si vieux, quand on y pense. Et nos démons forcent à nouveau la porte, jusqu'à ce que je réussisse à la refermer. Perpétuellement.

Je reste plantée un moment devant les trois portes d'entrée de l'Académie. Elles ne sont pas très accueillantes. Grises, modernes, grandes ouvertes quand je suis devant, hermétiquement fermées quand je suis derrière. J'aimerais bien qu'elles soient fermées à clé, là, maintenant. Que je ne puisse pas les ouvrir. J'aimerais pouvoir faire demi-tour et rentrer chez moi. Mais c'est strictement impossible.

Avec réticence, je pousse l'une des portes et pénètre dans le hall du collège. Hall, qui au passage, est immense et bondé. Quand la porte claque derrière moi, je sens quelques regards se tourner vers moi. Je me mords la lèvre inférieure. Mes mains collées contre la porte, j'ai une soudaine envie de faire demi-tour. De disparaître. Mais arrêtez de me regarder, de me fixer ainsi !

Je vois un garçon de ma classe me pointer du doigt en ricanant, puis il retourne à sa discussion enflammée, ce qui me laisse supposer que j'en suis le sujet principal, au vu des regards à la va-vite et les sourires moqueurs.

Je traverse le hall à toute vitesse, tandis que je perçois des éclats de rire derrière moi. Génial.

Je m'assieds sur mon banc favori, celui du fond, celui que personne ne prend parce que c'est moi qui suis tout le temps dessus, ils auraient peur de se faire contaminer par la fille de la Lune Noire, comme ils disent... Et puis ce banc est à moitié pourri, alors...

Le matin, c'est toujours comme ça : je passe la porte, on rigole de l'idiote aux cheveux roux qui ne sait pas faire de magie, puis je me réfugie plus loin. Et lorsque j'oublie mon livre, je regarde les élèves se rassembler, former des groupes, alors que je suis dans mon coin, me rappelant de chacun de mes échecs pour me lier à l'un de ces groupes. Comme aujourd'hui.

Oraan, Sahenann.

Je lève la tête pour apercevoir... Merenda.

Oraan, Merenda. Ça va ?

- Ça va très bien. Je peux m'asseoir à côté de toi ?

- Bien sûr, j'acquiesce.

- Merci, me dit-elle en souriant.

Merenda s'assied, et observe ce que j'observe. Les élèves.

- Tu fais ça tous les matins ?

- Presque. En fait, c'est lorsque je n'ai pas de quoi lire.

- Pathétique, me dit-elle, un grand sourire aux lèvres.

- Je sais, je lui réponds, partagée entre l'envie de rire et celle de pleurer. Je finis par rire doucement, et reprenant mon sérieux, je lui demande :

- Ça s'est bien passé, hier, avec tes parents ?

- Eh bien, tu sais, ça s'est passé comme d'habitude, c'est à dire qu'ils m'ont totalement ignorée, et moi je suis allée me coucher sans même qu'ils me demandent où j'étais partie. En fait, chaque fin de semaine, le soir précédent les deux jours de congé, ils me font les comptes de ce que j'ai fait de mal pendant toute la semaine, et finissent par me hurler dessus. Mais j'ai l'habitude maintenant, tu sais. Ne t'en fais pas pour ça.

Elle hausse les épaules, et détourne son regard vers la cour, ou plus précisément, vers le groupe de Luzenn.

- Tu te rappelais qu'il y a une cérémonie en l'honneur d'Estherell, demain ? Me questionne-t-elle.

- Non, ça ne me dit rien, je lui réponds, étonnée.

- Eh bien moi, j'ai appris ça hier soir. Je rentrais chez moi, et j'ai croisé deux filles qui parlaient avec animation de cette cérémonie, une cérémonie importante, apparemment. Je pense qu'on va nous en parler aujourd'hui, on a cours de magie pratique.

- Oh, non.

- Qu'est ce qu'il y a ?

 -Je déteste ce cours.

- Mais pourquoi ?

 - Je ne sais pas faire de magie. J'en suis incapable. Je ne sais même pas faire voler une plume. J'ai beau tendre les mains, des dizaines et des dizaines de fois, tu verras par toi-même, ça ne mène à rien. Je suis complètement nulle.

- Ne dis pas ça, me reproche Merenda. Je t'aiderai, si tu veux.

Et en disant cela, elle prend ma main, et la serre fort dans la sienne, comme pour me persuader que tout ira bien.

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