II.2. Tache de lumière dans un noir complet.

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La sonnerie retentit. J'empoigne mon sac de cuir en bandoulière, et je me range, pour attendre le prof de langues anciennes. J'aime bien cette matière, il n'y a pas de pratique. Mais je n'aime pas le cours, parce que c'est vraiment le bordel.

Dès le début de l'heure, cinq, six personnes se mettent en rond autour d'une table du fond, dont Luzenn et son amie. Puis ils parlent, ils parlent, sans discontinuer, et parfois, j'entends mon prénom. Sahenann. Il m'arrive de le détester, ce prénom, parce que les sonorités se superposent au ton qu'ils emploient quand ils le prononcent.

Ça m'exaspère de les entendre parler et chahuter, on ne peut pas se concentrer, et le prof' fait semblant de ne rien voir. Je suis sans cesse la seule à lever la main. En plus, on étudie un nouveau temps pas évident à maîtriser, alors ce ne sont pas les meilleures conditions.

Mais aujourd'hui, je ne suis pas la seule à m'intéresser au cours. Il y a une jeune fille aux cheveux noirs longs et bouclés qui est entrain de parler au prof. Celui-ci acquiesce à ce qu'elle dit, et il note la date au tableau.

Je me concentre sur l'exercice qu'il nous donne et que personne ne fait, et une fois que j'ai terminé, je lève mes yeux vers l'inconnue. Je ne l'avais jamais vue. Peut-être que c'est une nouvelle, mais le directeur nous l'aurait présentée, non ?

Au bout d'une heure, la sonnerie retentit enfin, je range mes affaires en vitesse, parce que certains ont la manie de me les prendre pour que je les retrouve dans le couloir.

C'est l'heure d'aller en histoire. L'ambiance sera certes plus calme...

Après l'histoire, c'est la récréation, et je retourne m'asseoir sur mon banc. Dix minutes de pause avant... la natation. Youpi.

Je regarde les gens passer devant moi. Au moins, ils ne m'accordent aucun regard. Je préfère ça. Être invisible, dans ma situation, c'est tellement pratique. Je fais tache avec mes cheveux roux. Parfois, tout le monde me reluque et on n'en finit plus avec les regards, parfois on m'ignore totalement et je suis bien mieux ainsi.

La sonnerie retentit encore, et je vais me ranger dans la case de l'EPS. Juste une torture quand on fait un sport co, et quand on a natation. Et qu'on s'appelle Sahenann, et qu'on a l'étiquette « idiote de l'Académie » collée sur le front. Même sous l'eau.

Dix minutes plus tard, nous sommes tous au bord du bassin, je désespère d'être là, Oria et Meven se moquent de moi discrètement. Ah, Oria, la grande amie de Luzenn...

Le prof' nous explique ce qu'on doit faire, mais je n'écoute pas trop, parce que ça ne me concerne pas. Je suis dans le petit groupe des « petits poissons », même si techniquement, je sais nager une ou deux longueurs sans m'étouffer. J'ai un léger problème à ce niveau là. La respiration. Autant j'aime courir et réguler ma respiration lorsque je le fais, autant l'eau... Ça ne se respire pas. Pas à ce que je sache.

Je n'ai pas de branchies.

On nous explique l'exercice qu'on doit faire, et je saute dans l'eau, en me propulsant. J'aime tellement l'eau, mais lorsqu'il s'agit de faire des longueurs, il n'y a plus personne. J'ai du mal. Mais là, à frôler le sol de mes doigts, je me sens bien. Il n'y a pas de bruit autre que celui des bulles qui sortent de ma bouche.

Puis il est temps de remonter à la surface. Puis de nager. De bouger les bras, de me donner de la vitesse. Battre des jambes, éclabousser la personne derrière sans le faire exprès. Bientôt, Oria me dépasse. Je vais beaucoup trop lentement, et je suis obligée de m'arrêter pour reprendre mon souffle. Parfois, je remonte même sur le bord, car l'eau m'oppresse, et m'étouffe, quand je fais de gros efforts. Étrange, mais ça a toujours été.

Enfin, je parviens au bout, puis je dois faire le même chemin dans l'autre sens, en me propulsant en appuyant sur le mur avec mes pieds. Je dois trouver la force de passer en-dessous de deux obstacles sans remonter. Je me lance. J'en passe un avec appréhension, la tête de coin pour regarder si je l'ai bien passé. Mais le deuxième est trop loin, je m'arrête juste devant et sors la tête de l'eau pour respirer. J'en ai déjà assez.

Au bout de vingt minutes, je peux sortir de l'eau, après avoir fini l'exercice. Le prof', occupé auprès d'un nageur qui lui demande quelque chose, ne nous voit pas. Oria et Meven s'en sont aperçues, d'ailleurs. Elles en profitent pour me frapper sur la tête en rigolant. Puis Meven me frappe encore, et je finis par me baisser pour les éviter.

- T'es vraiment qu'une merde ! s'exclame Meven, en me regardant d'un air dégoûté.

- Vous êtes pénibles... je soupire.

- Bah justement, c'est le but ! Ricane Oria.

Et puis tout le monde s'éloigne de moi. Je m'assieds sur le bord, trempe mes pieds dans l'eau. Je ressens encore la claque que Meven m'a donnée. J'ai le visage trempé, personne ne voit la petite larme qui s'échappe de mes yeux. Si jamais je vais en parler au prof', j'en subirai les conséquences. Ou alors il me dira que la prochaine fois, il y aura sentence. C'est toujours comme ça. Ils prennent tout à la légère, j'ai parfois l'impression que les adultes se foutent pas mal de moi.

Ils doivent penser que ce ne sont que des chamailleries de camarades...

- Pourquoi t'ont-elles frappée ?

L'inconnue du cours de langues anciennes est à côté de moi. Elle s'assied à côté, trempe elle-aussi ses pieds dans l'eau, et me regarde. Je le sais, je la vois de coin, mais j'observe les vaguelettes de l'eau. Pas question de la regarder dans les yeux, je n'aime pas ça.

- Je ne sais pas, va leur demander...

- En fait, c'est à toi que je pose la question.

La rapidité avec laquelle elle répond me surprend. Je ne sais pas quoi répondre. J'agite mes pieds dans l'eau, créant des ondes. Je suis fascinée, et je réfléchis.

- Elles ne m'aiment pas. Personne ne m'aime, de toute manière. Un jour, ils trouveront le moyen de me frapper, encore. J'ai l'habitude, si on peut dire ça.

- Il ne faut jamais dire ça. Avoir l'habitude ? Tu te fais harceler ?

- Chut. Je... On en parlera plus tard.

Je saute dans l'eau, prête à refaire une longueur juste pour ne pas avoir à continuer cette conversation. Ça fait mal, et il y a du monde autour.

Je m'apprête à plonger sous l'eau, dans le silence, mais elle me dit encore :

- Je m'appelle Merenda.

- Sahenann...

- On mange ensemble ce midi ? Lance-t-elle de but en blanc.

- Heu... Si tu veux...

Et je plonge sous l'eau, en pensant que je ne vais pas manger seule, pour une fois. Je prendrai peut-être de l'entrée. Ça dépendra de mon appétit.

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