Contexte

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Une visite s’imposait.

Tippe Bona était riveraine et naine, dotée d’une haleine volée à une meute de chacals et d’un caractère de vieux dragon polyrhumatismique ne se réchauffant qu’au cognac sans alcool. Une mocheté ambulante, courte sur pattes, basse d’étage, haute en roguerie, large en trop, tout en os, rien qu’en os, à tel point que même un ver de lente n’aurait pu y trouver assez de chair pour se boucher une dent creuse. Une voisine, certes, mais cette bécasse n’était pas sa cousine. Toutefois, qui sait s’il ne trouverait pas nourriture à son nez durant le voyage ? À défaut, il essaierait de subtiliser quelques lapins corps-nus.

Il prit son envol vers l’intérieur des terres. Une heure à survoler un paysage sans nuage, bordé d’une mer de plomb et dominé d’un ciel déteint, puis ce serait une petite demi-heure au-dessus de la propriété de Tippe avant d’atteindre la colline éternelle. Il devait simplement prendre garde de temps à autre à rectifier le cap. Il tirait trop à droite, à l’instar de nombreux ancêtres. Plus jeune, il avait eu le défaut inverse, toujours trop à gauche, mais depuis qu’il avait fait sauter les vingt-trois verrues de l’aile droite, ses objectifs avaient tendance à rouler comme si la gauche n’existait pas. Un signe de vieillesse, il en était conscient, mais pas de sénilité. Il essayait de s’en persuader.

Il fit une pause à la frontière des terres occupées par Tippe. On ne pouvait pas la rater. Un double grillage de deux mètres de haut bloquait tout passage, flanqué d’un portique encadrant deux grandes portes de chêne hostiles bardées de cadenas sourds et rouillés dans leurs prérogatives ; le rempart de barbelés suffisait à donner envie de passer son chemin. Les arguments de Glasscroc s’abimaient de perplexité à la vue d’une telle idiotie. Il n’ignorait pas être l’indésirable le moins désiré de Tippe. Mais comment pouvait-elle être aussi conne à s’emmerder à entretenir une clôture qui ne servait à rien ?

D’un coup de queue, il prit son élan et s’éleva au-dessus de l’obstacle.

L’enclos offrait un spectacle désolant. Tippe s’était mise en tête de faire fortune dans la matière première. Sa lubie : le coton. Des champs de coton ! Aussi loin que portait le regard, ce n’était qu’une étendue déprimante de blanc moutonneux, à tel point que Glasscroc en frissonna, se voyant transporté au pôle nord, à défaut d’entendre des trémolos ovins. Il chassa le froid et bascula son imagination sur plus agréable : on aurait éventré le dernier ogre, qui n’existait plus qu’aux veillées, pour en sortir tous les moutonneaux morts depuis des lustres. Les ogres avaient toujours eu le dos large et le ventre trop rebondi pour les inspecteurs de peau, ce qui n’était pas pour déplaire aux dragons et aux amateurs dominicaux de barbecues. Quand même, ça en faisait des morts qui s’étaient laissés tuer sous le prétexte de nourrir les nations… Glasscroc secoua ses oreilles d’orge. La soupe d’ormeau du matin lui remonta le long des narines et il revint à ses… au but de son périple. Afin d’exorciser sa faim, il se mit à chanter, aussi faux qu’une meringue : « It’s a long way to Tippe rary, it’s a long way… » Rien de tel pour remonter un mort à la peine !

C’est tout guilleret qu’il réussit son atterrissage sur la colline éternelle.


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