Chapitre 1 - On me nomme L'Assassin.

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 Les draps de chanvre, rugueux et imbibés de sueur, lui collaient à la peau. La paille l'assaillait sous le tissu et une chaleur étouffante s'engouffrait par bourrasques régulières dans la chambre étroite. Le soleil, fixe en toute heure de la journée, rayonnait sur le plancher décoloré à travers la fenêtre dépourvue de volet, illuminant d'innombrables particules de poussière en suspension dans l'air.

 Un homme se leva avec peine, tiraillé par la fatigue, l'esprit embrouillé, et s'approcha d'une écuelle emplie d'eau. Sans égard pour les lattes de bois qui grinçaient sous ses pas lourds, il déversa la baille sur son corps fiévreux avec un soupir satisfait.

 Il se délecta quelques secondes des perles de fraîcheur qui glissaient sur sa chair nue, puis se dirigea vers le pied de la literie où s'entrelaçaient ses effets. Des bandages usés qui lui servaient de haut de fortune, des chausses en lin, des bottes en cuir, une bourse et un grappin artisanal. Habillé, il se saisit de sa dernière pièce d'équipement et la noua sur le dessus de son avant-bras gauche : un fourreau surmonté d'une lame courbée en acier.

 Il quitta la chambre et descendit l'escalier de guingois. Un fort fumet de viande éveilla ses sens. Ses narines s'enivrèrent, ses papilles pétillèrent, et son regard s'aventura plus avant dans la grande salle qui s'offrait à lui. Parsemée de tables et de chaises ordinaires, seuls les murs en pierres claires apportaient quelque vivacité à la pièce principale de l'auberge, agrémentés çà et là de teintures rouges et blanches, couleurs de la ville de Neizies.

 Derrière le comptoir, dont la façade en bois accusait le poids des années, attendait le tenancier, bien en chair, le crâne dégarni, le visage raviné. Il actionna un signe de la tête à l'attention du nouveau venu.

 Une tablée encore décorée de couverts en étain et d'un déjeuner à peine entamé se lamentait, solitaire, d'un abandon précipité. Un plic-ploc régulier résonnait dans le silence. L'homme aux bandages plissa les yeux et distingua une faible pluie qui s'échappait du plafond pour s'écraser sur de petites cailles. Une flaque s'étendait à terre, luisante de graisse.

  • Les clients s'sont sauvés après s'être fait arroser. Ça vient d'votre chambre, j'mets ça sur votre note, étranger.

 L'accusé s'approcha du comptoir, fouilla sa bourse sans y jeter un regard, et fît apparaitre une pièce d'argent du bout de ses doigts. Un sourire se dessina sur son visage ; c'était largement suffisant pour payer le repas et allonger la durée de son séjour.

  • Mes excuses. Il semblerait que je vais rester plus longtemps. Pas de problème ? demanda-t-il en offrant l'argent à l'aubergiste.
  • Vous savez c'qu'on dit, le client est roi, pardieu. Vous m'avez pas dit votre nom, la dernière fois, comment qu'on vous appelle par chez vous, étranger ?
  • On me nomme Lass Asshain.

 Le tavernier, d'abord surpris, s'amusa du nom de l'homme, le visage devenu affable.

  • Qu'y a-t-il ?
  • C'est rien, faites-y pas attention. C'est qu'un assassin qui s'présente comme tel doit pas être bien d'mauvaise intention, surtout après m'avoir payé une si grande avance. Pourquoi un tel surnom, l'ami ?
  • Il en est certains qui vous suivent malgré vous, et ce depuis toujours, répondit Lass, un sourire las aux lèvres.

 L'aubergiste s'esclaffa.

  • Je comprends bien, pour sûr. (Il pointa des yeux la tache rougeâtre, presque noire, qui s'étendait sur le flanc droit de l'homme) Et pis, vu votre dégaine, s'cusez-moi pour ça l'ami, mais ça va pas aller en s'arrangeant. Si vous souhaitez, sur votre droite en sortant, y'a un lavoir. Les bonnes femmes qui l'tiennent vous poseront pas trop d'questions si vous vous la jouez pas bavard. Et si vous faut un médecin...

 Lass l'interrompit d'un signe de la main.

  • Sans façon. En revanche, je veux bien le chemin de la Maison des mercenaires.
  • Un mercenaire, hein ? J'en aurais mis ma main dans l'cul d'une vache. Un gars dans votre genre vient pas à Neizies pour vendre ses fromages, ça s'remarque comme le pif au milieu de la figure. R'marquez, vous risquez pas d'trouver grand-chose, par ici. La région est plutôt calme, et ça fait plusieurs mois qu'un monstre a pas fait parler d'lui, ou qu'une bête nous a pas donné du grain à moudre. C'est plutôt la sécheresse, l'plus gros souci... M'enfin, je parle, je parle, c'est la marotte à notre âge, allez-y par vous-même, vous verrez bien ce qu'il en est. La guilde des merc' s'trouve dans une petite rue à côté de la place du parvis. Prenez à gauche en sortant, et suivez la grand-rue, vous finirez par tomber d'ssus.

 Le mercenaire le remercia et s'enfuit par la porte de sortie, assommé par le discours éparpillé du tavernier.

  • Pis, restez pas trop au soleil, y tape dur ces derniers temps !

 Lass ne se risqua pas à répondre.

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