49.5

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Bonjour. Il ne reste que quelques épisodes, que je vais poster avant ce soir...

Aujourd'hui, cette histoire prend fin ! Préparez-vous :'0

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– Essaie de t’interposer et je te fais sauter des dents, jeta-t-il vers Raffe.

Il attrapa la cheville gauche du vieillard, puis il chercha du regard une arme ou un outil. Quand il avisa une pioche abandonnée qui jonchait le sol près du mur, je me fis violence pour ne pas cacher mon visage dans mes mains. Un odieux souvenir voila ma vision, celui de Nasti, penchée sur moi. Ma cheville réduite à une loque tordue sous une pierre énorme… Quand le grand corps chaud d’Auroq m’enlaça, je tentai de respirer malgré mes haut-le-cœur.

– Qu’il cesse… ordonnai-je tout bas. Empêche-le, Auroq… personne ne mérite cela…

Un hurlement de douleur ignoble me fit tressaillir. Puis un bruit de lutte. Cet Ours était mon ennemi et celui de mon peuple, il avait tué ma sœur, ma mère, ma compagne et tant d’autres… Et pourtant sa souffrance m’écorchait l’âme. Était-ce dû à son âge, ou le fait de le voir ainsi, sans défense ? Auroq me caressa le visage, déposa un baiser sur chacune de mes paupières.

– Non, ma Picta… C’est la vengeance d’Asterior… pour la mort de Pali, de Tiukka et de toutes les autres. Paz est à lui.

Il me saisit la main et me mena devant la porte. Avant que je n’ai pu reprendre mes esprits, la clé fit cliqueter le lourd verrou. Puis le battant s’ouvrit dans un claquement sec.

Une arche de lumière se découpa d’un coup dans la pénombre, un halo blanc et froid se déversa sur nous. C’était la lueur naissante de l’aube. L’air frais du petit matin s’engouffra dans la Maison, incroyablement pur, balayant les odeurs de moisi et de poussière, balayant même l’horreur de ce que je venais de voir. Il chassa le chaos de mon esprit, toutes mes émotions et mes pensées. Au-dessus de la prairie, le ciel déployait des nuées étoilées. Droit vers l’est, derrière les troncs noirs de la gigantesque forêt, une lueur pâle commençait à nimber l’horizon. Et devant tout cela… Un étrange comité d’accueil nous fixait.

– Allez, souffla Auroq à mon oreille. Sors d’ici. Rejoins-les.

Comme je ne bougeais pas, tétanisée, il me poussa doucement.

– Picta, ce qui se passe ici ne te concerne plus.

– Dépêche-toi, Picta, souffla Hatsu qui, par je ne sais quelle magie, se trouvait maintenant près de moi. Allons-nous-en… Je ne veux plus entendre ça.

Mais ça m’empêchait justement de partir ; c’étaient les insultes, sanglots et menaces sordides qui régnaient encore derrière nous. C’était Asteior qui laissait libre cours à sa rancœur, Asteior qui devenait une ignoble brute… Mina me prit par le bras pour me guider, comme si j’étais l’enfant et elle l’adulte ; ses sœurs firent de même avec Grenat. Alors je me laissai emmener. Lentement, toutes les nôtres nous rejoignirent. Un pas tremblant, puis deux… Je n’osai croire au contact de l’herbe, du sol humide de rosée. Incertaine, je contemplai les êtres qui nous faisaient face. Ils semblaient nous attendre.

Il y avait là de nombreux Ours au pelage sali de terre, parfois maculé de pétrole ou de sciure de bois, et aucun n’avait l’oreille coupée. Des jeunes, des vieillards… Celui qui se trouvait à leur tête me coupa le souffle, par sa ressemblance avec Auroq. Il ne s’agissait pas là d’une attitude, d’un regard, comme avec son neveu Muto. Non, celui-là partageait le sang d’Auroq, le même faciès. Les généalogistes ne séparaient pas les fratries, je le savais. Cela devait être lui, ce frère déçu par ses fils adoptifs, dégoûté par la Maison, qui avait continué de miner année après année… Il avait le visage plus jeune qu’Auroq et pourtant le corps plus vieux, les doigts déjà abîmés et tordus, les yeux injectés de sang. Des yeux pourpres…

Il avisa ma canne, puis croisa mon regard. Sans rien dire, il inclina la tête.

Près de lui se tenait l’être le plus étrange que j’aie vu de ma vie. À quatre pattes comme un animal, il était proche d’un Ours, mais un Ours énorme, à la fourrure épaisse et aux traits grossiers. Les pattes griffues qui lui tenaient lieu de mains, son museau trop long, son front bas, toute sa difformité lui donnait l’air d’une bête obtuse. Mais ses yeux brillaient d’intelligence, minuscules et vifs comme des éclats de rubis. Ils étaient rouges, eux aussi.

Il s’avança vers nous et je pris sur moi pour ne pas me recroqueviller quand son ombre me recouvrit.

– Celles-là doivent enlever l’habit, dit-il d’une voix grave et à peine articulée, guère plus qu’un grognement. Personne porte d’habit dehors.

Désarçonnée, je portai la main à mon col en même temps que Mina.

– Nous aurons froid si nous nous dévêtissons, balbutiai-je.

La différence de cet être me dérangeait, bouleversait tous mes repères, mais je ne voulais pas le montrer.

– Froid ? se moqua-t-il. Celles-là auront pas froid quand les poils pousseront.

Je fronçai les sourcils, choquée par sa réplique insensée. Je me retournai vers Auroq, quêtant de l’aide, mais il n’était pas là. Derrière moi se trouvaient les nôtres, puis les rangs des Dames inconnues, puis les Ours qui avaient fui avec nous. Et ensuite la gueule noire, béante, de la porte ouverte de la Maison, qui laissait échapper des bouffées d’odeurs lourdes. Plus personne ne criait, ne jurait à l’intérieur. Le silence régnait. Un silence mortel. Mes poils se hérissèrent dans ma nuque.

– Auroq !

Je fis demi-tour et les nôtres s’écartèrent sur mon passage. J’oubliai l’étrange Ours et tout le reste. Je songeai à ce maudit neveu qui avait déjà tenté d’attaquer Auroq dans le dos… L’angoisse rendait mes mains glissantes. Restait-il encore un être vivant là-dedans, ou s’étaient-ils tous entretués ?

– Auroq, coassai-je.

Pas de réponse. Je franchis la porte, les poumons vides d’air, le cœur à vif. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Pas alors que nous étions si proches de la liberté, alors qu’il avait réussi à nous sauver toutes !

Mes yeux mirent du temps à s’accoutumer à l’obscurité. Je finis par distinguer Auroq et Asteior, debout, qui me tournaient le dos. Le soulagement me coupa les jambes. Plus loin, deux corps gisaient, étroitement enlacés… Même soumis aux pires supplices, le vieux Paz avait refusé de quitter son compagnon ; et malgré la haine que je lui vouais pour tout ce qu’il avait fait, cette vision tragique m’ébranla jusqu’aux os. L’état de sa cheville gauche me glaça le sang.

Asteior… quel monstre es-tu devenu pour torturer ainsi un vieillard ?

Près d’eux pleurait une silhouette agenouillée… Raffe. C’était lui que regardaient Auroq et Asteior.

– Vous avez pas le droit, cracha-t-il entre deux sanglots.

Je m’approchai très doucement. Les traits déformés par l’horreur, il regardait tour à tour Auroq, Asteior et les deux rebelles réduits au silence.

– Viens avec nous, Raffe, lui dit son oncle. Il n’y a rien de bien pour toi, ici.

– Comment j’pourrais venir ? Après ça ? Après ce que vous avez fait à Paz et Roc ?

Il serra les poings. Un côté de son visage était enflé et je me demandai si ce coup était l’œuvre d’Asteior ou d’Auroq.

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