49.4

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Bonjouuur ! L'hiver est là *-* Est-ce qu'il neige chez vous aussi ?

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Là-bas, le neveu d’Auroq observait la scène, son visage étroit dépourvu d’émotions. Mais derrière lui, je vis soudain arriver un autre Ours… Un instant, je crus voir double tant ils étaient semblables. Mais le nouveau venu semblait taillé en pierre et en muscles, là où le garçon muet était souple et mince comme un roseau. Ce devait être son frère… Raffe. Il avait le visage noble et grave. Une expression indicible passa sur ses traits quand il prit toute la mesure de la scène qui se jouait là. Personne ne l’avait encore vu.

Quand il s’approcha dans le dos d’Auroq, les muscles bandés et les yeux étrécis, un atroce pressentiment me contracta tout le ventre.

– Auroq ! Derrière toi !

Mon Ours évita juste à temps le coup furieux que lui assénait son propre neveu.

– Raffe !

Il recula hors de sa portée, parut chercher ses mots.

– Je ne veux pas me battre contre toi !

– Il faudra bien, pourtant ! hurla le jeune Ours, front baissé et poings serrés. Tu viens de tuer Roc ! Tu es devenu fou ? Pourquoi tu m’as fait venir, pour me tuer aussi ?

– Dis pas de conneries, gamin ! gronda Asteior, qui repoussa du pied le survivant en pleurs. Cette raclure le méritait. Et l’autre y passera bientôt !

À ces mots, un grand effroi passa sur le visage du jeune. Il se jeta devant le vieillard et se mit en garde, prêt à le protéger.

– Arrêtez ! (Son cri choqué, plein d’incompréhension, me hérissa la nuque.) Pourquoi vous faites ça ? C’est Paz !

– Paz aurait dû mourir il y a bien longtemps, et de ma main ! lança Auroq. Je quitte la Maison, mais sa mort sera mon cadeau d’adieu. Ouvre les yeux, Raffe ! Ce type est un chancre. Il a fait de vous des tueurs et des violeurs, quand tout ce que vous vouliez était la liberté !

– Il nous a donné la Maison et les blanches ! Tu dis n’importe quoi. Paz a toujours tout fait pour les nôtres !

Le regard sombre d’Auroq tomba sur lui comme une pierre.

– Je n’aime pas ce qu’il a fait de vous. Ce qu’il a fait de toi.

Le jeune Ours se figea.

– Combien de Renardes comptais-tu forcer en rentrant de ta nuit de chasse, Raffe ? asséna son oncle. As-tu seulement échangé un mot avec l’une d’elles ? Tu sais ce que je pense de tout ça !

Un rictus méprisant tordit les lèvres de Raffe.

– Ça sert à rien de parler aux blanches ! Elles sont bonnes qu’à mentir et tromper. La seule chose de valeur qu’elles possèdent, c’est le tunnel dans leur ventre !

Il me lança un regard si furibond que je faillis reculer d’un pas. Mais je me maîtrisai et levai le menton avec défi, l’esprit marqué au fer rouge par la colère.

– Regarde ce qu’elle t’a fait ! jeta-t-il. C’est à cause d’elle que tu nous a trahis. C’est à cause d’elle que tu préfères les blanches à notre peuple ! Qu’est-ce qu’elle a de plus que les autres, cette estropiée ?

– Ne parle pas de Picta comme ça, cracha Asteior. Ou tu te retrouveras boiteux toi aussi, sale petit con !

Auroq contemplait son neveu. Son regard charriait une grande tristesse. Il montra la grosse clef plate qu’il tenait à la main.

– Si je voulais que tu viennes, c’est pour te proposer de venir avec nous. Fais ton choix, Raffe.

– Quoi ? cingla le jeune Ours. Fuir ? (Il dévisagea Auroq, furieux et troublé à la fois.) J’te reconnais pas, tonton. Tu fais n’importe quoi…

– Je te donne l’occasion de te racheter. De créer quelque chose de mieux, ailleurs, avec nous. Muto vient lui aussi, mais je n’ai pas fait appeler Erko. Votre frère a trouvé sa place dans la Maison, il a une compagne, il veut devenir père. Mais toi… Regarde-toi, Raffe… Tu vas chasser si loin qu’il te faut des jours pour revenir, puis tu violes presque autant de Renardes que tu as tué de bêtes…

– Me racheter ? J’ai rien à racheter. C’est ce que font les Ours, c’est comme ça qu’on vit. Je suis ici chez moi, mon oncle ! Pars si tu veux. Partez tous ! (Une onde de détresse passa sur son visage.) Une trahison de plus ou de moins…

Auroq le regarda un long moment, silencieux.

– Je ne suis plus ton oncle, mon garçon… J’ai cessé de l’être il y a longtemps. J’ai cessé de l’être cette nuit-là, quand tu as violé une fille de cinq ans ton aînée parce que tu en avais la force et l’occasion, parce que tu voulais imiter Paz, cette ordure, ce déchet contre-nature…

La rage, la douleur et la trahison se mêlèrent dans les yeux de son neveu.

– Tu n’as plus d’oncle, et tu n’as plus de père. Depuis quand n’as-tu pas vu Sperar ? Pourquoi reste-t-il à la mine, à boire jusqu’à la déraison et à forer comme avant, sans jamais venir nous voir ? À ton avis ? Il a honte, Raffe. Il a honte de ce que ses fils sont devenus, de ce qu’ils ont fait.

Malgré moi, l’expression du jeune Ours me fit mal.

– Tu mens ! Arrête ça. Il préfère les tunnels. Il ne se sent pas bien dans la Maison.

Auroq sembla si épuisé, si las qu’il parut soudain avoir vieilli de dix ans. J’eus l’envie étrange d’aller m’interposer, d’aller le soutenir. Mais je n’en avais pas le droit. C’était entre lui et son neveu ; je n’avais pas ma place parmi eux.

– C’est ce qu’il t’a dit, Raffe ? Vraiment ?

Il se détourna.

– Repose-lui la question la prochaine fois.

Ses yeux pourpres tombèrent sur le vieux Paz. Courbé sur le corps de son compagnon, il avait posé une main sur son visage enfoncé, ensanglanté, et avait fermé ses paupières. L’autre pendait, inerte, au bout de son bras brisé. Quand il croisa le regard d'Auroq, il articula faiblement :

– Putain, c’est moi que vous auriez dû tuer. C’est moi que tu rêves de buter depuis quinze ans, pas vrai ? Moi, pas lui ! Alors pourquoi, pourquoi c’est lui qui est mort, fils de salope ?

Auroq détourna les yeux.

– Toi, ferme ta gueule ! aboya Asteior. Tu comprends pas qu’on est enfin quittes ? (Il nous désigna d’un grand geste.) Tu vis juste ce qu’elles ont vécu, ce qu’on a tous vécu ! Voilà ce que ça fait ! Tu l’as tué il y a des années, Roc, si tu veux savoir ! Un jour ou l’autre, fallait que vos putains de crimes vous retombent sur la gueule.

Il jeta vers mon Ours :

– Auroq ! Ton tour.

– Non… Tue-le si tu veux, Asteior. Peu importe pour moi. Il est temps de partir.

Désarçonné par sa voix terne, Asteior hésita. Il fixa le vieux rebelle, puis finit par l’envoyer bouler d’un coup de poing dans la mâchoire.

– Tu as raison, j’ai une meilleure idée.

Quelque chose de venimeux luisait dans ses yeux, et je commençai à avoir peur de cet inconnu, de ce nouvel Asteior dont l’âme semblait aussi noire que le pelage.

– S’il te plaît, Asteior… lança timidement ma sœur près de moi. Partons… Laisse-le… Il a bien assez souffert.

– Non, Grenat, répliqua-t-il d’un ton doux qui me donna la nausée. Pas assez encore. Je sais ce que je vais faire de lui. Ce serpent va finir estropié comme Picta… et muet comme le jeunot qu’il humilie tous les jours depuis quinze ans. Voilà ce qu’il mérite. (Sa voix baissa jusqu’à n’être qu’un souffle.) Avec un peu de chance… ça lui apprendra ce que c’est d’être moqué de tous.

Raffe se jeta sur lui avec un cri rauque. Il suffit d’une torsion et d’un coup de pied à Asteior pour le faire tomber. Les yeux rougis, les joues luisantes de larmes, le vieux Paz observait la scène. Il ne cherchait pas à fuir, ni à se défendre. Il restait là, une main posée sur le visage détruit de son compagnon, comme s’il ne voulait pas le quitter.

– Te mêle pas de ça, Raffe ! rugit-il quand le neveu repassa à l’attaque. Dégage de là, remonte dans les étages ! Tu vois pas qu’c’est trop tard pour moi ?

– J'les laisserai pas faire, gronda le jeune en esquivant in extremis un coup d'Asteior. Faudra qu'ils me passent dessus avant de t'avoir. On laisse jamais tomber l'un des nôtres, tu t'souviens ? C'est toi qui m'a appris ça, vieux gâteux !

Le vieillard passa une main tremblante sur son visage. La réplique l'avait touché, et touché profondément d'après son expression.

– C'est pas vrai... Ils vont finir par te tuer toi aussi, espèce de p’tit con !

Le jeune jeta un regard douloureux vers Auroq. Il avait les yeux très bleus, clairs comme un ciel d’été, et ses émotions y étaient aussi lisibles et pures que des filigranes dans du cristal.

– Non, ils me tueront pas… ou alors… ou alors j’ai vraiment plus d’oncle.

Asteior asséna un violent coup de pied dans le ventre de Paz, qui se plia en deux.

– Essaie de t’interposer et je te fais sauter des dents, jeta-t-il vers Raffe.

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