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Deuxième épisode du dimanche :) Bonne fin de week-end tout le monde !

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– Non, Asteior, lança Auroq alors qu’il tournait déjà les talons. Arrête ça. Tu as promis de m’aider. (Il désigna Grenat, entourée de ses filles, qui s’était assise au sol, les bras autour des genoux.) On a besoin de toi ici.

– Personne n’a plus besoin de moi. La seule qui ait jamais eu besoin de moi est morte ! Et nos filles avec elle, c’est certain.

Même à distance, je le voyais trembler de rage – ou peut-être était-ce de chagrin. Tremblait-on, lorsque la douleur était vive à ce point ?

– Tu ne peux pas tout foirer en tuant Paz ! rugit Auroq en se relevant. Les miens vont t'égorger et tout sera fini. Si nous perdons la clef, nous perdons tout ! Tu as oublié le plan ?

– Le plan ne valait que si Pali était dans le lot ! tonna Asteior.

Mon Ours souffla de rage. Il essuya d’un revers de main la rigole sombre qui coulait de son museau, puis serra les poings.

– Alors c’est tout ? C’est ce que vaut ta loyauté, mon frère ? Une personne, une seule ? Regarde-nous. Regarde-nous bien, Picta, Grenat et moi. C’est tout ce qu’il reste de notre famille ! Tu vas vraiment foutre en l’air ce qui reste de nous ?

– Venant d’un traître, d’une belle saloperie de menteur dans ton genre !

Ils se fixèrent, les crocs dénudés.

– Ça n’a jamais été une famille, gronda Asteior. Trois gamines et leurs esclaves ! Ce n’est pas ça, une famille.

Il fit volte-face. Sa silhouette massive s’évanouit dans la pénombre du couloir. Auroq et le jeune Ours le regardèrent partir, sans un mot. Le neveu était toujours aussi imperturbable, mais l’oncle semblait avoir vieilli de dix ans.

– Il reviendra, grogna-t-il. Il ne va pas foutre le plan en l’air à cause de…

– À cause de la mort de Pali ? coupai-je d’une voix dure. À cause de la mort de sa Dame ?

Nous nous affrontâmes du regard. Je ne savais pas qui était ce Paz, ni en quoi consistait leur plan. Je ne voyais que les mensonges d’Auroq, qui avaient de nouveau détruit quelqu’un que j’aimais.

– Comment peux-tu tromper tout le monde autour de toi ? assénai-je à voix basse. Pourquoi es-tu aussi incapable de dire la vérité ?

Il fit un pas vers moi ; quand je levai une main, prête à le gifler, il retint mon poignet.

– Ça suffit. On va régler ça en privé, ma belle.

Je me hérissai. Ma belle ? Jamais il ne m’avait appelée ainsi. C’étaient ces Ours odieux que nous avions vus grouiller partout dans la Maison, qui ronronnaient ce genre de mots à l’oreille de leurs Dames. Auroq avait-il vraiment changé à ce point ?

– Tu crois que je vais t’ouvrir mes cuisses, après que tu nous aies toutes trahies ? crachai-je.

Il me tira par le bras, m’entraîna vers les gigantesques portes de la salle.

– Tantine ! s’exclama Gali derrière moi.

– Que fais-tu, l’Ours ? feula la voix de Sachi. Laisse-la !

Une cavalcade m’apprit qu'elles se précipitaient vers moi, mais elles furent stoppées brusquement.

– Tenez-vous tranquille, lança Auroq par-dessus son épaule. Mon neveu ne vous laissera pas sortir, de toute manière. Je vous déconseille de le mettre en colère. Il ne parle peut-être pas, mais il sait faire autre chose de ses dents…

J’aurais pu me débattre, l’agonir d’injures, mais je n’en fis rien. Je me laissai emmener, pleine de fureur.

– Ne vous inquiétez pas, leur ordonnai-je. Restez ici.

Il avait raison. Nous allions régler ça en privé – c’était entre lui et moi.

Depuis quarante ans, c’était entre lui et moi.

CHAPITRE 45

Auroq me tira dans la pénombre du couloir. Tout était désert et la lampe la plus proche était à vingt mètres au moins. Nos ombres léchaient le sol loin derrière nous. Dès qu’il me lâcha, je me débarrassai de ma canne. Elle tinta sourdement sur le plancher. Avant qu’elle n’ait fini de rouler, je m’étais jetée sur lui.

– Tu n’es qu’un fourbe, crachai-je, les dents serrées, en le martelant de coups. Comment ai-je pu te croire encore ? Comment ?

Il heurta le mur dans un bruit sourd et se laissa molester sans réagir. Sa passivité me mit en rage. En équilibre précaire sur mes jambes, je lui assénai une nouvelle gifle, de toutes mes forces. Puis une autre encore. Qu’il réagisse ! Qu’il me frappe, qu'il tente de me mater, puisqu’il osait m’appeler ma belle après tout ce qu’il avait fait, puisqu’il s’affichait avec ces bêtes qui violaient mon peuple et le soumettaient à son bon plaisir !

Mais il ne répondit pas à mes coups. Il ne tenta pas de s’en défendre. Il resta là, immobile, contre le mur, à encaisser encore et encore. Je finis par m’arrêter, à bout de souffle, à bout de forces. Ma paume me faisait mal. Elle saignait un peu : elle avait heurté de plein fouet les dents dénudées au milieu de sa joue, à plusieurs reprises. Auroq rouvrit les yeux. Je détournai les miens, furibonde, honteuse de mon éclat de colère. Cela n'était pas digne d'une Dame. Mais il était si dur de me maîtriser face à lui !

– Tu as fini ? dit-il d’un ton calme.

Je fixai la rigole de sang qui coulait de son nez. Mes coups avaient poursuivi l’œuvre d’Asterior. Il s'essuya, l'air très las, et soudain je nous vis à travers les yeux de quelqu'un d'autre. Deux adultes incapables d'agir avec honneur, avec justesse, incapables de mener leurs congénères vers quoi que ce soit de bien. Nous étions pitoyables.

– J’ai fini. J'en ai terminé avec toi. Tu n’es qu’un menteur, un hypocrite qui trompe sa propre famille. J’ai cru pouvoir te faire confiance, et regarde où j’en suis aujourd’hui ! Regarde où j’ai mené celles qui m’ont confié leur vie.

Je me détournai, le cœur en miettes, mais Auroq me toucha la joue. Quand je voulus me dégager, il m’attira contre lui et posa son front contre le mien. Je cessai presque aussitôt de me débattre. Je n’y pouvais rien. Nous avions pris trop de fois cette posture dans notre jeunesse pour nous réconforter, nous calmer, partager cet amour sur lequel nous n’avions jamais mis de mot. C’était un geste si familier que toute ma colère s’enfuit, comme si des vannes invisibles avaient été ouvertes. Me laissant vide et épuisée.

– Tu n’aurais pas voulu descendre, chuchota Auroq contre moi. Si je t’avais dit la vérité, jamais tu ne m’aurais suivi.

– Et j’aurais eu raison. De toute manière, ce n’était pas à toi d’en décider. C’était à moi, à nous de prendre cette décision, en connaissance de cause ! Tu ne peux pas me forcer à faire ce que tu veux. Tu m’as manipulée ! Comme tu as manipulé Asteior en lui cachant la mort de Pali. Quel être méprisable es-tu devenu ?

– C’est vrai. J’avais besoin de lui. Et je ne voulais pas qu’il meure comme un con en vengeant Pali, en voulant tuer son meurtrier. Je connais Asteior, Picta ! Tu le connais toi aussi. Il est capable de mourir par honneur, de mourir pour sa Dame. (Il souffla de frustration.) Et vous, vous aviez besoin de descendre. Vous ne pouviez pas continuer ainsi. Combien de temps auriez-vous tenu là-haut ? Deux ans ? Trois ? Avant que vos ressources ne s’épuisent complètement ?

– Alors tu t’es dit que le mieux serait de nous livrer aux tiens. Bien sûr ! (Je fermai les yeux.) Quand je pense à quel point j’ai été naïve ! À croire que nos deux peuples pouvaient être égaux, que tu avais pu changer la révolte en quelque chose de bien…

– Je n’ai jamais parlé d’égalité, soupira-t-il. J’ai dit que les vôtres cultivaient les fruits. J’ai dit que la situation était stable… Tout cela est vrai.

Je sentais le poids de ses mains sur ma nuque, brûlantes, si familières. Mon corps me semblait gelé jusqu’aux os, sauf à cet endroit où Auroq me transmettait sa chaleur.

– Les instructrices le savaient, sifflai-je. Quand j’étais jeune… elles nous ont mises en garde. Elles nous ont dit de nous méfier des mâles. De ne jamais leur faire entièrement confiance, car ils sont impulsifs, car ils aiment le pouvoir… Elles disaient que nous devions vous dominer pour ne pas finir piétinées.

Auroq se crispa.

– Je n’ai jamais voulu les croire ! Quelle idiote. Depuis le début, mon peuple savait que cela finirait ainsi… (Je serrai les poings.) Vous n’êtes que des bêtes. Des violeurs, des profiteurs !

– Tais-toi, gronda-t-il. Les miens n’ont rien de diabolique. Pendant des siècles, ils ont été privés de confort et de femmes ! Ils ont été élevés dans le dénuement, dans des tunnels obscurs, jusqu’au jour où ils ont pu s’emparer de ce qu’on leur avait toujours interdit ! Qui aurait réagi avec tempérance ? J’ai été idiot de penser que le dénouement serait autre. Nous sommes comme vous, Picta ! Nous avons eu l’occasion de prendre le dessus… et à présent, nous vous écrasons.

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