Chapitre 23

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(Yo ! Désolée, je reposte celui-là, c'est que j'ai fait pas mal de corrections sur pas mal de chapitres, notamment celui-là. Du coup ça a décalé ma numérotation eeeet... bref, c'est la galère, je reposte xD)

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Les mots d'Auroq, si crus, si violents, m'avaient atteinte de plein fouet. Mais le pire était l'accent de vérité qu'ils renvoyaient. Je me retrouvai soudain ramenée dix ans en arrière, lorsqu'il avait osé injurier mon peuple, offenser la Maison en public. Et le terrible châtiment qui s'était ensuivi.

Après dix ans de paix factice, tout recommençait.

Le raffut d'Auroq n'avait échappé à personne. Le calme de la tanière venait d'exploser en mille fragments acérés. J'entendis la voix de ma mère dans le salon. Puis celle de Pali. Je fermai les yeux quand elles stoppèrent Auroq, quand le ton commença à monter. Elles ne lui pardonneraient jamais ses dires. Grenat devait se terrer dans sa chambre, comme moi dans la mienne. J'aurais dû me lever, m'interposer. Tenter de ramener le calme, de justifier le comportement inqualifiable d'Auroq. Reprendre mon rôle de Dame, le forcer à me présenter ses excuses.

J'en fus incapable.

Bouleversée, je me recroquevillai pour ne pas entendre la suite. Pour échapper à ce qui allait se dérouler maintenant. Auroq venait de s'élever frontalement contre la Maison. D'insulter ma mère. C'était pire que tout ce qu'il avait pu faire auparavant.

« Ne te permets plus jamais de parler à Picta sur ce ton. »

La voix de ma mère passa à travers la cloison, cinglante comme un fouet.

« Je n'ai dit que la stricte vérité, et vous le savez ! »

« Silence ! Tu salis mon nom, celui de ma fille, celui de notre peuple ! »

« Moi, salir votre peuple ? Quelle ironie. Après ce qu'il a fait du mien ! »

Je cachai mon visage dans mes mains, serrai les paupières très fort. J'aurais voulu me boucher les oreilles afin de renvoyer tout cela au néant. Les mots de ma mère, bas et violents. Les mots d'Auroq, brutaux et furieux. Il n'y aurait pas de retour en arrière. Un orage grondait dans notre salon et je craignais qu'il ne dévaste tout sur son passage, qu'il ne déchire notre famille pour de bon.

« Votre peuple est sale, Tiukka ! Reconnaissez-le ! »

« Tais-toi. Je ne tolèrerai pas davantage d'ingratitude. Quel mépris pour celles qui t'ont accueilli chez elles, qui t'ont nourri, logé, soigné pendant dix ans ! Comment peux-tu tenir pareils propos, faire preuve d'autant de mesquinerie ? De méchanceté envers ma fille ? »

La voix de ma mère était si basse que je ne comprenais presque pas ses mots ; cela me terrifia. Plus elle parlait doucement, plus sa colère était grande. Auroq le savait, mais il jetait encore de l'huile sur le feu. À croire qu'il ne désirait plus rien d'autre que brûler.

« Dites-moi que j'ai tort, Tiukka ! Allez-y ! Est-ce que vous savez au moins si votre Ours est mort ou vivant ? Si vos fils le sont ? Ou est-ce que vous vous en moquez, comme une sale... »

Le bruit d'une gifle déchira l'air comme une déflagration.

« Tu dépasses les bornes, Auroq ! »

La voix de ma sœur. La gifle venait d'elle, à n'en pas douter.

« Cesse d'injurier ma mère ou je te ferai fouetter ! »

La peur me gela le cœur. Les intendants l'avaient dit : à sa prochaine frasque, Auroq serait directement jugé par le Conseil. Ce n'était pas le fouet qui l'attendrait là-bas, mais une vie de bagne ou pire encore. Une larme énorme roula sur ma joue.

– Ne le fouettez pas, chuchotai-je tout bas. Ne le fouettez pas. S'il vous plaît, ne lui faites pas de mal...

C'était moi qui l'avait poussé à bout. Je l'avais blessé en mentionnant son père, sa mère. Je l'avais amené à cette terrifiante explosion. Incapable de me lever, j'enfouis mon visage contre mes genoux et me balançai doucement contre le mur.

– S'il vous plaît...

Derrière la cloison, la dispute s'envenima encore. Les propos d'Auroq étaient si durs ! En présence d'un intendant ou d'une Grande Dame, ils lui auraient valu d'avoir la langue tranchée. À cette pensée, un effroi glacial me scia le ventre.

Ma mère aimait profondément Auroq. Elle aimait tous nos Ours, bien sûr, mais bien qu'aucun de nous ne l'ait formulé à voix haute, nous savions qu'Auroq restait son favori. C'était le premier arrivé, le rebelle, celui qui s'était battu pour sa petite fille boiteuse, celui qu'elle avait veillé pendant des jours lorsqu'il avait reçu trente coups de fouet. C'était l'Ours gâté, celui auquel elle avait passé bien des caprices, bien des insolences.

Mais ma mère avait ses limites. Et il venait de les pulvériser.

« Il suffit ! Je n'accepterai pas un mot de plus. Si tu souhaites encore faire partie de cette famille à l'aube, si tu souhaites revoir ma fille un jour, alors incline-toi. Incline-toi ou va-t-en, Auroq ! »

Un grand silence succéda à ses mots. Il plana longtemps, jusqu'à se cristalliser, devenir plus dur, plus acéré, plus froid. Je plaquai une main sur ma bouche pour étouffer mes sanglots. Pour ne pas gémir à l'idée qu'Auroq pouvait partir ainsi – nous quitter vraiment, une bonne fois pour toutes, après les larmes et la colère. Disparaître à jamais et ne laisser derrière lui que cette horrible scène d'adieu.

« Bien », dit enfin ma mère.

J'émis une longue expiration hachée. Il l'avait fait. Il s'était soumis.

« Va travailler à l'entresol. Il est inconcevable que tu dormes parmi nous cette nuit. J'espère que ces heures de labeur sauront te faire réfléchir à tes actes. Reviens à mon réveil. Je veux que tu nous présentes tes excuses. À mes trois filles et à moi, car non content d'insulter ta Dame, tu as diffamé sa famille et tout son peuple avec elle. »

Des pas lourds se firent entendre.

« Tu prieras également la Maison et te prosterneras devant l'autel », termina ma mère.

Le rideau de perles bruissa dans le silence. Auroq venait de sortir.

Lorsque je tentai de me lever, quelque chose roula sous mon pied. Le petit Ours au dos lacéré, avec sa chaîne autour du cou.

***

Je fus incapable de dormir cette nuit-là.

Avant de se retirer dans sa chambre, ma mère était brièvement venue me voir. Elle m'avait demandé si j'allais bien. M'avait posé plusieurs questions. Que s'était-il exactement passé ? Auroq s'était-il montré brutal avec moi ? Me parlait-il souvent ainsi ? Je l'avais rassurée. J'avais menti en partie, pour protéger Auroq. Je l'avais poussé à bout ; tout était de ma faute, nous nous étions disputés. Elle m'avait reproché alors mon manque de sagesse, mon manque d'autorité sur lui.

Elle n'avait pas parlé de ma nuit d'union. Ne m'avait pas interrogée sur notre relation. Mais le fantôme de tout ce qu'elle ne disait pas planait dans ma chambre.

Je voyais ses mains trembler un peu, malgré sa voix ferme. Elle m'avait dit qu'Auroq s'était montré incontrôlable, si hors de lui qu'elle avait cru, l'espace d'un instant, qu'il allait la frapper. J'avais alors compris qu'Auroq l'avait effrayée. Je ne redoutais pas mon Ours, même dans ses pires colères, car je savais que jamais il ne lèverait la main sur moi, ni sur ma famille. Mais ce soir-là, ma mère, elle qui ne craignait personne, avait eu peur face à lui. Dorénavant, elle se méfierait de lui. Et cette idée me paniquait.

C'était comme s'il se changeait petit à petit en bête sauvage, et que je ne pouvais rien faire pour l'en empêcher.

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