Chapitre sept - La porte des Enfers

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Lincoln dit :

« FitzHenry s'était pris une balle dans le bras lors de notre combat - le mousquet de Bennet était parti tout seul, selon l'expression consacrée. Je l'ai retrouvé au même endroit, tentant de panser sa plaie avec un bout de sa chemise, chose difficile avec un seul bras valide. Je l'ai ramené de nuit au manoir, soigné, nourri, mais je l'ai enfermé à la cave et lui ai fait promettre de ne jamais signaler sa présence. Je ne pensais pas qu'il accepterait, mais il s'est tenu tranquille pendant douze mois - jusqu'à maintenant. A l'exception toutefois d'une occasion.

-La fois où Laura a cru voir son fantôme ? suggéra Victoria.

-Vous êtes au courant de beaucoup de choses, s'étonna Lincoln. Oui, cette fois-là. Elle était en train de se coiffer quand il est apparu dans le miroir à la place de son propre visage. J'ignore comment il a fait, mais souvenons-nous que sa mère était une gitane, et quand je lui ai apporté son repas suivant j'ai remarqué qu'il avait badigeonné de s... de liquide le miroir que je lui avais laissé pour qu'il puisse conserver une apparence humaine. »

Victoria n'insista pas pour connaître la nature du liquide - tant qu'elle n'insistait pas, elle pouvait toujours croire qu'il s'agissait d'eau salée ou d'une solution soufrée.

« J'imagine, conclut Lincoln, que d'une manière ou d'une autre cela lui permet de voir d'un miroir à l'autre. »

Effectivement, se souvint Victoria, elle ne l'avait jamais vu qu'en reflet. Alors il n'était réellement pas dans son dos la veille ? Il était vraiment dans le miroir ? Cela expliquait l'impression qu'elle avait eu alors, que la voix venait du miroir et que personne ne se tenait derrière elle.

Elle fut poussée en arrière par la vitesse lorsque le cocher fouetta subitement ses chevaux. Peut-être Bennet lui avait-il donné ses ordres, peut-être était-il au courant de la situation, peut-être enfin avait-il simplement senti l'urgence sans rien savoir des véritables raisons de ce retour sans Laura. Dans la calèche, Alicia était pelotonnée, épuisée, contre sa grande sœur, laquelle semblait tenir une conversation complète avec Bennet en usant uniquement de leurs yeux, cils et sourcils. Les deux frères de Bennet, placés à côté de lui, tenaient chacun leur rôle de protecteur : alors que Lincoln, ayant révélé la présence d'un pistolet sous la banquette, se tenait près de la fenêtre, prêt à tuer - oui, cette fois il n'y aurait pas de quartier, FitzHenry mourrait - son prétendu demi-frère, Harmon pour sa part était le seul à tenter d'alléger l'atmosphère, et Victoria lui en savait gré. Des plaisanteries auraient été déplacées : non seulement à cause de la gravité de l'expédition, mais également à cause de son motif. Mais il tenta tout de même de briser le silence : il sifflota du Berlioz, tenta de parler à Lincoln, qui l'ignora, se tourna vers Victoria, qui fut ravie de l'obliger et répondit de son mieux : mais ils se connaissaient mal, et leurs efforts conjugués ne purent développer une conversation au-delà de trois ou quatre phrases conventionnelles sur la pluie, le beau temps et les vitraux de l'église qu'ils avaient visitée ensemble ; et de nouveau, la menace qui pesait sur leurs têtes, et particulièrement sur celle de Laura, coupa court à la conversation, la rendant impossible car parler d'autre chose que d'elle semblait déplacé, et que parler d'elle était trop dangereux, ne pouvant qu'aggraver l'état d'Alicia.

Enfin, ils atteignirent le Manoir Fawn : les grilles étaient plus menaçantes qu'auparavant, et cette fois l'imagination de tous était emportée, au point que même les frères Fawn, qui y vivaient pourtant et étaient familiers de ces portes, eurent l'impression qu'on avait substitué au fer forgé la matière des portes des Enfers. Victoria savait qu'elle n'était pas la seule à faire le rapprochement car Harmon tenta une dernière fois de briser le silence en lançant un joyeux ''Où est Virgile quand on a besoin de lui ?", qui ne fit rire personne.

Lincoln sortit de la calèche d'un bond, mis sa casquette pour se protéger des premières gouttes qui commençaient à tomber et dit :

« Harmon, aide ces dames à remonter, tentez de rester tous dans la même pièce, éloignez-vous des miroirs - nous ignorons encore l'étendue de ses pouvoirs - et ne sortez du manoir sous aucun prétexte, dût-il brûler. Bennet et moi descendons dans les caves pour le traquer.

-Vous aurez besoin de moi pour raisonner Laura si elle l'a vraiment suivi de son plein gré, protesta Rebecca.

-Non, restez avec Alicia, s'immisça Victoria en jetant un regard à la pauvre masse tremblante qui était sa cousine. Elle a besoin de vous. Et puis... vous risqueriez de braquer Laura, parce que vous aviez raison de prétendre que FitzHenry n'était pas un fantôme. Je suis neutre, et en même temps nous sommes proches. Je pense pouvoir la raisonner mieux que vous. »

Ces mots firent réfléchir Rebecca, qui agréa qu'elle resterait avec Alicia. Harmon dit alors à Bennet un discours semblable, non par le fond mais par le sens, et donna mille raisons pour lesquelles il devrait être celui qui descendrait et Bennet celui qui resterait, la meilleure étant que Bennet était engagé auprès de sa fiancée, qu'il devait la défendre et rester auprès d'elle.

C'est ainsi que Bennet, Rebecca et Alicia montèrent se barricader dans la chambre de Rebecca, tandis que Lincoln, Harmon et Victoria descendaient à la cave, une lampe-tempête à la main, alors que l'orage se déchaînait autour du manoir.

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