Chapitre six - L'histoire de FitzHenry

5 minutes de lecture

« C'est allé trop loin, s'insurgea Harmon. Maintenant que Laura a disparu, je pense qu'il est inutile de tenter de cacher la vérité plus longtemps. De plus, je n'aime pas mentir à une invitée. »

Victoria s'étonna du détachement avec lequel Harmon prenait la disparition de sa cousine, mais elle n'allait pas se plaindre qu'on lui explique enfin ce qu'il se passait.

« Pas en public, le supplia Lincoln. Tu n'as jamais été d'accord avec moi, mais ai au moins la décence d'attendre que nous soyions de retour au man...

-Rien du tout, répondit Bennet. C'est allé trop loin, Harmon a raison. Nous retournons au manoir, mais nous avons un long trajet en voiture pour tout expliquer à Miss Brightwell. La vérité n'attendra pas, et elle sera préparée en arrivant à tout ce qui pourrait lui tomber dessus comme calamités. »

Victoria fut saisie par l'appréhension. Des calamités ? à ce point-là ? Elle n'était plus si sûre de vouloir savoir ce qu'il se passait, finalement.

Mais elle se reprit en se remémorant l'image de FitzHenry - son reflet, dans son miroir, elle ne l'avait jamais vu en face - il était hors de question qu'elle abandonne là. Le jeune homme était ostracisé par les gens qui vivaient sous le même toit que lui, qui prétendaient ignorer son existence... oh ! la question de Laura à l'aller lui revint en mémoire. Il était impossible qu'il soit un fantôme, pas vrai ? N'avaient-ils pas parlé d'un parent mort pendant un de leurs séjours ?

Elle voulut chasser ces pensées, ridicules et gothiques, qui semblaient n'avoir leur place que dans un poème de Poe ou un roman allemand, mais ne put s'empêcher de repenser à ce que son père lui avait dit juste avant de partir pour ne jamais revenir. Ses dernières paroles avant de partir et donc avant le naufrage du Langoustine des Prés IV.

« Victoria, il y a en ce bas monde bien des choses qui nous échappent. Certaines sont contre-nature, certaines sont normales mais ineffables... et enfin certaines sont juste bizarres. Il y a peu, j'ai été confronté à des évènements qui m'ont fait comprendre que si on est généralement confrontés à du normal ineffable, le bizarre et le contre-nature peuvent s'inviter dans nos vies de la manière dont on s'y attend le moins. »

Sur le moment, elle n'avait pas compris pourquoi il lui disait cela alors qu'elle avait seulement demandé ''veux-tu ton écharpe rouge ou la verte pour la traversée ?''. Mais maintenant, il lui semblait que ces mots n'avaient été prononcés qu'en prévision de ce moment.

Oui, le bizarre et le contre-nature - s'il s'agissait bien d'un fantôme, ce qui restait à voir, il était contre-nature de rester sur terre après la mort, et c'était complètement bizarre - venaient de s'inviter dans sa vie, et elle n'allait pas le rejeter en bloc, pas après avoir reçu ce conseil de son père -enfin, ce conseil... - et cet avertissement. Des choses étranges existaient, nier leur existence ne les ferait pas disparaître.

Elle était à peu près sûre désormais d'être préparée à toutes les possibilités de l'échelle des révélations choquantes et surnaturelles, mais l'information qui tomba dès qu'ils furent assis dans la calèche la surprit - peut-être parce qu'elle s'était trop préparée, justement.

« FitzHenry est notre demi-frère, dit Bennet.

-Le fils de Père et d'une bohémienne de passage, précisa Harmon.

-Il y a un an - il me semble, mais le temps passe à la fois si vite et si lentement que je n'en mettrais pas ma main au feu - Père est décédé et FitzHenry, que nous voyions de loin en loin, quand les gitans repassaient dans le coin, a subitement sorti de nulle part une lettre de Père le reconnaissant comme son fils, ajouta Lincoln. Pour ce qu'on en sait, ça peut être un faux. Je ne pense pas qu'il soit notre frère.

-Bon, alors FitzHenry est peut-être notre demi-frère, corrigea Bennet, voulant apaiser Lincoln. Il a voulu réclamer une part de l'héritage de Père, mais Lincoln a refusé.

-Nous n'avions aucune preuve, nous n'en avons toujours aucune d'ailleurs, riposta Lincoln, qu'il était notre frère. Et vu ce qu'il y avait à se partager à la mort de Père, on pouvait difficilement le couper en quatre.

-Tu aurais pu, peut-être, être un peu moins violent dans tes paroles, dit Bennet.

-C'est vrai, marmonna Harmon. Un peu plus et tu mettais le feu à sa roulotte.

-Ça c'était la deuxième fois, se défendit Lincoln. Quand il a tenté d'enlever une des filles pour devenir membre de la famille par alliance et récupérer de l'argent - ce qui me fait d'ailleurs penser qu'il n'est pas vraiment notre frère.

-Laissez-moi deviner, dit Victoria. Il avait tenté d'enlever Alicia ? »

Ils se tournèrent vers elle comme un seul homme, ayant visiblement oublié sa présence.

« J'aurais cru, dit Bennet, que tu penserais qu'il avait tenté d'enlever Laura, puisqu'il a visiblement récidivé. Qu'est-ce qui te fait dire qu'il s'intéresse à Alicia ? »

Victoria sourit, car effectivement ce n'était pas la décision la plus logique, mais elle n'avait pas l'esprit tourné pour la logique comme Rebecca et Alicia. Elle avait l'esprit de Laura, l'esprit instinctif. Mais les éléments, comme les pièces d'un puzzle en bois, c'étaient emboîtés brutalement dans son esprit une seconde avant qu'elle ne formule son hypothèse.

« Eh bien, lors du trajet en calèche de Londres au manoir Fawn, répondit-elle, j'ai cru apercevoir un visage entouré de cheveux noirs dans la vitre de la calèche - un visage qui fixait Alicia, mais qui a disparu aussitôt. J'ai cru avoir rêvé, mais ajouté au fait que je l'ai ensuite revu, en chair et en os cette fois, dans le miroir de ma coiffeuse, en me coiffant pour le dîner d'hier, et que Rebecca m'avait dit que j'utilisais la chambre habituellement utilisée par Alicia... et puis ces deux derniers jours, Alicia ne s'est jamais retrouvée seule - elle dormait dans la chambre de Rebecca, vous avez divisé le groupe de manière à ce qu'un des hommes soit toujours avec elle, et vous parliez de couvrir ses arrières tout à l'heure.

-Elle a raison, dit Harmon. FitzHenry avait tenté d'enlever Alicia. Mais nous n'avons pas suffisamment pris en compte l'emprise qu'il avait sur Laura.

-La pauvre chère Laura, ajouta Lincoln, trop romantique, trop passionnée de tout ce qui est mystère et gothique. La seule à toujours avoir pris la défense de FitzHenry - même Harmon a cessé après la tentative d'enlèvement.

-Lorsque nous avons pris en chasse FitzHenry après l'enlèvement, ajouta Harmon, nous lui avons tiré dessus et nous l'avons blessé. Pressés de mettre Alicia en sûreté, nous n'avons pas vérifié si il était vivant ou mort, et dans le doute, nous avons envoyé Lincoln vérifier plus tard. Il nous a dit avoir trouvé FitzHenry mort, pas de notre fait mais du sien.

-C'était pour rassurer Alicia, qu'elle ne pense plus qu'il reviendrait la chercher, ajouta Lincoln. Mais maintenant, je dois vous avouer que j'ai menti. »

Alicia suffoqua un instant, et fut aussitôt prise dans les bras de Rebecca qui réconforta sa petite sœur. Victoria se sentait coupable d'avoir ramené à la surface les mauvais souvenirs d'Alicia, mais voulait connaître la suite de l'histoire. D'un geste du menton, elle encouragea Lincoln à continuer.

Annotations

Vous aimez lire Arsène le Conteur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0