Chapitre trois - FitzHenry

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Une fois la calèche arrêtée, trois jeunes hommes sortirent de la maison pour accueillir les jeunes filles. Bennet Fawn tendit la main à sa fiancée Rebecca pour l'aider à descendre, tandis que Lincoln ouvrait l'autre portière pour assister Laura et Alicia. Victoria se retrouva donc face au troisième frère, Harmon Fawn, dont elle saisit la main gantée de cuir pour mettre pied à terre.

« Veuillez excuser, dit-il sur un ton réellement contri, la rugosité de l'accueil. Mes frères et moi revenons juste de la chasse. »

Ah, cela expliquait la rugosité, non de l'accueil mais des gants de cuir.

« Cela ne fait rien, répondit Victoria. Nous sommes arrivées plus tôt que prévu. »

Rebecca, Laura, Alicia, Lincoln et Bennet rentraient déjà vers la lumière et la chaleur du manoir Fawn. Victoria et Harmon les suivirent, tandis que le cocher rentrait à l'écurie.

« Mr Grisham (c'était le majordome) n'appelera pas à table avant une demi-heure, leur dit Bennet, aîné des frères et donc maître de maison en l'absence de leur père. Un autre jour, je vous proposerais volontiers de passer au salon en attendant le repas, mais j'imagine que vous devez toutes être fatiguées par le voyage. Je vous laisse donc aller vous rafraîchir dans vos chambres. »

Rebecca saisit aussitôt Victoria par le coude et l'entraîna vers l'étage. Étant celle qui l'avait invitée, il était normal qu'elle soit son guide dans la maison. Elle la laissa cependant, une fois dans sa chambre, qu'elle expliqua être celle habituellement utilisée par Alicia, qui dormirait sur la banquette de Rebecca, se débrouiller, devant se rafraîchir elle-même et s'habiller pour le dîner. Victoria fit sa toilette en vitesse dans le petit cabinet de toilette qui jouxtait son chevet puis vint, habillée d'une robe bleu saphir - c'est-à-dire une teinte seulement en-dessous du bleu outremer - devant le miroir de sa coiffeuse pour... pour se coiffer, ce qui est le but premier d'une coiffeuse. Alors qu'elle attachait ses cheveux en un chignon bas grâce à un ruban de la même couleur que la robe, elle remarqua dans un coin du miroir un homme qui ressemblait un peu aux frères Fawn sans être aucun d'entre eux. Elle saisit deux petites boucles d'oreilles et commençait à les mettre, sans dire un mot pour qu'il ne sache pas qu'elle l'avait repéré, quand il dit :

« Aucune de mes cousines ne va porter de bijoux à ce dîner. Libre à vous d'en mettre bien sûr mais sachez que vous seriez un peu trop élégante pour ce dîner familial.

-Je vous remercie de l'information, répondit Victoria en ôtant la boucle qu'elle avait déjà mise. Si je puis me permettre... nous n'avons pas été présentés et j'ignore votre nom. »

Le jeune homme eut un petit sourire, puis répondit :

« Je m'appelle FitzHenry. »

Comme les noms en Fitz étaient plus souvent utilisés comme noms de famille que comme prénoms, mais que même les noms de familles étaient parfois utilisés comme prénoms (par exemple le nom de jeune fille de la mère utilisé comme prénom pour un des fils) et que par ailleurs il arrivait que les jeunes gentlemen, particulièrement à Londres, se nomment entre eux par leurs noms de familles et non leurs prénoms, Victoria aurait été bien en peine de savoir s'il se nommait FitzHenry Fawn ou, par exemple, James FitzHenry. Mais il aurait été impoli d'insister, surtout que s'il était membre de la famille Fawn ou invité comme elle, il lui serait présenté sous son nom complet au dîner.

« Enchantée, répondit-elle à son tour. Je suis Victoria Brightwell, mais j'imagine que vous le savez déjà. »

Manière discrète de s'enquérir s'il était ou non un familier de la maison. S'il vivait là, on avait du le mettre au courant qu'il y aurait des invitées (les sœurs Fawn et Victoria) et si c'était un proche ami des garçons - peut-être un compagnon de chasse, puisqu'ils en revenaient ? - qui avait été invité à l'improviste, il ne saurait peut-être pas que...

Mais, interrompant son raisonnement, une évidence la frappa : plus tôt, il avait dit ''aucune de mes cousines ne va porter de bijoux à ce dîner''. Il était donc bien cousin des sœurs Fawn, et pouvait en plus connaître ses cousines suffisamment bien pour savoir ce qu'elles porteraient.

Il les connaissait d'ailleurs tellement bien que c'en était suspect.

Comme s'il lisait ses pensées, il ajouta, revenant au sujet précédent :

« Pardon, je me suis peut-être avancé en parlant de ne pas porter de bijoux. Ma cousine Rebecca portera sans doute le pendentif que Bennet lui avait offert l'an dernier. Mais vous n'êtes fiancée à aucun des jeunes hommes de la table, aussi je maintiens mon conseil de ne pas porter de bijoux. »

Victoria hocha la tête. Parce qu'il se trouvait assez loin d'elle, malgré la distorsion de la distance induite par le reflet, elle ne pouvait voir de ses yeux que deux étincelles d'ambre - couleur rare chez les humains, mais qui pouvait être dûe à la lumière - et de sa bouche qu'un trait rose. Pourtant elle refusait de se retourner, de le regarder en face. Peut-être simplement parce qu'elle ne voulait pas avoir à poursuivre cette conversation. Peut-être, aussi, parce que le fait de lui tourner le dos donnait un ton mystérieux à ce moment et qu'elle voulait maintenir le mystère le plus longtemps possible.

« Vous avez une manière assez amusante de vous comporter, ajouta FitzHenry. Vous me détaillez du regard - ne croyez pas que je n'ai pas remarqué - mais à travers le miroir uniquement. Vous n'essayez même pas de vous retourner.

-C'est que, répondit Victoria, vous me semblez plus présent dans votre reflet que dans mon dos. »

Et, en le disant, elle se rendit compte que c'était la vérité. La voix de FitzHenry lui semblait venir du miroir et non de sa chambre. Sa présence n'était perceptible - étant donné la distance à laquelle il se tenait - que depuis son reflet.

FitzHenry sourit, s'inclina légèrement, puis sortit. Victoria se retourna en vitesse, mais ne le vit pas sortir. Il n'y avait personne - plus personne - dans son dos. Plus personne dans le miroir, non plus.

Elle s'en voulut de cette sotte pensée. Comme si il avait pu y avoir un reflet de FitzHenry sans FitzHenry dans son dos.

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