Chapitre premier - Un mauvais rêve... je crois.

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Ma chère cousine Laura,

La dernière fois que je t'ai écrit, je t'ai fait part de mon désir de quitter le journalisme. J'ai fait une rencontre qui m'a persuadée de l'abandonner au plus vite. Le journalisme, pas mon désir de le quitter.

Je t'imagine, toi à l'âme romantique dans ta province, qui s'imagine déjà que la présente lettre s'accompagnera bientôt d'un faire-part de mariage. Je te vois comme si tu étais devant moi, te demandant qui est le Prince Charmant qui m'a enlevée à ma carrière de journaliste pour me conduire à l'autel de la manière la plus romantique qui soit. Désolée de te décevoir, mais ça a plutôt été le contraire. Je me suis retrouvée face au dragon et non au Prince Charmant. Ce dragon avait des pupilles fendues sur des iris d'un bleu de glace et un sourire féroce. Tu t'étonneras peut-être de cette description très visuelle pour une métaphore, c'est parce que ce n'en est pas une

C'est pourquoi je quitte le journalisme. Tu peux dire à toute la famille de ton côté que je ne suis pas à la rue pour autant : je vais me lancer dans le commerce. Avec le pécule dont je dispose grâce à mon salaire précédent, je vais acheter et rénover un vieux local à deux pas du club le Brightwell's, ce qui aura le double avantage de m'attirer des clients parmi ses membres et parmi les non-membres qui viendront visiter des membres et ne pourront pas rester pour la nuit. Le local a deux étages, je louerai donc des chambres et le rez-de-chaussée me servira de pub. Il ne me reste plus qu'à espérer que je ne mettrai pas la clef sous la porte au bout de deux jours je vais essayer de cuisiner suffisamment bien pour m'attirer des clients J'espère que je cuisinerai suffisamment bien J'utiliserai les vieilles recettes de Granny, elles plairont.

Bref, d'ici moins d'un mois je l'espère, le pub The Rose and Thorn, hommage à mon désormais ancien nom de plume de Rosemary et à mon nom de famille - Thorne - ouvrira ses portes. J'ai bien conscience qu'il me faudra beaucoup de travail pour qu'un pub tenu par une femme seule ait l'air respectable. Mais s'il ne l'est pas assez, je trouverai un homme célibataire près à se marier avec moi - celle que tu appelais l'épouvantail quand tu étais petite - mais je suis confiante. Non pas en mes capacités de séduction, mais en l'attrait que possède toute personne propriétaire d'un pub dans un secteur animé de la ville. Mais évidemment, ce que j'espère gagner si je me marie, ce ne sera pas seulement une bonne réputation pour mon commerce, c'est également un homme capable de le gérer, et si il est lui-même aisé, ce serait encore mieux. Apportant mon commerce en dot, je n'aurai pas l'air d'une croqueuse de diamants si j'épouse un homme de petite ou moyenne fortune.

Au plaisir de te revoir à Londres bientôt,

ta cousine Arabella.

Pfft. Cet exercice - écrire une lettre à sa cousine Laura Fawn, qu'elle n'aimait pas mais qui était la seule à être capable de mettre toute la famille au courant en peu de temps - était toujours un calvaire. Il y avait cependant moins de ratures sur ce nouveau brouillon que sur les cinq précédents.

Elle regarda la première rature. Non, elle n'allait pas dire à Laura qu'elle avait croisé un homme nommé Thanateros qui venait de l'Atlantide pour tuer James Brightwell. D'abord, parce que Laura ne savait sans doute pas ce qu'était l'Atlantide, n'ayant pas lu Platon, au contraire d'Arabella. Ensuite, parce qu'elle serait ridicule. Elle avait du rêver les pupilles fendues de celui que James Brightwell appelait l'Anapiros, homme de main de la reine Stratonice de l'Atlantide...

C'était un mauvais rêve. Il n'y avait pas d'autre possibilité.

Les cloches de l'église du quartier sonnèrent. Arabella sursauta. Si tard déjà ? Il fallait qu'elle se dépêche ! Elle ne pouvait gagner sa liberté qu'au prix d'un dernier effort - ou, en d'autres termes, son patron, rédacteur-en-chef d'un journal féminin, ne la laissait démissionner que si elle écrivait un dernier article, sur un mariage entre le dernier enfant d'Angus McPherson, l'armateur, propriétaire malheureux de cinq bateaux nommés Langoustine des Prés I à V, dont seul le dernier était encore au-dessus de la surface, n'ayant pas encore fait sa traversée inaugurale, et l'une des deux héritières de la fortune Murray, fille de l'associé de McPherson, et de son prénom Helen.

Son rédac'chef avait insisté pour qu'elle écrive cet article pour ne pas avoir à se fendre d'un autre envoi de journaliste. Après tout, elle était sur les listes d'invitations, étant la petite sœur de Caroline McPherson, née Thorne, épouse de Michael McPherson qui était le grand frère d'Edward McPherson, le jeune marié.

Elle profiterait du mariage pour demander à Angus McPherson pourquoi il insistait pour nommer ses bateaux du même nom et leur faire faire la même traversée inaugurale alors que jusqu'ici ils avaient tous coulé durant cette même traversée - le dernier naufrage, à l'inverse des trois premiers qui n'avaient pas coûté de vies humaines, n'ayant laissé qu'un seul survivant, qu'elle avait elle-même interviewé pour le journal.

Elle profiterait également de l'occasion pour s'excuser auprès de l'interviewé, James Brightwell, de lui avoir crié dessus et jeté une tasse de thé à la figure à l'occasion de l'interview. Et enfin, elle profiterait du tour d'horizon des jeunes célibataires aisés qu'offrait un mariage de ce standing pour se trouver un partenaire commercial et éventuellement matrimonial.

Autrement dit, son avenir dépendant de ce mariage qui n'était même pas le sien, elle ferait mieux de se dépêcher d'y aller.

Alors qu'elle refermait la porte de sa maison derrière elle, son regard tomba de nouveau sur le brouillon de la lettre qu'elle s'apprêtait à envoyer à sa cousine Laura.

« C'était un mauvais rêve. » décréta-t-elle.

Je crois, ajouta-t-elle pour elle-même.

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