Chapitre six - Le toit du Brightwell's

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Scotland Yard entourait le Brightwell's (au nez et à la barbe de ses habitués bien sûr, qui n'auraient pas remarqué une charge d'éléphants dans le salon).

Andrew s'en voulut de cette comparaison, d'autant qu'elle était injuste. Quand, trois jours auparavant - Seigneur ! il lui semblait que c'était six mois auparavant, tant de choses s'étaient passées en trois jours ! - son meilleur ami Gregory Richards et son cousin Galaad avaient dégringolé les escaliers l'un après l'autre en pleine nuit, plusieurs personnes s'étaient plaintes du bruit. Quand l'un des résidents, qui croyait que la guerre entre Écosse et Angleterre qu'il appelait de ses vœux avait commencé, s'était saisi de sa cornemuse pour jouer la Marche de Robert the Bruce, là aussi des résidents s'étaient plaints. Mais enfin, en l'occurrence, personne n'avait remarqué Scotland Yard. Du moment qu'Alan ne se rendait compte de rien non plus... tout irait bien. Du moins l'espérait-il.

Alan, Albert et Cassandra apparurent bientôt au bout de la rue, marchant à pas lents pour suivre le rythme de Cassandra. Andrew les accueillit à la porte et dit à Alan

« Un appel pour toi dans mon bureau.

-Je n'ai dit à personne que j'étais descendu ici, s'étonna Alan.

-Même pas à tes associés ? fit mine de s'étonner Andrew, à qui Alan avait dit qu'il venait à Londres pour affaires.

-Ah, si, répondit Alan très vite. Effectivement. Merci. Je vais prendre l'appel. »

Andrew les laissa entrer, Albert signalant qu'il allait attendre dans le hall avec Cassandra, puis fit le tour du bâtiment. Si Alan ressortait, Scotland Yard le cueillerait. C'était à lui de jouer.

Il monta par l'escalier de service et se retrouva bientôt au dernier étage, où l'attendaient Edward McPherson et Helen Murray. Edward était habillé de la même manière qu'Alan - et que tous les hommes aisés de Londres à vrai dire - et Helen portait la même robe que Cassandra. La rencontre des deux couples allait provoquer un choc chez Cassandra et la tirerait peut-être de la léthargie où elle semblait plongée depuis le début du voyage. Après tout, si Helen avait résisté, Cassandra, elle, pensait être folle.

« Êtes-vous sûr que c'est une bonne idée de créer un choc chez elle ? demanda-t-il à Edward.

-Si ce n'est pas salutaire, rien ne le sera, répondit Edward. Enfin, je l'espère. »

Sur cette réponse qui n'était pas aussi rassurante que celle qu'espérait Andrew, ils entendirent Alan et Cassandra dans l'escalier de service. Quand celui-ci ouvrit la porte dérobée et se trouva en face d'Edward et Helen, il poussa brusquement Cassandra vers eux et profita de cet obstacle sur leur route pour repartir dans les communs. Entendant un sifflet de Scotland Yard au rez-de-chaussée, il décida de plutôt monter. Ce fut uniquement quand il se retrouva sur le toit du Brightwell's, et son unique issue, l'escalier, bouchée par Andrew Brightwell et Edward McPherson, qu'il comprit qu'il aurait peut-être dû descendre tout de même, et sortir à un autre étage dans l'espoir de semer tout le monde dans les couloirs.

Voyant qu'Edward tentait de le contourner pour le rabattre sur Andrew, il recula jusqu'à être adossé au garde-fou du toit - lequel, étant plat, servait régulièrement à des membres du club pour des observations astronomiques - et s'arrêta là, ne voulant pas tomber.

« Très bien, Messieurs, dit-il, levant les mains en signe d'apaisement. On va se calmer, d'accord ?

-Tu as essayé de rendre folles tes nièces, ça n'incite pas à la clémence, Alan, répondit Andrew. D'autant plus que tu as bien failli réussir. Sans Edward qui a réussi à reconnaître les symptômes de l'ayahuasca ou quel que soit le nom...

-C'est ça, confirma Edward.

-En bref, Alan, je ne crois pas qu'on se calme de sitôt, étant donné tes actes.

-Tu es dans les affaires depuis trop peu de temps, cousin, répondit Alan. Ou ta naïveté vient-elle du fait que tu travailles avec des gens tout aussi naïfs que toi ? Mes associés en Argentine me tueraient si je ne remboursais pas mes dettes. Et seule la fortune des Murray aurait pu me sauver. »

Puis il se tourna vers Edward, le plus proche de lui.

« Evidemment, il a fallu qu'un petit médecin de campagne sache pour l'ayahuasca et vienne m'embêter avec ça. Mais vous savez que vous êtes le seul sans doute dans tout Londres à pouvoir identifier cette plante ? »

Il le saisit brutalement au col.

« Au point que si vous tombiez du toit, plus personne n'appuierait le témoignage de mon cousin, et que je serais libre de partir. »

Helen porta la main à sa bouche pour retenir un cri, mais laissa échapper un hoquet tout de même. Andrew sursauta. Il ne l'avait pas vue monter. D'ailleurs, était-ce Helen ou Cassandra ? Helen étant censée rester près de sa sœur pour l'apaiser après la rencontre brutale entre les deux couples, quelle que soit la sœur qui était là, cela signifiait qu'elle n'avait pas rempli son office.

« Détournez son attention, mon Oncle, murmura la jeune fille. Nous pouvons sauver Edward si nous nous y prenons bien. Faites-moi confiance. »

Ce devait donc être Helen qui se trouvait à côté de lui. Où se trouvait Cassandra, il l'ignorait. Mais pour le moment, c'était le sort d'Edward qui dépendait de ses réactions et il lança à Alan :

« Quels associés en Argentine ?

-Les Cascio, répondit Alan. Une famille de Florentins qui a le sens du commerce au point, dit-on, d'avoir installé un magasin de souvenirs aux Amériques en prévision du moment où Colomb les découvrirait. J'ai vu un de leurs neveux l'autre jour à Vauxhall. Je ne pensais pas qu'ils me retrouveraient si rapidement, mais j'aurais du m'en douter. Avec l'argent que je leur dois, ils ont intérêt à le récupérer ou à faire un exemple de moi. En faisant passer la disparition des jumelles pour un enlèvement, j'espérais que Murray aurait une crise d'apoplexie et que je me retrouverais à gérer leur fortune... mais il est solide comme un bœuf. »

Andrew ne laissa rien paraître, mais il vit à ce moment-là où était passée l'autre sœur : derrière Alan, longeant le garde-fou dans son angle mort, silencieusement, une brique tombée de l'une des cheminées à la main.

Attaquant par l'extérieur du toit, c'est-à-dire en lançant son bras depuis la direction de la rue vers la tempe d'Alan, elle lui fendit le cuir chevelu et l'assomma pour de bon, laissant des traces du sang de son oncle sur la brique, mais ne le tuant pas. Celui-ci tomba à genoux, lâchant Edward, mais n'eut pas le temps de se relever que la fille elle-même le relevait, le hissant à la force du poignet contre le garde-fou auquel elle l'adossa sans qu'il ne puisse se défendre, trop assommé.

« Dis-moi, mon Oncle, dit-elle à Alan, le regard brillant d'une lueur de folie. Est-ce que tu avais tout prévu dans ton plan ? Est-ce que tu t'étais dit que les fous sont censés avoir une force surhumaine et qu'on pourrait te tuer sans y prendre garde ? T'étais-tu dit que les fous ne peuvent pas être condamnés à mort pour meurtre puisqu'ils sont fous ? Avais-tu remarqué que la barrière qui te sauve encore pour le moment est appelé garde-fou ? »

Andrew, se rendant compte que Cassandra - à moins que ce ne soit Helen - allait balancer Alan par-dessus le parapet, il se précipita - en même temps qu'Edward vers la jumelle en criant :

« Non ne fais pas ça ! »

Celle-ci sursauta et se retourna en entendant le cri, comme si elle reprenait conscience... mais dans son mouvement elle lâcha ou poussa ou on ne sut jamais trop ce qu'elle fit, mais Alan passa par-dessus bord.

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