Chapitre six - G. comme Gregoad ou Galary

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La lourdeur salvatrice arriva le lendemain soir. Aussi tôt, c'était inespéré ! Mais Gregory n'allait pas cracher sur les cadeaux du Ciel.

Il sortit de la chambre vers dix heures, alors que les nuages noirs s'amoncelaient devant la lune. Alors qu'il mettait le pied dans le couloir, il sentit le souffle de Galaad sur sa nuque, et entendit son Reflet demander :

« Où vas-tu à cette heure ?

— N'importe où où tu n'es pas, riposta Gregory, des trémolos dans la voix. Je n'en peux plus de toi. Toujours sur mon dos, parasite suceur de sang et d'intimité. »

Galaad se fendit d'un rictus.

« Le marché n'était pas que je te suive là où tu voulais, mais là où je voulais. C'est-à-dire partout.

— Tu fais bien de me remettre les idées en place, répondit Gregory en se massant les tempes du bout des doigts. Depuis le temps, depuis deux semaines que tu accapares tout ce qui fait ma vie, j'ai presque l'impression que nous ne sommes plus qu'une seule et même personne. »

Galaad ricana.

« Qui sait ! » murmura-t-il.

Cela fit froid dans le dos à Gregory. Il descendit les escaliers quatre à quatre, suivi de près par Galaad. Un membre du club sortit de sa chambre pour se plaindre du bruit et son voisin, un Écossais, sortit de la sienne avec une cornemuse, bien décidé à lui montrer ce que ''bruit'' voulait dire. Sur les accords de La Marche de Robert the Bruce – accords qui firent, pour le coup, sortir tous les membres de leurs chambres – Gregory et Galaad bondirent hors de l'hôtel particulier abritant le Brightwell's. Il commençait à pleuvoir. Gregory sauta sur le marchepied d'un fiacre passant, à vide, dans la rue, et, retirant sa casquette – il était habillé, tout comme Galaad, d'un pantalon de toile, d'un gilet brun et d'une chemise blanche, et coiffé d'une casquette à carreaux – il fit mine de saluer son ''cousin'' et cria :

« Tu voulais me suivre partout il me semble. Suis-moi donc ! »

Il n'avait pas prévu que Galaad bondirait sur le coffre du fiacre, puis sur le toit. Mais il fit mine de ne pas l'avoir remarqué et indiqua au cocher qu'il fallait l'emmener dans les docks. Il ajouta, comme pour lui-même, mais avec l'objectif d'être entendu par Galaad :

« Dans les docks, il ne pourra pas me retrouver. »

Il poussa la lourde porte de l'entrepôt aussitôt arrivé et entra, refermant la porte sur la pénombre du hangar dès qu'il fut sûr que Galaad était entré également. Il avait laissé sa casquette dans le fiacre exprès, afin de savoir si il aurait en face de lui Galaad ou un reflet... car il avait placé, deux jours plus tôt, un grand miroir en pied au centre du hangar, sous le trou du toit.

L'orage grondait au dehors. Les conditions de la première nuit étaient recréées.

« Tu croyais m'échapper ? » tonna la voix de G., non loin des portes du hangar.

— Du tout, mon vieux, riposta l'autre G. Ton règne sur ma vie touche à sa fin. »

Il bondit sur G., qui se défendit et lança un uppercut sur le menton de G. G. tomba par terre sous la poussée mais se releva aussitôt pour se jeter sur G. En vérité, habillés de la même sorte, trempés tous les deux par la pluie, se battant dans le noir, ils auraient tous les deux eu du mal à dire lequel des deux G. ils étaient.

L'obscurité fut tranchée par un premier éclair. Puis un second. Le déluge commença. Alors que G. se tenait au-dessus du corps de G., le maintenant par terre de tout son poids et l'étranglant de son mieux, G. parvint à le déséquilibrer un instant, se ramassa sur lui-même et se détendit subitement, cueillant G. au ventre d'un double coup de pied et l'envoyant rouler à l'autre bout de la pièce. G. se reçut contre le miroir au moment où celui-ci était frappé par la foudre, il y eut une nouvelle explosion... et G. disparut.

G. s'appuya contre le mur, tremblant. Ça y était. Il était enfin débarrassé de ce parasite, il était libre ! Libre ! Libre !

*

* * *

*

Deux jours après s'être enfin libéré de son encombrant Reflet, G. se présenta, rasé de frais, habillé de neuf, chez Mr McPherson. Jemima, lassée d'attendre une demande, accepta aussitôt qu'il entra, sans même lui laisser le temps de la formuler, afin de ne pas prendre le risque qu'il se ravise et reparte à sa science avant d'avoir fini sa phrase.

Après des fiançailles éclair d'un mois et alors qu'ils sortaient de l'église après le mariage, G. vit l'air soucieux de son ami Andrew et craignit que quelque chose de grave ne soit survenu. Il l'attira à part pendant la réception et lui demanda s'il pouvait l'obliger. Celui-ci dit juste :

« J'aimerais effectivement te parler à cœur ouvert, Rick, mais cela peut attendre mon retour...

— Ton retour ? Tu pars ? S'enquit G.

— Oui, dit Andrew. Mon cousin Alan avait des affaires en suspens en Argentine et maintenant qu'il est mort brutalement – tu as suivi l'affaire il me semble, il est tombé du toit du Brightwell's – je dois aller régler ça, je pars demain. J'emmène avec moi James, le fils aîné de mon défunt frère John. Il est temps qu'il s'intéresse aux affaires. Je te confie Albert en attendant.

— Tu ne vas pas partir si brutalement ! s'exclama G. Il y a un bateau qui t'accepte dans un délai aussi court ?

— Oui, le Langoustine des Prés IV. Au passage j'ai toujours trouvé étrange qu'après le naufrage des précédents l'armateur s'obstine à redonner le même nom à chaque nouveau bateau, mais enfin, c'est son choix... et c'est ton beau-père, d'ailleurs, puisque c'est Angus McPherson qui détient les trois quarts des parts. En bref, je pars demain. On se reverra à mon retour et on parlera sérieusement, Rick. Très sérieusement. »

G. hocha la tête, dit qu'il rentrait pour entretenir ses invités et laissa Andrew seul sur le balcon de la résidence londonienne des McPherson.

Il ne reverrait plus Andrew par la suite, puisque le Langoustine des Prés IV coulerait comme ses prédécesseurs, entre l'Angleterre et l'Argentine. Seul James Brightwell survivrait au naufrage, mais c'est une autre histoire.

C'est une autre histoire, mais le fin mot de celle-ci, personne ne l'eut jamais. On ne sut jamais que, parce qu'Andrew avait fini par deviner pour les Reflets, son ami G. avait fait placer par un homme de main installé à Liverpool les bombes qui déchireraient les chaudières et la coque du Langoustine des Prés IV. Bien sûr, il s'occuperait de la veuve, il élèverait Victoria et Albert comme ses propres enfants, étant le parrain d'Albert... mais il avait tué Andrew.

C'est comme ça que se termine mon histoire, mon cher Albert, toi que j'ai considéré comme mon fils. Tu peux bien sûr considérer que tout ça n'est qu'une fable. Tu peux retourner à ta petite vie normale. Après tout, le pire de mes péchés est peut-être de vouloir que quelqu'un d'autre porte ce fardeau de la connaissance après moi. Non, finalement – tu remarqueras que j'ai la plume aussi indécise que l'âme – ne crois rien de ce que j'ai écrit. Il le faudra bien pourtant si tu veux blanchir le nom de ton parrain.

Car les lignes contenues plus haut sont ma confession du meurtre de ton père, et ce meurtre, ce n'est pas Gregory Richards qui l'a commis. C'est moi.

Celui qui fut ton père adoptif,

Galaad Richards

Albert reposa la lettre qu'il venait de trouver sous le corps de Gregory. Ou de Galaad ? Comme il s'était apparemment suicidé, à l'arsenic d'après la police, il était impossible de s'assurer de la vérité de son affirmation. Peut-être avait-il perdu la raison, peut-être cette histoire fantasmagorique était-elle vraie, ou n'était-elle qu'un leurre pour retirer de sa conscience le poids du meurtre d'Andrew sans déshonorer le nom de Gregory Richards... peut-être aussi quelqu'un avait-il voulu qu'on sache tout et avait-il tué Gregory - ou Galaad – et placé la lettre sous son corps... Il lui serait impossible à jamais de savoir. Quand, au sortir du mariage de son cousin James et de l'affreuse bonne femme qui l'avait séduit, l'inspecteur Bishop, de Scotland Yard, était venu lui annoncer la mort suspecte de son père adoptif, Albert avait cru assister à la fin de son monde. Désormais il ne savait plus ni qui ni quoi croire.

S'éloignant du corps tandis que la police examinait les lieux, il marcha sur quelque chose qui craqua sous son soulier. Se penchant, il vit ce qui ressemblait à des éclats de verre.

Ou plutôt des éclats de miroir.

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