Chapitre quatre - G. comme Gala chez les McPherson

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« Tu ne vas pas m'embarrasser devant tout le monde, hein ? s'assura pour la aumoinstoutçaième fois Gregory.

— Du tout, riposta Galaad. Ouvre la porte de ce damné coche et entrons. »

Pour fêter dignement l'annonce tant attendue que son cher et tendre quittait définitivement la science (ce que Gregory avait juré à Jemima bien qu'il n'ait pu lui avouer qu'il regrettait amèrement sa dernière expérience) Miss McPherson donnait une réception. Elle en profiterait pour présenter à tout le monde Victoria Brightwell, la fille d'Andrew, qui faisait plus ou moins son entrée dans le monde, et tout le monde y trouvait son compte.

Les deux G. étaient venus dans le coche qu'Andrew Brightwell mettait à disposition des membres du club, et alors que Gregory hésitait à présenter son encombrant cousin à Jemima, celui-ci avait insisté pour venir. Il lui avait même laissé entendre que si il ne l'emmenait pas partout où il irait, il se ferait passer pour lui et se baladerait nu devant Buckingham Palace, afin de salir leurs deux noms d'un coup. Gregory ne voulant ni se retrouver à Bedlam, ni en prison, ni être humilié, il avait accepté que Galaad l'accompagne à la réception des McPherson, songeant qu'après tout cela ne lui coûtait rien. Il présenterait son ''cousin'' à Jemima, qui ne comprendrait pas qu'il ne lui présentât pas un parent en visite à Londres, il ferait un brin de cour à sa cher et tendre, rentrerait tôt pour limiter les dégâts que Galaad était susceptible de faire... Il avait accepté à contre-cœur de lui donner des informations sur sa famille et son enfance afin qu'il ne trahisse pas son inexistence auprès d'amis d'enfance de Gregory, Caroline Thorne par exemple, qui était de toutes les réceptions chez Jemima – sans doute parce qu'elle appréciait le frère aîné de celle-ci, Michael McPherson, au point qu'on murmurait qu'ils annonceraient bientôt leurs fiançailles.

Les deux cousins sortirent du fiacre, et Gregory se fit la réflexion qu'avec leurs queues de pies et leurs écharpes blanches, ils étaient vraiment jumeaux.

Comme Jemima les accueillait, hésitant un peu devant les ''jumeaux'', Gregory prit les devants, s'inclina devant elle et dit :

« Ma chère Jemima, je vous présente mon cousin – je sais, nous nous ressemblons beaucoup – Galaad Richards. »

Galaad prit aussitôt la main de Jemima et la baisa avec déférence.

« Je suis le cousin de la campagne, dit-il, et d'après ce que je peux en juger, vous êtes Hélène, la plus belle femme du monde. Dites, vous n'auriez pas une sœur nommée Clytemnestre à me présenter par hasard ? »

Jemima, qui avait d'abord froncé les sourcils en entendant Hélène, songeant que si Gregory avait plus parlé à son cousin d'une certaine Hélène que d'elle, il allait y avoir un problème, éclata de rire en entendant la fin de la phrase et la suivante.

« Non, répondit-elle, en revanche vous êtes un menteur, Monsieur. Au vu de votre ressemblance avec Gregory et de votre éducation, vous ne devez pas être le cousin campagnard, mais le frère caché !

— Si c'était le cas, Mademoiselle, fit-il remarquer, ce serait un bien douloureux secret à supposer. »

Jemima n'en demandait habituellement pas plus, elle ne le fit donc pas non plus dans ce cas. En moins d'une semaine, tout Londres était persuadé que, d'une manière ou d'une autre, Galaad était le frère de Gregory. Certains pensaient que leurs excentriques parents avaient caché l'existence d'un des jumeaux et avaient fait vivre aux deux une seule vie en sortant en alternance, d'autres mettaient en doute la fidélité de Mr Richards, les derniers celle de Mrs Richards. Aucun ne vint demander son avis ou de plus amples informations, ou simplement confirmation, à l'un des deux ''cousins''.

Lorsqu'il l'apprit, Gregory entra en trombe dans l'appartement qu'ils partageaient au dernier étage du Brightwell et trouva Galaad en train de manger du raisin, allongé sur un canapé, comme s'il était quelqu'empereur romain. Gregory trouvait la comparaison à son goût, puisque la plupart de ceux qu'il aurait pu nommer étaient fous, et que c'était l'impression que lui donnait l'Autre G.

« Tu n'es pas bien non ? demanda-t-il à Galaad, qui n'avait même pas cillé en voyant la porte s'ouvrir à la volée. Tout Londres est persuadé que mes parents étaient des papillonneurs maintenant, voire des fous !

— Tu devrais être plutôt content, au contraire, protesta Galaad en gobant un grain de raisin. Tu n'as plus besoin de t'inquiéter de trouver une raison à ma présence, tout le monde la trouve parfaitement justifiée désormais. »

La logique de Galaad laissa Gregory sans voix.

« Et aucun n'ayant demandé à l'un de nous deux des précisions, nous n'avons pas à mentir pour autant, ajouta Galaad. Mais tu es libre de rétablir la vérité. Vas-y, dis à tous ceux qui répandent cette rumeur : ''moi, Gregory Richards, j'ai percé le secret de la magie et fait sortir mon reflet de mon miroir''. Si ils ne te brûlent pas en place publique, ils te mettront à l'asile d'aliénés jusqu'à ce que tu sois vraiment devenu fou.

— Brûler en place publique ? se força Gregory à rire. N'importe quoi !

— Ah, pas dans ce monde ? s'étonna Galaad. Bah ! N'importe. Du reste, tu n'as pas nié l'autre châtiment qu'ils pouvaient t'infliger. »

Se renversant sur son canapé, il croisa les jambes et dit :

« Non, mon vieux, tu es condamné à vivre dans le mensonge. Remarque, ce n'est pas si mal, étant donné que de toute manière, personne ne croirait la vérité. »

Gregory songea qu'effectivement, personne ne croirait la vérité. Partant de ce postulat, si il voulait se débarrasser de l'encombrant ''cousin de la campagne / demi-frère / reflet'' il devait le faire lui-même. Il n'aurait pas d'autre moyen.

Il lui vint subitement à l'esprit que Galaad – ou quel que soit son véritable nom – pouvait un jour le trouver encombrant, lui, et essayer de se débarrasser de lui. Il n'avait pas le monopole des cousins parasites, ni celui de l'imagination, et s'il rêvait d'une vie où Galaad avait disparu du paysage, Galaad pouvait rêver de la même manière de sa disparition. Or, là où Gregory restait relativement inoffensif, il n'avait pas l'impression que ce soit le cas de Galaad. Et comme celui-ci lui avait fait lui dire tout ce dont il avait besoin pour prendre sa place...

Gregory songea subitement qu'il s'était fourré bien plus profond dans le pétrin qu'il ne le croyait. Après tout, il avait donné à Galaad tous les outils pour le remplacer s'il lui arrivait malheur... Et il pouvait lui arriver malheur n'importe quand. Par n'importe quel côté.

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