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  • Sais-tu que tu es la plus belle du défilé ? me murmura à l'oreille Bako Idrissa, le maquilleur en chef des défilés de l'African Fashion Week.

Le miroir posé devant moi reflétait mon visage sans défauts et j'esquissai un sourire, pendant que mon ami finissait de me maquiller lui-même, ce qui était un privilège rare. Ses assistantes s'occupaient, quant à elles, des autres mannequins, assises non loin.

  • Merci Bako, c'est parfait ! m'écriais-je avec une certaine satisfaction, en me contemplant dans le miroir.
  • Ta coiffure est splendide, ajouta-t-il en me jetant un coup d'œil appréciateur. Amy a également fait du bon boulot !
  • Merci, c'est gentil pour elle, le remerciai-je en lui faisant une bise sur la joue. Tu es le meilleur.

Au même moment, la directrice de casting, Kamelia Sidibé, vint vers nous toute essoufflée. Sa tablette tactile n'avait pas quitté sa main droite depuis plus d'une semaine.

  • Adalé ! Fogo t'attend pour enfiler le premier modèle de sa robe ! Le défilé commence dans 10 minutes pile ! Vite, vite !
  • Ok, Kamelia, laisse-moi juste le temps de boire un café, rétorquai-je, agacée par son empressement.
  • Quoi ? Alors que tu viens de te maquiller ? T'es dingue ou quoi ?

Bako leva discrètement les yeux au ciel et tourna les talons afin d'aller superviser son équipe.

  • Alors ? s'impatienta Kamelia.
  • Ok, ok, j'y vais !

Il y avait une véritable effervescence dans les coulisses du défilé. Une cinquantaine de mannequins hommes et femmes se tenaient déjà prêts à affronter le catwalk, tandis que d'autres étaient collés à leur téléphone ou discutaient entre eux. La plupart des stylistes aboyaient sur des assistants fatigués, dont certains reprisaient d'une main rapide et experte des vêtements, afin d'apposer les dernières finitions sur des modèles.

Fago Sylla était un des stylistes les plus en vue du moment et le premier à présenter sa collection ce soir. Ses créations étaient aussi élaborées et qu'élégantes, dans un style à la fois africain et contemporain. Je le retrouvais, aux côtés d'une assistante ainsi que d'une vingtaine de mannequins, dans l'aile réservée aux défilés en cours ou sur le point de se dérouler.

  • Bonsoir Fago, désolée pour le retard ! Bako finissait de me maquiller.
  • Aucun problème, ma chérie, déclara-t-il avec un sourire. Voici la veste et la robe que tu dois porter, comme convenu, lors de ton premier passage.

Son assistante me tendit les magnifiques vêtements, élaborés avec du wax.

  • Ok, je reviens tout de suite ! assurai-je, en refermant derrière moi le rideau d'une des cabines d'essayage.

Je mesurais plus d'un mètre quatre-vingt, mais malgré cela, et fort heureusement, la robe descendait pile poil sur mes chevilles. Les mains sur les hanches, j'effectuai un tour sur moi-même, avant de sortir de la cabine. Fago manifesta bruyamment son enthousiasme en me contemplant des pieds à la tête, ce qui n'était absolument pas le cas de Kamelia.

  • Adalé, m'apostropha-t-elle avec un sourire forcé, tu cherches à me provoquer une crise cardiaque ou quoi ? Tu es la première à passer, mais non, madame prend tout son temps ! Je te signale que le défilé de Fago est dans deux minutes !

Les sourcils froncés et en proie à un léger agacement, je la regardais un court instant, sans rien dire. Je me rapprochai ensuite d'elle pour me tenir à ses côtés et, avec un air avenant, lui murmurai :

  • N'oublie pas que je suis la vedette de cette Fashion Week. Je suis le mannequin vedette et j'ai des relations. Encore une protestation de ce genre et crois-moi, tu pourras dire adieu aux événements dédiés à la mode. Suis-je assez claire ?

Kamelia, choquée, me regarda avec inquiétude.

  • Un problème ? nous demanda Fago, en se rapprochant de nous.

Je fixai intensément la directrice de casting, qui arborait un pâle sourire indiquant qu'elle avait compris le message. Elle avait néanmoins beaucoup de mal à dissimuler son malaise.

  • Non, non, ça va, Fago. On... On mettait juste quelques détails au point pour la clôture de l'évènement demain soir. Adalé, mets-toi devant le rang, s'il te plaît, ajouta-t-elle d'une voix sourde.
  • Avec plaisir, Kamélia.

Comme quoi, les menaces pouvaient être utiles en temps voulu. De toute manière, je comptais bien faire en sorte que cette idiote ne soit plus directrice de casting, et ce nulle part. Elle n'avait jamais accepté de se plier à volontés depuis que je la connaissais et ça allait lui apprendre à jouer les casse-pieds.

Les défilés se succédèrent sans encombres, et ce fut une joie de porter des pièces uniques de créateurs différents, dont la robe de mariée de Fago. Tard dans la nuit, pendant que la plupart des mannequins remettaient leurs vêtements habituels, l'un d'entre eux nous proposa de nous rendre dans un restaurant en bord de mer, situé non loin de l'hôtel cinq étoiles Fagarabi où nous nous trouvions actuellement.

  • Ça te dit Adalé ? me demanda timidement Adama Sylla, un jeune mannequin qui débutait dans le métier.
  • Non, désolée, répondis-je en vérifiant mon maquillage dans le miroir. Je suis attendue à la soirée organisée par la marque Kassoumaye, l'un des principaux contributeurs et partenaires de la Fashion Week.

Visiblement contrariée, l'un des mannequins les plus âgés du groupe, Zeyna Gueye, me demanda :

  • Et comment se fait-il que nous n'ayons pas été invités ?

Je ne pus m'empêcher de rire intérieurement pendant quelques secondes, avant de me tourner vers elle :

  • Ne le prends pas mal, mais j'ai été invitée, pour la simple et bonne raison que je suis l'égérie de cette marque. Tu sais aussi bien que moi que Kassoumaye produit l'émission de mode que je présente au quotidien sur la chaîne nationale. Personne ne sait qui vous êtes, donc c'est tout à fait normal que vous ne soyez pas sur la liste des invités. Tu captes, j'espère ?

Certains parmi les mannequins semblèrent surpris par mes propos, d'autres se contentèrent de me lancer un regard de commisération.

  • Mais pour qui tu te prends ? Tu crois que parce que tu as défilé pour les plus grands, tu dois prendre les gens de haut comme ça ? s'écria Zeyna, dans une posture de quelqu'un qui cherchait la bagarre.
  • Je ne savais pas que tu étais aussi dure, renchérit Adama, qui semblait très déçu.

J'enfilai sur mon épaule mon sac à main estampillé du nom de la marque que je représentais, avant de me tourner vers lui.

  • Mon cher, tu croyais quoi ? Que j'étais super sympa et j'allais être ton mentor ? Je n'ai pas le temps de faire du babysitting, moi ! Et toi, ajoutais-je en pointant du doigt Zeyna, à ta place, je ferais gaffe ! Tu es tout simplement jalouse de mon succès et ce n'est pas de ma faute si tu n'as pas encore réussi dans ce milieu. Essaie de te trouver une autre occupation, comme la pâtisserie, par exemple. Cela t'irait bien.
  • Espèce de sale… ! s'exclama Zeyna qui s'élança vers moi, mais qui fut aussitôt retenue par d'autres mannequins, qui la supplièrent de se calmer.
  • Calme-toi, lui murmura l'un d'eux, elle n'en vaut pas la peine !

Je bousculai sans le vouloir deux modèles en me dirigeant vers la sortie, masquant avec peine ma colère. Être avec ces mannequins était comme mélanger les torchons et les serviettes et j'espérais ne plus avoir à les rencontrer à l'avenir. Pour ce qui était de Zeyna, elle allait payer cher son attitude à mon égard.

La colère enlève ta beauté, ma chérie, n'y cède surtout pas. La phrase que m'avait sans cesse répété mon père, depuis mon jeune âge résonna dans ma tête. Je ne pus m'empêcher d'arborer un visage hargneux, tandis que j'effectuais une marche arrière avec mon monospace avant de démarrer en trombe. Je manquai d'écraser un des gardes à l'accueil qui était habituellement aux petits soins pour moi, avant de bifurquer ensuite sur l'autoroute non loin de là, en direction du centre-ville.

J'arrivai une demi-heure plus tard devant le siège de Kassoumaye. Le beau bâtiment était illuminé de mille feux et une musique électro assez forte se faisait entendre. Une petite foule se tenait aux abords de la façade. En me garant sur le parking, je sentis mon portable vibrer dans la poche de ma veste. Après avoir retiré ma ceinture de sécurité, je sortis mon smartphone et, après l'avoir déverrouillé, y jetai un œil.

Dans le volet des applications, une notification de l'appli Whospeak m'informa que Zeyna m'avait identifié dans sa dernière publication.

J'ouvris le lien et tressaillis. Il s'agissait d'une vidéo filmée de mon altercation avec les mannequins à l'Hôtel Fagarabi, peu de temps auparavant. Dans la légende, elle avait écrit : "La VRAIE Adalé Okowessi".

L'un des modèles avait dû filmer la scène en douce, avant de la remettre à Zeyna. Avec stupeur, je constatai que, d'ores et déjà, un flot de réactions indignées à mon encontre s'accumulaient en temps réel dans les commentaires.

Je pressais sans m'en rendre compte le téléphone, puis sortis aussitôt de l'appli WhoSpeak. Après un court moment d'hésitation, je décidai de composer un numéro.

  • Allô, oui, Gabby ?… Oui, je vais bien merci, et toi ?… Ok, je voulais savoir si tu pouvais m'aider à régler un problème avec tes talents particuliers.

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