Chapitre V

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Je fume en observant les passants dans la rue. Parfois mes yeux se posent sur un mec plutôt mignon, et je le suis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse à l’angle d’un bâtiment. Je suis appuyé sur la rambarde du balcon, mon téléphone dans les mains, j'hésite.

Cela fait maintenant plusieurs jours que j’ai envoyé un SMS à Camille et je n’ai toujours pas obtenu de réponse. A présent, j'hésite à l'appeler. Je me pose un millier de questions, je réfléchis trop, et au final je me dis que ça ne vaut pas la peine que je passe ce coup de fil, que je vais passer pour un con, et que de toute façon cela ne mènera à rien. Alors, pour finir, j'appelle Clay, et je raccroche presque aussitôt. J'allume une nouvelle clope, et j'entends ma mère dans le salon qui hurle au téléphone après je ne sais qui. Et je me décide, je l'appelle, et quand je vois apparaître son prénom "Camille" sur l'écran, je sens mon rythme cardiaque s'accélérer, et l'angoisse commence à monter.

-Ouais.

Sa voix semble fatiguée, enrouée, un peu traînante.

-Camille ?

-Oui, c'est qui ?

-C'est Paul. Je dis d'une voix enjouée.

-Ah... Ok.

Il ne semble vraiment pas emballé de m'entendre.

-Je te réveille, non ? T'as l'air complètement dans le gaz.

-Oui je suis encore au lit. Me suis couché tard.

-Désolé. Tu as fait la fête ?

-Non je viens de commencer un nouveau job et je finis tard. Ça va, toi ?

-Oui. Bien. Merci. Un nouveau job, tu dis ?

-Oui j’ai trouvé un boulot de serveur dans une brasserie rue Pasteur.

-Oh… Ok je vois où c’est je crois.

-Donc vu que je me couche tard, je profite de mes matinées de repos pour rester au chaud sous la couette.

Je perds mes moyens un instant, je l'imagine à moitié nu dans son lit, et ça me donne des idées.

-Je me suis permis de t’appeler, j'espère que ça te dérange pas ?

-Ben t'as bien fait.

-C'est vrai ?... Enfin ouais, c'est cool qu'on puisse se parler.

Il rigole, et ça a le don de me mettre à l'aise.

-Sinon... ça te dit qu'on se voie un coup dans la journée ? Ou dans la soirée même... Si ça t'arrange... Moi j'ai absolument rien de prévu aujourd'hui.

Il laisse passer quelques secondes sans rien dire. Puis il finit par me dire qu'il sera disponible dans l'après-midi. On se donne rendez-vous dans un café que l'on connaît tous les deux, et il finit par raccrocher, un peu trop rapidement à mon goût.

J'entends de la musique à côté. C'est ma mère qui écoute “Perfect Day” de Lou Reed, et j'ai le sourire aux lèvres. Je retourne à l'intérieur, et je la vois assise à la table de la cuisine. Je m'approche et m'assois en face d'elle qui pianote sur son ordinateur portable, et quand elle lève enfin les yeux sur moi, c'est avec un regard de reproche parce que je suis en train de tirer une clope de son paquet de Marlboro.

-Tu devrais arrêter de fumer.

Je la regarde, interloqué, me demandant un instant si elle ne se fout pas de ma gueule, puis elle finit elle aussi par prendre une cigarette que j'allume avec mon briquet.

-Ça va, toi ? Elle semble inquiète.

-Oui. Très bien.

-Oui, t'as l'air bien c'est vrai. C'est... Le garçon de l'autre fois qui te rend heureux ?

-Non.

Et je sais pas pourquoi mais elle semble soulagée.

-J'ai rencontré quelqu'un d'autre.

-Un garçon ? Elle demande.

-Oui. Un garçon...

-Tu fais attention à toi Paul... Hein ?

-Mais oui... T'inquiète pas !

-C'est mon rôle de m'inquiéter Paul !

__________

-Tu veux quoi ?

-Heu... Je sais pas encore... En fait j'attends quelqu'un la...

-Ok pas de souci. Je repasse plus tard alors.

Je le regarde s'éloigner, il prend la commande d'une autre table. Plutôt mignon ce serveur. Je sors mon paquet de clopes, réfléchis un instant et finis par le poser. Je ne veux pas être en train de fumer quand Camille arrivera. Je vérifie l'heure sur mon écran de téléphone que je dépose ensuite à côté de mon paquet de Camel. Je m'impatiente, un nuage passe, j'enlève mes Wayfarer, et finis par les reposer sur mon nez, me disant que je ferai plus forte impression avec.

Je siffle une chanson de Bowie dont le titre m'échappe complètement, et je m'interromps subitement. Au loin je le vois qui arrive, d'une démarche souple et assurée, et comme ce matin au téléphone, mon rythme cardiaque s'accélère, et pour me donner une contenance je glisse une clope entre mes lèvres et l'allume. Je lève les yeux sur lui, il me voit, me sourit faiblement, et je crois que je lui souris moi aussi.

Sa main tendue, que je serre, une poigne ferme. Debout face à moi, sa taille, si fine, mise en valeur par une chemise noire, ses longs cheveux, bruns, très foncés, qui tombent négligemment devant ses yeux... Verts, si troublants. Il rayonne, et moi je me sens juste ridicule en face de lui. Il prend place devant moi, nous n'avons encore rien dit, ni lui ni moi. Il passe négligemment une de ses mèches de cheveux derrière son oreille et j’en profite pour observer le tatouage qui orne son poignet gauche. Et je suis soulagé qu’il soit venu, rien que sa présence semble me faire du bien. J'ouvre la bouche, je me lance.

-Alors quoi de neuf ?

-Pas grand-chose. Ça fait pas tellement longtemps qu'on s'est vu faut dire. Même si ta soirée s’est pas super bien terminée.

-Ouais c'est vrai... Je dis rigolant bêtement, et je me sens con de sortir un truc aussi banal.

Le serveur qui revient. Je mate tout en commandant une bière et je crois que Camille s'en rend compte parce qu'il m'observe et il a un léger sourire qu'il tente de cacher. Lui aussi demande une bière, et on ne se dit plus rien jusqu'à ce que nos consommations arrivent. L’ambiance est un peu étrange. On trinque et il me fait un sourire merveilleux avant de boire une gorgée. Je ne dis plus rien. Je tente de donner l'illusion que je me fais chier, et j'essaie de ne pas trop le regarder.

-J’étais un peu étonné que tu m’appelles tout à l’heure…

Son ton me semble un peu froid, mais je ne m’en formalise pas.

-Ah oui ? Ben t’es un mec sympa… Il semblerait du moins, je me suis dit que ça serait cool de se voir un coup.

Il semble un peu désappointé par ce que je viens de dire.

-Je sais pas trop ce que tu cherches en réalité. Avec moi je veux dire.

Et là je n’ai pas le bon sens de lui dire que moi non plus je ne sais pas ce que j’attends de notre rencontre. Il ne me regarde plus, il fixe distraitement quelque chose qu'il semble être le seul à avoir remarqué, derrière moi, perdu dans ses pensées. Et là c'est moi qui suis désappointé.

-Je ne cherche rien de spécial, je te dis, t’es un mec sympa, je voulais te revoir c’est tout.

-Je suis pas vraiment un mec sympa, Paul. Je pensais que… Enfin, je suis pas le genre de mec à qui il faut s’attacher tu sais.

Il me balance ça d’un ton hésitant, j’ai un moment d’absence, je prends le temps de boire quelques gorgées de bière, que je trouve tout à fait à mon goût contrairement à la tournure de cette conversation.

-Je… Tu entends quoi par la ?

-Juste que… Si tu cherches un ami… Un petit copain… Ou un truc du genre, appelle ça comme tu veux. Je ne suis clairement pas la personne vers qui il faut se tourner.

Cette fois il n’est plus hésitant et je ne saurais dire pourquoi ça me désole un peu.

-Je ne cherche pas de…

-Alors tout va bien, il dit, me coupant la parole.

Cette fois le silence tombe vraiment entre nous deux, je me sens extrêmement mal à l’aise, d’une part qu’il se soit imaginé que je voulais un rencard avec lui dans l’espoir d’une relation sérieuse alors que nous ne nous connaissions à peine, d’autre part parce que ce qu’il vient de dire m’attriste quand même un peu et ça me fait chier même si je n’ose pas m’avouer pourquoi.

-Je peux savoir pourquoi tu me dis ça comme ça ?

Mon ton est un peu dur et face à son expression, j’en viens à le regretter.

-Je voulais simplement mettre les choses au clair entre nous.

Sa main se tend vers mon paquet de clopes et il se sert allègrement dedans.

-T’as pas du feu ? Il demande sans aucune gêne.

-C’est une manie de taxer des clopes aux autres ?

-Ça t’emmerde ?

-Non, pas vraiment. Je réponds en allumant sa clope

Et il se penche vers moi et ses cheveux retombent devant son visage. Quand il se redresse il les rabat vivement en arrière tout en expirant la fumée dans un geste que je trouve extrêmement sexy et aguicheur même s’il n’en a sans doute pas conscience.

-Et du coup, pourquoi t’as accepté de venir me voir ?

J’ose poser la question même si je redoute un peu ce qu’il va bien pouvoir me répondre. Moi aussi j’allume une clope, tâchant de paraître aussi attirant que lui pendant que je fume.

-J’étais… Comment dire… Curieux de savoir ce que tu comptais faire de moi.

Ses yeux pétillent d’un je ne sais quoi de lubrique alors qu’ils me fixent au travers de la fumée de nos cigarettes.

-Tu pensais qu’il suffisait que tu te pointes ici pour que j’aie envie de te baiser ? Je réponds, cherchant à le provoquer.

-Parce que tu n’en as pas envie peut-être ?

-Pas spécialement.

Tu parles j’en crève d’envie !

-Ah… Je dois avouer être un peu déçu. Je pensais te faire plus d’effet que ça. Du moins… J'espérais pouvoir te plaire assez pour qu’on passe rapidement aux choses sérieuses.

Et il me dit ça le plus simplement du monde, comme si c’était tout à fait naturel de parler de ça. Et de mon côté je ne lui réponds pas, parce qu’effectivement, Camille est très excitant. OK, cette nuit qu’on a passée ensemble il y a quelques mois était belle, torride et tout simplement merveilleuse. Mais là, tout de suite, je n’ai pas envie de le voir pour du sexe, je n’ai pas ni envie ni besoin que de ça.

-Écoute Camille. Pour tout te dire… Je sais pas ce que je fous ici et je sais pas exactement pourquoi je t’ai invité à boire un verre… J’avais juste… Envie de te voir manifestement.

-Ok. Bon on va finir de boire cette bière tranquille. Et on va peut-être en rester là. Ça te va ?

-Ouais. Bien sûr oui.

Pour tout dire, nous ne sommes pas restés plus de vingt minutes ensemble. Juste le temps de boire nos bières, dans un silence presque permanent. Et quand je quitte Camille, un sentiment d’insatisfaction immense s’empare de moi. Je le laisse au bar non sans avoir dû lui lâcher une dernière clope avant de partir, et ça m’emmerde vraiment parce qu’il ne m’en reste que très peu.

Je déambule dans les rues profitant de ce chaud après-midi d’été. Je me dis que je ne reverrai sûrement jamais Camille, et ce que je regrette le plus, je crois, c’est que je ne sais même pas qui il est. Jamais nous n’avons réellement fait connaissance, n’avons appris à nous connaître, je me dis que je ne connais rien de lui vraiment et cela m’attriste. Je crois qu’avec lui j’aurais aimé au moins en savoir un peu plus. Bref, je devrais pas me prendre la tête avec ça. Ce n’est qu’un mec comme un autre après tout.

J’aurais dû l’emmener chez moi, coucher avec lui, me vider la tête, comme je fais avec les autres et puis c’est tout. Mais… Pourquoi avec lui, quand je pense à lui, je me dis que ça ne me satisferait pas complètement ?

__________

Il pleut dehors. Et j’ai pris la flotte en venant jusqu’à chez Alice. Mes converses sont encore tout humides et ça n’est pas très agréable. Je suis en train de chercher une playlist sympathique sur l’ordinateur portable de mon amie quand Kenji finit enfin par se pointer. Il nous dit bonjour sans grande conviction il me semble, la mine sombre, il a l’air de très mauvaise humeur. Il prend place sur un fauteuil en face de moi, et Alice lui apporte une bière qu’elle pose sur une table basse entre nous deux.

-Nouvelle table basse ? Il demande remarquant le meuble en bois massif trônant au milieu du salon.

-Oui il semblerait que deux abrutis aient détruit l’ancienne… Répond Alice avec humeur.

Je ne peux m'empêcher de sourire devant la mine désolée que Kenji affiche maintenant, il a la présence d’esprit de pas répondre et se contente de boire une gorgée de bière.

-T’as pas l’air dans ton assiette… Remarque Alice pour Kenji tout en venant prendre place à mes côtés.

-Non, mets pas du Rammstein ! elle dit à mon intention alors que les premières notes de Deutschland se laissaient entendre. Je jure intérieurement contre la germanophobie de cette fille et finit par lancer la musique de Black Veil Brides parce que je sais qu’elle aime bien, ou bien plus probablement elle kiffe le chanteur. Peu importe.

-C’est un peu compliqué avec Julia en ce moment, nous avoue Kenji l’air penaud.

-Est-ce que le fait que tu roulais des pelles à une pouf tout ce qu’il y a de plus vulgaire à notre dernière soirée y est pour quelque chose ? Je demande vaguement curieux.

-Ouais, ça a sans doute pas aidé.

-Va falloir arrêter de jouer aux cons les gars ! Toutes vos conneries commencent à être fatigantes.

-Oh c’est sûr c’est simple de dire ça quand on croit avoir rencontré le grand amour… je dis, pensant à son nouveau mec. C’est quoi son nom déjà ?

-Donovan. Ça fait une bonne dizaine de fois que je te réponds, et je ne pense pas que ça soit le “grand amour” comme tu dis.

-Oh mais c’est tellement mignon de vous voir tous les deux, vous êtes tellement attendrissants.

-Tu n’en penses pas un mot ! Se plaint Alice.

-Evidemment. L’amour c‘est des conneries ! A part t'apporter des emmerdements…

Kenji ne relève pas se contentant de boire sa bière et d’essayer de prendre une clope dans mon paquet sans que je ne le remarque. Quant à Alice elle me dit que cela doit être pour ça que je m’obstine à rester célibataire, comme si elle ne connaissait pas la vraie raison.

-Oh il y a bien un certain Camille qui l'intéresse pourtant…

Je jette un regard noir à Kenji pour ce qu’il vient de dire et il m’observe l’air surpris un mimant un “quoi” silencieux avec sa bouche.

-Camille ? Tu ne m’en as pas parlé de celui-là, Paul.

-Parce qu’il n’y a rien à en dire. Je réponds en retirant mon paquet de clopes des mains de Kenji qui était enfin parvenu à s’en saisir. C’est juste un mec qui était à ta soirée, je l’avais déjà croisé en boite une fois.

-Attend… Camille ? Un petit brun, cheveux longs, très mince ?

-Ouais…

-Pas trop ton style, si ?

-Ça va… J’aime bien. Mais tu le connais ?

-Oui… Enfin non pas vraiment, c’est un pote à Donovan.

J’ai un peu de mal à imaginer Camille ami avec ce Donovan qui m’a semblé être plutôt insipide, mais après tout pourquoi pas… Et il y a peut-être possibilité d’en apprendre un peu plus sur un certain beau garçon aux yeux verts.

-Un pote à qui ? Je demande provocateur.

-Je te hais ! Elle dit en me mettant un léger coup dans l’épaule.

-Donovan c’est le nouveau petit copain d’Alice ! On arrête pas de te le dire Paul !

J’observe Kenji cherchant à comprendre s’il est sérieux ou non, et je crois bien que oui alors je préfère ne pas relever.

-Et il se connaissent bien ? Je demande à Alice.

-Plutôt oui, ils se voient beaucoup moins maintenant qu’à une époque mais ils ont grandi ensemble depuis l’adolescence si j’ai bien compris.

-Ah oui quand même…

-Mais, aux dernières nouvelles, Camille est pas gay, tu sais…

-Tu plaisantes ? J’ai couché avec lui une fois déjà.

-Peut-être, mais s’il aime se faire plaisir avec des mecs, Donovan n’est absolument pas au courant de ça.

Je reste pensif un moment. Et si Camille avait du mal à accepter son homosexualité vis à vis des autres, cela pourrait expliquer notre échange pour le moins étrange. Peut-être est-il bisexuel ? Ou peut-être qu’il s’en fout tant qu’il y trouve son plaisir.

Dans tous les cas, quand il a accepté de venir me voir dans ce bar, c’était clairement pour du sexe et rien d’autre. Mais cette première fois tous les deux, il y avait vraiment un truc de magique, je l’ai clairement pas imaginé, ça. Et rien que d’y repenser, je me sens… Je sais pas… Bien ? Peut-être…

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