61 : Marina & Marco

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Ferme Oettinger

Campagne environnante de Montrevel-en-Bresse (01)

Mi-juillet 1990

11:40

Les façades typiquement bressanes de l'immense corps de ferme des grands-parents Oettinger mêlaient le bois et le torchis. Les quelques fenestrons qui en parsemaient le haut propageaient un halo tamisé dans la pénombre du grenier où s'était reclus le jeune rouquin. Ses yeux gris-bleu s'embuaient, se noyaient dans la contemplation d'une massive broche en or et diamants ayant appartenu à sa grand-mère et qu'il tenait entre ses mains. La voix espiègle de celle qu'il aimait le sortit de sa torpeur.

— Marco ! Marco ! Bon sang, où es-tu ? On n'y voit que dalle là-dedans...

La silhouette sensuelle et longiligne de la jeune femme s'encadra dans l’embrasure. Sa longue chevelure indisciplinée avait dû être domestiquée plus tôt dans la matinée par de savants coups de brosse et nouée en une queue de cheval souple maladroitement retenue par un chouchou écarlate. Des mèches rebelles, agitées par la brise estivale, lui fouettaient dorénavant les tempes et la nuque, lui donnant ainsi des airs de sauvageonne. Le faisceau de la lampe-torche fouilla les moindres recoins du réduit et s'immobilisa sur ce grand frère qui illuminait sa vie depuis près de neuf ans. Depuis que les services sociaux avaient décidé de placer la gosse qu'elle était dans la famille qui occupait l'appartement voisin de celui des Mancini. Luciano, le père alcoolique et violent de la fillette, avait été incarcéré pour tentative de meurtre sur la personne de son épouse. Choquée, celle-ci s'était dite incapable d'élever une mioche qui avait dénoncé son paternel aux forces de l’ordre. Pas d’autres parents proches. Les fugues à répétition de l’intrépide gamine avaient eu raison de la patience des autorités. Le foyer des Oettinger avait été son refuge. Un refuge plein de chaleur et d’humanité.

— Ah, ben t'es là !

— Mari, baisse cette fichue lumière, s'il te plaît.

— Tu pleures ? Ça va pas ?

— Mais non, je pleure pas. Baisse ta lumière, bordel !

— Qu'est-ce que tu fabriques tout seul dans le noir ?

Le jeune homme, prostré à même le sol, ne répondit pas. La jolie brune s'avança à tâtons jusqu'à lui et s'accroupit à ses côtés en caressant son épaule musclée. Ses prunelles noisette rencontrèrent celles plus mélancoliques du rouquin.

— Marco, qu'est-ce qu'il y a ? Je te connais mieux que quiconque, alors dis-moi ce qui ne va pas...

— Si je te le dis, tu jures de ne pas te moquer ?

— Je te le jure !

Avec grâce, Marina s’installa en tailleur, et ses longs doigts féminins effleurèrent la joue de celui qui l’avait tant consolée par le passé.

— Je n’arrive pas à m’y faire. Dès que je ferme mes paupières, elle est là. Je la revois assise dans le jardin, sous la tonnelle, porter son verre d’orangeade à ses lèvres. Je la revois sur son rocking-chair nous raconter inlassablement comment elle avait rencontré papy Rudolph, son héros. Ce simple soldat allemand enrôlé dans cette saloperie de guerre. Ce troufion qui eut le courage de tenir tête à sa hiérarchie, de se rebeller pour épargner l’existence de quatre minots juifs que Sarah, ma grand-mère, cachait dans la grange. Ce bijou, il l’avait créé pour elle. C’était sa demande en mariage. Il était joaillier de formation. Lorsqu’il trépassa, gangrené par la maladie, mamie Sarah me fit faire le serment d’offrir ce symbole d’amour éternel à celle que j’aimerais et que je choisirais pour femme. Je ne suis pas un poète, Mari. Tu vas peut-être me trouver gauche, mais tu es celle auprès de qui je veux vivre jusqu’à mon dernier souffle. Je veux que tu sois la mère de mes enfants. Je t’aime tellement, Mari, tellement… Consentirais-tu seulement à m’épouser un jour ?

La surprise de l’aveu, de cette requête si impromptue. L’embarras, puis la révolte, comme pour mieux se dérober.

— Marco, tu es complètement dingue ! explosa la brune incendiaire en se levant brutalement. Ça ne fait que trois semaines qu’on sort ensemble ! Même tes parents ne savent rien pour nous deux…

— Et alors ? rétorqua son boy-friend en la rattrapant à la volée et en enlaçant sa taille de guêpe. Ça n’empêche pas les sentiments !

— Je n’ai pas envie d’être enchaînée dans ta prison dorée, Marco. Je suis libre et entends bien le rester. Je n’en veux pas de ton fil à la patte…

Il impulsa un mouvement de rotation à sa belle pour venir planter son regard hypnotique dans le sien.

— Mari, qu’est-ce qui te gêne ? Pourquoi refuses-tu systématiquement l’amour que l’on peut te porter ?

— Parce que j’évite de prendre mes rêves pour des réalités. Parce que les lendemains de fête ne sont jamais aussi sucrés et rose-bonbon que ceux qu’on décrit dans les contes de fée. Parce qu’aucun mec ne mérite qu’on se sacrifie pour lui.

— De quel sacrifice parles-tu ? Je te propose une vie à deux !

— Bobonne qui s’occupe des mouflets, de la popote et du ménage, tu parles d’un plan de carrière !

— Qu’est-ce que tu veux au juste ?

— Profiter de l’instant présent. Et là, ce dont j’ai envie, de suite, c’est que tu me fasses l’amour. Ici, maintenant…

Marina embrassa fougueusement son amant. Cette fois-ci, ce fut lui qui s’esquiva.

— Tu es inconsciente ou quoi ? Mes parents doivent nous attendre, et puis cet endroit est blindé de poussière en plus.

La piquante jeune femme bascula le rouquin sur le dos pour lui rouler le patin du siècle.

— Quelle chochotte tu fais ! De toute manière, avec vous messieurs, c’est invariablement le même refrain. Vous ne savez que blablater quand nous, mignonnes, nous n’espérons qu’une seule chose : que vous agissiez.

Marc dégagea une mèche du visage de sa bien-aimée et l’ajusta derrière son oreille ornée de volumineuses créoles fantaisies.

— L’amour ne se commande pas, Mari. Il est là, comme une évidence. Tu es partout en moi, tu m’as conquis sans rien faire d’autre qu’être toi-même. C’est comme ça que je t’aime, que je t’aimerai toujours.

Allora, facciamo l’amore subito ! (16) conclut-elle dans un italien sans accent tout en ôtant son top moulant qui habillait une poitrine opulente soulignée par un soutien-gorge pigeonnant.

Un corps à corps enfiévré s’anima sur le plancher vermoulu. Les encombrants vêtements s’arrachaient pour s’amonceler sous la charpente. Les tentures suspendues devant les ouvertures ondulaient sous la plainte aérienne et presque inaudible d’un vent de juillet, dessinant ainsi des ombres chinoises sur les peaux qui s’entrelaçaient d’une passion dévorante. Sous les caresses de son homme, l’amazone se muait en féline Aphrodite chevauchant son fougueux Apollon. La sueur perlait sur leurs épidermes veloutés, les soupirs de plaisir s’intensifiaient à mesure que leurs transports les conduisaient sur les routes buissonnières d’un Eden jalonné de ces fruits défendus qu’ils mordaient à pleines dents. Leurs cœurs battaient la chamade à l’unisson. Pluie diluvienne d’un érotisme sulfureux, ivresse de sens interdits, puis jouissance suprême dans un râle expiateur. L’expression la plus aboutie d’un amour incommensurable, quasi infini. Voire immortel.

(16) : Alors, faisons l’amour tout de suite !

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