60 : Funérailles

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Cimetière intercommunal

de Puiseux-Pontoise (95)

Fin janvier 2011

Le quatrième jour

9:27


Un ciel laiteux baignait d’une lumière aveuglante et triste le cortège mortuaire qui suivait le cercueil boisé de Katia Sdresvic. De fines giboulées de neige de circonstance tournoyaient autour des tombes et les nappaient d’une légère pellicule poudreuse, comme pour rappeler les origines slaves de la prostituée qu’on enterrait ce jour.

Les cordages firent descendre en terre l’ultime compagne de Marc Oettinger. Des verres fumés sur la plupart des visages. Des sanglots étouffés. La dignité d’un être drapé dans sa solitude. Ses traits tirés, ravagés par l’insidieuse douleur qui le brûlait de l’intérieur. Il fut le premier à jeter une rose blanche sur le caisson funéraire qui servait d’écrin à ce joyau de femme qu’il avait si mal aimé. Son recueillement, les mains jointes. Un ange passa. Katia peut-être… Un défilé de mimétisme, une salve de condoléances.

— Bonjour Marina, chuchota le commissaire Furhmann dans le dos de la fliquette. C’est hallucinant, tout ce monde pour les obsèques d’une simple fille de joie. On n’a jamais autant vu de putains, de macs et de policiers officiellement réunis en un même lieu !

— Wilfried ! Je vois que ce n’est pas la bienséance qui vous étouffe… rétorqua en se retournant la jeune femme, élégamment vêtue d’un tailleur anthracite et d’un manteau sombre, choquée par tant de désinvolture.

— Un trait d’humour pour rehausser une ambiance quelque peu morne n’a jamais tué personne.

Le commissaire aux origines alsaciennes rit de son bon mot avant de se raviser en constatant qu’il était parfaitement déplacé.

— Pardon…

— Je n’apprécie guère votre attitude.

— Marina, je suis aussi mal à l’aise que vous en de pareils instants. Marco et moi, on n’est plus vraiment proches. Je ne savais pas si ma place était ici ou non.

— Si c’est pour vous montrer aussi irrespectueux, ce n’était pas la peine de vous déranger.

— Pourquoi me voyez-vous comme un ennemi ?

— J’ai dans l’idée que votre présence en ce lieu n’est pas vraiment anodine. Je suis d’ailleurs certaine que vous aimeriez me soutirer quelque renseignement sur l’affaire en cours.

— La dernière fois que nous nous sommes croisés, je ne vous ai pas été particulièrement hostile. Il me semble même que j’ai plutôt été du genre coopératif.

— Certes, mais je me demande dans quel but.

— Je suis comme vous, je veux voir Eagle derrière les barreaux, qu’importe le chef d’accusation qui l’y conduira. Le double homicide de Saint-Ouen n’est rien de plus qu'une petite tuerie entre dealers. Jonathan Mancini était une victime collatérale. Un client occasionnel qui s’est fait liquider parce qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment.

Joyce Sunderland étreignit brièvement son ex-mari avant de s’éclipser vers son véhicule de location. Marina égara ses iris chocolatés sur celle qui, par le passé, avait été son amie. Une amitié anéantie par les vicissitudes d’une existence meurtrie.

— Mon demi-frère n’a jamais eu de chance ici-bas. Et cette foutue guigne l’aura poursuivi jusqu’à la fin. Joyce et Marco n’ont pas non plus été épargnés par le destin.

— C’est une nana insaisissable !

— Je pensais au contraire que vous étiez assez proches l’un de l’autre.

— Non. Je l’hébergeais simplement, et elle n’a pas longtemps posé ses bagages chez moi. Divergence de points de vue… Tenez, puisqu’on en est à évoquer l’entourage d’Oettinger, savez-vous qui est cette personne en deuil à ses côtés ?

— Il me semble que c’est la mère de Katia.

— Ah oui ! Je n’avais pas fait le rapprochement. C’est curieux, avant la cérémonie, ils ont échangé longuement. Je crois même avoir vu votre ami lui remettre une enveloppe.

— Furhmann, votre indiscrétion est d’une inqualifiable indécence ! C’est leur vie privée. Cela ne nous regarde pas.

La poignée de mains entre l’ancien bleu de la police et son ex-tuteur fut purement formelle, froide et impersonnelle. L’approche de Marina fut toute autre. Elle mettait un point d’honneur à assumer son rôle de « petite sœur ». Elle serra très fort Marc dans ses bras. L’amour, ce sentiment si puissant, les unissait depuis près de trois décennies. Un sentiment qui surpassait les liens du sang, comme une empreinte que le temps ne ternirait jamais. Une émotion à fleur de peau frôla leur échine, puis les submergea avant de les abandonner tout aussi soudainement. Le rimmel de Marina ne résista pas au torrent qui se déversa sur son visage. Avec pudeur, elle s’enfuit cacher sa peine loin de cette foule qui lui paraissait alors si étrangère à l’histoire qui les affectait.

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