50 : Fugue

4 minutes de lecture

Appartement Marquance

Rue de la Bretonnerie

Pontoise (95)

Fin janvier 2011

Le deuxième jour

20:12

La journée s’achevait. Elle avait été interminable. Marina était épuisée. Elle n’était pas mécontente de réintégrer son domicile. Elle avait tenté de joindre son fils pour le prévenir de son arrivée imminente, mais il n’avait pas décroché.

Il doit encore être en train de répéter pour son concert…

Elle tourna la clé dans la serrure, la porte se déverrouilla. Elle pénétra dans le vestibule et appuya sur l’interrupteur pour l’éclairer.

— Alex, je suis rentrée…

Pas de réponse, le salon était dans l’obscurité. Elle quitta ses bottes de motarde et jeta sa veste de cuir sur la patère en fer forgé.

— Alex, c’est maman ! Tu es là ?

Le silence, pesant. Presque palpable.

— Alex ?

Allumer la rampe de spots de la grande pièce à vivre. Marcher à tâtons. Contourner le comptoir en chêne massif. Aviser l’évier en grès marbré, vide. Ouvrir le réfrigérateur. Rien n’avait bougé. A vue de nez, l’adolescent n’avait pas dîné à l’appart'.

Bon sang Alex, tu sais que tu n’as pas le droit de sortir le soir en semaine !

Se diriger vers la chambre du fiston. Découvrir le notebook posé sur le bureau en verre dépoli et métal époxy, figé sur son écran de veille avec en toile de fond un diaporama, les morceaux choisis d’une tranche de vie : celle d’un homme et son fils, de David et d’Alex... Marina s’assit sur la chaise dactylo, abasourdie. Capter le message subliminal, le comprendre. Bouger la souris. L’image du bonheur perdu s’effaça au profit d’un texte en Times New Roman, tapé par l’adolescent.

***

Ça fait mal, ces clichés délavés d’un temps que tu voudrais pouvoir gommer, n’est-ce pas maman ?

En refusant d’évoquer papa, tu me voles mes souvenirs, ils finissent par s’évanouir dans ma mémoire et deviennent flous. Tu n’avais pas le droit de me faire ça, de nous renier. Et je sais pourquoi tu l’as fait.

Entre papa et toi, l’idylle était chancelante. Et tu l’as poignardée le matin même de sa mort. C’est toi qui as tué mon père en lui annonçant ta mutation pour ici. Ton job, toujours ton job. Il n’y en a que pour lui. Au point que tu en oublies jusqu’à mon existence. J’en ai rien à cirer, moi, d’avoir un clone de Julie Lescaut à la maison, tu ne fais que passer. On ne se voit qu’en coup de vent, et c’était déjà pareil quand j’étais tout gamin. Papa, lui au moins, était présent. Mais tu as préféré ne penser qu’à ta pomme, égoïstement. Tu as hypothéqué ses rêves de fratrie, les a sacrifiés sur l’autel de ton ambition personnelle.

Il était là, et moi aussi je suis là, sauf que tu n’en as rien à foutre. Je te déteste pour ça, pour l’épouse imparfaite que tu étais, pour la mère indigne que tu continues d’être…

Alors, je me barre d’ici. Parce que j’en ai marre d’être trop seul, marre que ton boulot t’accapare davantage qu’un amant. Oui, c’est ça ta faute, un adultère qui se poursuit et dure au-delà de la disparition de papa. Et cette putain de liaison qui nous bouffe, c’est avec la Police Nationale que tu la vis. Celle-là même à laquelle tu te donnes corps et âme. Un amour exclusif qui ne laisse de place à personne d’autre. Non, pour les autres, il ne reste rien. Rien que leurs yeux pour pleurer. Et aujourd’hui, mes larmes se sont taries d’avoir si souvent, si abondamment coulé ; mon cœur est tout aussi aride que le tien. Et je ne veux pas te ressembler, parce que je te hais, je te hais tellement !

Adieu.

Alex

***

Devant le PC, Marina suffoquait. Elle était sonnée comme un boxeur qui aurait reçu un uppercut en pleine poitrine. Son cœur battait à tout rompre. La violence des mots, de la haine de l’ado envers elle, de sa solitude, l’estomaquait. Néanmoins, elle ne pleurait pas. Se pouvait-il qu’elle ait le cœur aussi sec que son fils le prétendait ?

David, aide-moi s’il te plaît, protège ton fils...

Le visage livide, éclairé par le halo projeté par l’écran, elle s’empara de son portable, parcourut son répertoire et cliqua sur Oettinger mobile.

— Allô ?

Voix pâteuse, engourdie d’alcool sans doute, brouhaha autour.

Putain, il n’est même pas chez lui !

— Marco, c’est Marina… Alex est-il avec toi ?

— Non, pourquoi ?

— Il m’a laissé un mot sur son ordinateur portable. Il est… En colère contre moi. Il a fugué, enfin je crois

— Est-ce qu’il a pris sa gratte ?

Regard circulaire.

— Oui, mais quelle importance ?

— Il est donc vraiment parti. Je vais faire un saut chez moi, on ne sait jamais. Il a un double de mes clés. Je savais qu’un jour, ton silence sur son père te reviendrait en pleine face. Ce n’est jamais bon, les secrets de famille...

— Épargne-moi ta psychologie de comptoir !

— Mari, je ne suis pas contre toi. Je vais faire le tour de tous les endroits où il est susceptible de se trouver. Je te tiens au courant dès que j’ai des nouvelles…

— Merci Marco. Je veux dire, t'es pas obligé de faire ça pour moi, pour nous...

— Ne t’inquiète pas, petite sœur. Je vais te le ramener, ton minot. Il ne s’est pas monté la tête tout seul. Ta charmante belle-mère doit y être pour quelque chose.

— Odile ?

— N’oublie pas que dans son esprit, tu es l’unique responsable du décès de son fils adoré.

Marina coupa net la communication. Elle se refusait à en parler avec son frère d’armes. Il ne pouvait pas être objectif. Il avait toujours détesté David, sa famille. Il avait cependant raison. Odile avait toujours été la reine pour jeter de l’huile sur le feu. Cela étant, elle n’avait pas envie de se prendre la tête avec elle. Pas ce soir. Alex restait sa priorité.

Où peux-tu être ?

La prunelle de ses yeux se teinta progressivement de noisette délavée. Son fils, la chair de sa chair, son sang…

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