47 : Le Caffé Milano

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Le Caffé Milano

Quartier du Montparnasse

Paris 14ème (75)

Fin janvier 2011

Le deuxième jour

12:42

Il est des lieux qui sont immuables. On les retrouve semblables et habités de nos mémoires qui s'y sont enlisées, cette part de nous qu'on y a laissée.

Une vague de nostalgie cueillit Marc Oettinger dès qu'il franchit le seuil de la pizzeria. Rien n'avait bougé. L’atmosphère était la même que celle que sa petite famille et lui avaient connue et appréciée. Il se remémora y entrer au bras de Joyce, Jenny la facétieuse trottinant devant eux, drapée dans sa robe à volants et crinoline. Comme si c'était hier, comme si les cinq atroces années qui venaient de s'écouler n'avaient jamais existé.

Où sont passées les années, le bon vieux temps,

Les fous rires incontrôlés qu'on aimait tant ?

Je revois les personnages, qu'on n'oublie pas [...]

Cette nana qui chante. Putain, qu'est-ce que ça fait mal ! Je n'aurais jamais cru que ça fasse aussi mal. Ces mots, tous ces mots, tellement de maux. Et revenir ici surtout...

Le grand rouquin manqua de défaillir et se rattrapa au coin d'une table.

— Marco, ça va pas ? s'enquit son amie.

Une ombre m'a frôlé de près, pour me voler,

Prendre mon âme, mes intérêts ;

Laissez-moi si ça me dit pas […]

Respirer profondément. Prendre le temps de faire les choses. S'asseoir tranquillement. Et puis commander. Après tout, c'est peut-être la faim ou la soif qui me tenaille...

— Hey, vieux frère ?

— Ça va aller, Mari…

Un serveur s'approcha.

— Tu veux boire quelque chose, ma belle ?

— Je prendrais bien un Schweppes, oui, et toi ?

— Un gin tonic pour moi, s'il vous plaît.

Le garçon de café s'éloigna.

— Marco, tu es sûr que tout va bien ? Tu es blanc comme un linge !

— Ne t'en fais pas, Mari. C'est juste que tout remonte. Je revois Jenny assise à cette place, avec son indescriptible sourire et ses nattes élégamment nouées, encadrant son visage aussi malicieux qu'angélique... Je nous revois chanter pour l'anniversaire de Joyce, je la revois nous réclamer un petit frère... Pour moi, elle est toujours là, tu sais...

Le jeune duo (14) interprétant Sur mes gardes laissa place à Garou pour une reprise très jazzy du célèbre New Year's Day de U2. Marina coula une main salvatrice, aussi maternelle qu'amoureuse, sur celle d'Oettinger, mais il se déroba presque aussitôt.

— Pardon petite sœur, mais je ne peux pas... J'ai trop d'amour et de respect pour toi pour nous infliger une banale histoire de cul.

— Une banale histoire de cul ? s'offusqua la jeune femme. C'est comme ça que tu vois notre hypothétique liaison ?

— Non, justement. Toi et moi, on mérite mieux que ça. Je ne veux pas gâcher notre amitié, et je n'ai rien d'autre à te proposer.

— Rien d'autre que quoi ? Une vulgaire coucherie ? Et Katia dans tout ça, elle était quoi ? Une Conchita qui t'aidait à entretenir ta garçonnière et repassait tes chemises ? Ta putain attitrée ? Ton indic' ? Vas-y, dis-moi, puisque le sexe est indigne de nous...

— Tu ne peux pas comprendre ce qui nous liait Katia et moi ! siffla l'inspecteur entre ses dents. Elle a été la seule à me supporter au quotidien, même dans les pires moments. Je l'ai aimée à ma manière, peut-être pas de la meilleure des façons, mais j'ai toujours été sincère avec elle. Je lui ai donné tout ce que j'avais.

Marina était embarrassée. Son ami était en perdition et elle lui rentrait dedans, comme s’il n’était pas suffisamment en souffrance comme ça !

— Excuse-moi, Marco, je ne voulais pas raviver tes blessures...

I will be with you again… (15)

— Je n'ai pas su l'écouter quand elle avait besoin de moi. Je n'ai pas non plus su la protéger. Ne m'en veux pas de ne pas risquer de te mettre en danger. Mes amours se sont toutes éteintes par ma faute.

— Il te reste Joyce...

— Joyce ? Elle n'est plus qu'une poussière d'étoile qui vivote en attendant la fin de son existence. Son éclat, c'était Jenny...

Une trace lacrymale glissa le long de la joue du flic. Ses prunelles se teintaient de couleurs mélancoliques et papillonnaient d'émotion. Le couple atypique n'échangea plus un mot du repas ; tous deux étaient murés dans leur solitude, lacérés de leurs plaies à vif qui ne cicatrisaient pas.

(14) : Joyce Jonathan & Tété

(15) : Je serai à nouveau avec toi...

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