46 : Aparté

4 minutes de lecture

Bureau de Police

DDPU 95

26, rue Général Leclerc

Saint-Ouen l'Aumône (95)

Fin janvier 2011

Le deuxième jour

11:32

Appuyée contre le dossier de son fauteuil anthracite et munie d'un trombone en guise de boule anti-stress, Marina se replongeait dans les auditions de la matinée. Depuis une poignée de secondes, accoudé dans l'embrasure de la porte, Oettinger observait, amusé, la jolie quadra affublée de lunettes de repos.

— Tu fais sérieuse comme ça, avec tes binocles ! On dirait Sophie Marceau dans L'étudiante...

La commissaire sursauta, puis sourit à la vue de son collègue.

— Tu ne t’es pas regardé ! Toi, t'as la dégaine d'Horacio Caine (13).

— Hum, je suis sûr que s'il s'invitait chez toi, tu ne dormirais pas dans la baignoire...

La jeune femme attrapa le lover-bear qui trônait sur son bureau et l'envoya à la figure de son frère d'armes. Il le réceptionna avec adresse et poursuivit avec ironie.

— C'est pour moi ? Merci, ma biche, je n'espérais même plus.

La mine faussement outrée, à demi-complice, la belle souffla.

— Triple idiot, t'as vraiment de la chance que ce ne soit pas un cendrier qui me soit tombé sous la main...

— C'est une bonne idée, ça, une pause-cigarette ! Ça te dirait de m'accompagner ? J'ai besoin de prendre l'air…

— T'as vu le taulier, c’est ça ? Comment tu te sens ?

— Mi-figue, mi-raisin. Au fond, c'est Joyce qui avait raison. Il est grand temps que je passe à autre chose. Mais auparavant, j'ai besoin de tes lumières de profileuse...

— Tu parles ! Notre cher boss n'a jamais voulu que je termine ma formation.

— Hé, trois mois d'immersion en Floride, tout de même !

Marina se dirigea vers son acolyte et lui reprit sa peluche - souvenir d'une quelconque Saint-Valentin célébrée avec David.

— Les trucs de nana romantique, ça ne te va vraiment pas...

Elle le reposa à sa place et emboîta le pas de son adjoint.

— On va se balader ? J'ai envie de marcher.

La brunette acquiesça.

***

Les deux flics déambulèrent dans la rue sans un mot. Le rouquin sortit de sa poche son paquet de Dunhill et proposa une sèche à son amie. Elle l’accepta volontiers. Oettinger approcha son briquet Bic de la clope de celle qui avait été tour à tour sa petite sœur et sa maîtresse. Ultime geste de séduction dans le monde des fumeurs, il protégea de sa main la flamme qui alluma la cigarette et les yeux de Marina. Il fit de même pour embraser sa dépendance et s’adossa contre un réverbère avant d’expirer une longue volute que le vent hivernal emporta presque aussitôt au loin. Les prunelles noisette de la commissaire brûlaient de questionnements ; ce fut néanmoins l’inspecteur déchu qui, le premier, brisa le silence.

— T’en es où dans tes enquêtes ?

— Je suis complètement paumée. Entre mes certitudes, les absences de preuves et les directives de Revon...

— Le taulier est un cave ! C’est ce que tu penses toi qui m’intéresse.

— Pour moi, toutes les affaires sont liées. Ce n’est pas le même mode opératoire, mais un Colt 45 est le dénominateur commun. En assassinant Katia et Mathilda Triviani, on a délibérément cherché à t’atteindre de façon personnelle. Seul Joseph Cash peut t’en vouloir à ce point. Seulement, pour le premier crime, il était encore en cabane, et l’analyse graphologique du tag sur le panneau en plexiglas le disculpe tout autant. Il n’est que le chorégraphe de cette macabre danse. Il était à deux doigts de m’avouer le nom de son bras armé.

— Selon toi, qui est-ce ?

— Izmaar Eagle. Un séjour en commun à Fleury, dans la même cellule, c'est ainsi que peuvent naître les renvois d'ascenseur ou les deals. L’ennui, c’est que Revon ne me laissera jamais exploiter cette piste. Le Caïd de Sarcelles a été arrêté pour le double meurtre de Saint-Ouen. Hélas, on n’a rien de concluant. Il prétend que sa notoriété de star joue contre lui, qu’il était en galante compagnie au moment des faits et qu’il avait déclaré sa voiture volée. C'est tout ce qu'il me reste à vérifier.

— Donc, on n’a toujours aucun coupable pour Katia et Mathilda ?

— Shakes a un alibi, et Mercks, le type dont on a retrouvé les empreintes sur le flingue abandonné dans la poubelle de la gare de Cergy-le-Haut, est également passé à trépas.

— Mercks, tu dis ? Bon sang, je suis sûr que c'est ce mec qui avait rencart avec Katia hier soir…

— Ah bon ? Tu en es certain ?

— J’ai mes sources, petite sœur… Écoute, Mari, moi je suis hors-jeu. Seulement, j'ai la conviction que tes intuitions sont les bonnes. Alors continue là où ton pif te mène, je t’aiderai en sous-marin.

— Enfin, Marco, les bœufs-carottes sont à l’affût de tes moindres faits et gestes, ne leur donne pas du grain à moudre pour te concasser ! Et par ailleurs, le taulier tire sur mes rennes pour éviter que je ne m’emballe trop vite; je suis pieds et poings liés par son emprise hiérarchique.

— Revon est un ripoux. Ça ne m’étonnerait pas qu’il en croque dans l’une ou l’autre de ces magouilles...

— Tu plaisantes ?

— J’en ai l’air ?

— Pas vraiment non…

— Allez, pour la peine, je t’invite à déjeuner !

— Dans ce quartier ? A part le Kebab…

— Non, je t’emmène dans un endroit merveilleux empreint de nostalgie. Le resto préféré de Jenny.

— Le Caffé Milano ? Je croyais que…

— Il est grand temps que j’exorcise mes démons, tu sais. Et puis, tu es mon ange-gardien, non ?

— OK, mais à une seule condition : on prend ma voiture.

— Toi, t’as vraiment une dent contre mon Alfasud ! On croirait entendre ma fille...

— C’est le bon goût et le pragmatisme féminins qui parlent, tu ne peux pas lutter !

(13) : le héros récurrent de la série télévisée Les experts : Miami, interprété par David Caruso

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