27 : Terminus

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Quartier de la gare

Cergy-le-Haut (95)

Fin janvier 2011

Le deuxième jour

06:32

L'hiver habillait de sa parure cotonneuse la préfecture du Val d'Oise et le vent glacial cinglait le visage de Marc. Geste d'un autre temps, il enfonça sa clé dans la serrure de l'Alfasud pour la verrouiller et s'éloigna sur le trottoir en relevant le col de son manteau, un sachet de croissants chauds à la main. Une bonne partie de la nuit, il avait écumé tous les clubs privés qu'il connaissait, dans l'espoir d'y croiser Katia et son client helvète. Il n'avait aucunement l'intention de lui faire une scène, ses préoccupations étant ailleurs. Mais de toute évidence, le sémillant financier et sa douce avaient choisi un nid infiniment plus intime que ces boîtes surpeuplées pour abriter leurs ébats tarifés.

Le bruit du Transilien entrant en gare tira le rouquin de ses songes. Plusieurs rues le séparaient encore de l'appartement de la prostituée, les places de parking étant rares dans le quartier à une heure aussi matinale. Il dépassa un fourgon, une R5 hors d'âge puis la Smart de Katia. Il en fut intérieurement soulagé. Cela signifiait qu'elle était rentrée sans encombre de son escapade nocturne et qu'elle l'attendait gentiment lovée sur la méridienne, drapée dans son long pull de laine informe qui lui donnait des airs d'adolescente... Une pensée qui le rassura, et une image un rien glamour qui lui tint compagnie jusqu'à la porte cochère de l'immeuble d'inspiration haussmannienne.

Oettinger appuya sur le bouton qui débloquait le lourd portail en fer forgé et remonta la modeste cour intérieure. Manuel, le vieux concierge d'origine espagnole, balayait les dalles du patio en fredonnant Que nadie sepa mi sufrir, une chanson sud-américaine qui avait jadis inspiré La foule de Piaf.

¡ Hola Manuel !

¡ Hola, señor Marco !

Les deux hommes se serrèrent la main.

— La señorita Katia n'est pas avec vous ?

— Tu veux dire...

Ye vous yure, señor, que ye ne l'ai pas vue ce matin ! Ye pensais qu'elle dormait chez vous...

Le flic lâcha son paquet de viennoiseries qui s'écrasa sur le sol carrelé et courut vers la sortie.

Señor Marco, vos croissants ! ¡ Señor !

Mais le grand rouquin était déjà loin.

L'inspecteur aux abois arpenta les rues environnantes au pas de course, en vain. Aucune trace de sa dulcinée. Son regard gris-bleu se perdit sur l'horizon bétonné, puis s'attarda sur un bâtiment qui retint son attention : la gare SCNF, véritable cathédrale de verre. Instinctivement, il obliqua dans sa direction, et parcourut la salle des pas perdus, les quais. Elle était là, allongée sur le dos. Reposant à même le plastique thermoformé d'un banc, enveloppée dans sa pelisse d'hermine. Inanimée, les yeux clos. Il se précipita vers elle, s'accroupit à ses côtés et caressa tendrement ses cheveux blonds peroxydés. Un impact de balle avait perforé son front, le filet de sang qui s'en écoulait était encore frais. La vie l'avait quittée. Son amant la prit une dernière fois dans ses bras pour la serrer contre lui. Les larmes silencieuses qui inondaient son visage giflé par la bise lui brûlaient la peau, mais il n'en avait cure. Sa douleur intérieure était bien plus grande. Un hurlement rageur d'animal blessé lui monta à la gorge et s'évanouit dans les airs à mesure que le vacarme du RER A en provenance du Châtelet prenait le pas sur tous les bruits alentour.

Derrière le rideau de son incommensurable souffrance, Oettinger devinait ces mots tagués au gloss sur un panneau publicitaire en plexiglas :

« Marquance et toi aurez toujours un train de retard. Ça fait dix ans que j'attends ça. Terminus, Mademoiselle Katia. C »

L'écriture n'était pas celle de Joseph Cash. Cependant, terrassé par l'effet uppercut qui lui ôtait son ultime raison de vivre, Marc ne le remarqua pas. Il restait là, prostré contre le corps de sa compagne.

Au même moment, dans un quartier d'Amiens, Youri Sdresvic, petit bonhomme de deux ans et demi, avait le sommeil agité. Il ne savait pas que le cauchemar qui le hantait venait de devenir réalité.

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