12 : Confidences sans oreiller

4 minutes de lecture

Appartement Marquance

Rue de la Bretonnerie

Pontoise (95)

Fin janvier 2011

Le premier jour

18:50

Alex Marquance ouvrit le four pour contrôler la cuisson du plat de lasagnes maison qu'il avait lui-même préparé pour sa mère. Sa charmante invitée était accoudée au comptoir en chêne qui séparait la cuisine américaine de la salle à manger, le minois boudeur. La décoration se voulait campagne-chic, un rien rustique, à l'image de ce qu'avait aimé David. La douce voix délicieusement british de Jane Birkin susurrait les mots de Gainsbourg sur l'air de Quoi et meublait le silence qui pesait dans l'appartement cosy au cachet désuet.

Quoi,

D'notre amour feu ne resterait que des cendres ?

Moi,

J'aimerais qu'la terre s'arrête pour descendre […]

Le jeune homme referma le four, affina le réglage de la température et se tourna vers Melody.

— Ça ne va pas, Mel ? Qu'est-ce qui te contrarie ?

— C'est juste Samir qui fait chier... Il vient de m'envoyer un texto. Il m'écrit qu'il ne veut pas que j'aille tourner ce clip avec Izmaar, que c'est un salopard à qui il doit du fric et que je risque de me mettre en danger...

Joie

Et douleur, c'est ce que l'amour engendre ;

Sois

Au moins conscient qu'mon cœur peut se fendre […]

— Et que comptes-tu faire ?

— Je n’en sais rien, il me saoule grave... Cette vidéo, c'est la chance de ma vie, je ne peux pas la laisser filer, tu comprends ? Ça fait trop longtemps que je rêve de sortir de ma petite vie tranquille dans laquelle il ne se passe jamais rien !

— Vas-y, fonce ! Si j'avais l'opportunité d'être différent de ce que je suis aujourd'hui, je n'hésiterais pas une seconde... Approche, je vais te montrer quelque chose...

Alex passa sous l'imposante poutrelle pour contourner le bar, prit la main de Melody et l'entraîna vers le buffet en bois massif où trônaient plusieurs cadres-photos. Il se saisit de celui qui représentait un petit garçon de sept ans vêtu d'une casaque rouge et d'une bombe de cavalier montant un pur-sang.

— C'est moi quand j'étais enfant. On habitait la Nièvre, et j'avais mon propre cheval. Il s'appelait Réglisse. Je voulais être jockey professionnel. J'ai fait quelques compétitions mais...

Amour cruel

Comme un duel,

Dos à dos et sans merci ;

Tu as le choix des armes

Ou celui des larmes […]

— Mais ?

— Mais mon père a eu un accident de moto et ma mère a été mutée ici. Avec un seul salaire, elle n'avait plus les moyens de payer la pension de mon cheval, ni les cours d'équitation, ni même de m'envoyer chez mes grands-parents les week-ends...

— Et qu'est devenu Réglisse ?

— J'ai dû me résoudre à m'en séparer, à contrecœur. C'est vachement dur de devoir renoncer à tes rêves quand tu n'as même pas dix ans... Je débarquais de ma province, j'étais un gosse solitaire, j'avais perdu mon père et mon animal préféré, mes deux compagnons de jeux. Alors, je me suis trouvé une autre passion, la même que celle de mon father : la musique.

— C'est lui avec la guitare ? demanda Melody en désignant le portrait d'un beau brun ténébreux dominant le living.

— Oui, il avait formé un groupe de country. Sa gratte, c'est tout ce qui me reste de lui... Tu veux que je t'en joue un morceau ?

La jolie vietnamienne fit non de la tête et poursuivit.

— Il te manque ?

— Beaucoup oui, surtout parce qu'il s'occupait tout le temps de moi, et que ma mère travaille sans cesse. On est très proches, seulement je lui en veux de voir mes souvenirs s'estomper. Tout devient flou dans ma mémoire. Elle ne me parle jamais de lui. Elle... Elle n'y arrive pas ; enfin, je crois... Tout ce que je sais, c'est ma grand-mère qui me l'a appris.

— Tu vois, Alex, on est un peu pareils tous les deux, comme les arbres qu'on déracine et qu'on replante ailleurs en espérant qu'ils s'y acclimateront. Au final, la terre n'est jamais assez bonne ou l'endroit jamais assez ensoleillé ; on aura beau nous rempoter comme des bonsaïs, on sera toujours comme amputés de nos origines...

— Tu te sens étrangère ici ?

— Non, pas quand tu es avec moi...

Les deux adolescents à la mine triste étaient en train de s'étreindre lorsque le carrousel multi-disques changea de CD pour que la muse du grand Serge laisse place à Sting et son Englishman in New-York.

— Tu es sûre que tu ne veux pas dîner avec nous ? s'enquit Alex en caressant la joue de son amie, des trémolos d'émotion dans la voix. Ma reume ne devrait plus tarder. Tu verras, elle est super cool...

Melody posa un doigt sur sa bouche et déclina silencieusement l'invitation de son chevalier servant en l'embrassant d'un chaste baiser qui le fit rougir de confusion. Elle enfila sa parka trois-quarts et sur le pas de la porte, lui lança avant de s'éclipser :

— Je te rappelle très vite pour tout te raconter. Merci pour le tea-time et cette charmante soirée, ça m'a fait plaisir de mieux te connaître. Et je te promets de venir t'applaudir à ton concert à la MJC...

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