10 : Sacerdoce

4 minutes de lecture

Bureau de Police,

DDPU 95

26, rue Général Leclerc

Saint-Ouen l'Aumône (95)

Fin janvier 2011

Le premier jour

18:45

Marina Marquance avait chaussé ses verres de repos et relisait l'audition de Shakes. Machinalement, elle mâchouillait un pauvre trombone. Elle laissa choir le témoignage de papier sur la table de travail, ôta ses lunettes et s'abandonna à sa fatigue en basculant sa lourde tête contre le haut du dossier de son fauteuil en skaï brun. Grégory Le Floch passa sa frimousse de poupon joufflu dans l'encadrement de porte.

— Ça va Patron ?

La jeune femme rouvrit les yeux et sourit au brigadier affable.

— Oui, merci Le Floch. Juste un coup de mou passager...

— Je vous apporte un café bien serré pour vous redonner du pep's ?

— Non, c'est très aimable à vous, mais je crois que je ferais mieux de rentrer chez moi. J'en ai assez fait pour aujourd'hui, mon fils m'attend...

— Alors qu’est-ce que vous faites encore ici ? Allez vite le rejoindre !

— Il faut simplement que mes jambes aient la force de me porter jusqu’à ma voiture…

— Profitez de votre soirée. Moi, je suis de garde. S’il se passe quoi que ce soit, je vous téléphone.

— Je sais que je peux compter sur vous, Le Floch. Vous êtes un bon élément. D’ailleurs, vous devriez tenter le concours interne d’OPJ, il est tout à fait dans vos cordes…

— Vous croyez, Patron ?

— J’en suis certaine. Et de grâce, faites-moi plaisir : appelez-moi Marina...

— Entendu Patron. Enfin, je voulais dire : Marina. Bon, faut que je vous laisse, sinon je vais me faire remonter les bretelles par le taulier.

— Bon courage !

Le brigadier prit congé. La commissaire de police en profita pour passer un coup de fil à Alex afin de lui signifier la fin de son service. Elle jeta ensuite sa veste sur son dos et quitta son bureau. Sur le pas de la porte du commissariat, Daniel Revon, son supérieur hiérarchique, l'interpella.

— Marquance ? Vous partez déjà ?

— Monsieur le Divisionnaire, je vous rappelle que j'ai un ado qui m'attend à mon domicile...

— Vous savez, les jeunes, en grandissant, préfèrent ne pas avoir leurs vieux parents sur le dos. Croyez-en mon expérience de père de famille !

— Je n'en doute pas une seule seconde, Monsieur. Néanmoins, notre fichu métier lui a déjà enlevé son paternel. Et je ne suis pas sûre qu'il apprécie davantage mon indisponibilité.

— Être policier est un véritable sacerdoce, Marina ! Il mérite bien de petits sacrifices...

— Je crois que Marco et moi-même avons suffisamment payé de notre personne. C'est aux autres de prendre le relais...

— Marquance, vous êtes taillée dans la même étoffe que les meilleurs limiers du « 36 » ! Ne gâchez pas votre potentiel ; ne vous laissez pas gangrener par votre compagnon d'armes, il vous est nuisible.

— Voyez-vous, Monsieur le Divisionnaire, aussi étrange que cela puisse vous paraître, j'ai le sens de l'amitié, même au péril de ma carrière. Seulement vous, bien sûr, vous ne pouvez pas comprendre...

— Effectivement, je ne comprends pas votre attachement à cette épave !

— Avec tout le respect que je vous dois...

— Je sais, selon vos propres termes, vous m'emmerdez !

— Pas seulement, Monsieur. Je suis crevée, j'ai fait mes trente-cinq heures en deux jours. J'ai donc l'intention de consacrer la fin de cette journée à ma vie de famille, si vous le permettez...

— Je ne vous retiens pas, Marina. A demain.

— A demain, Monsieur le Divisionnaire.

La commissaire brava la fine averse pour rejoindre son coupé à l'élégance latine. Malgré ses presque treize ans d'âge, la rutilante Lancia Kappa gris cendré était dans un parfait état de conservation. Certes, avec ses lignes massives surchargées de chromes saillants, elle affichait un look un brin ostentatoire, en décalage avec l'apparence plutôt simple, presque trop classique de la jeune femme. Pourtant, en dépit de son coût d'usage prohibitif, elle ne se résolvait pas à s'en séparer. Parce qu'elle était le dernier présent que lui avait offert David, son époux, peu avant son accident. En s'installant au volant, elle composa le numéro préenregistré de son ami sur le clavier de son portable.

« Oettinger. Je ne suis pas dispo. Parlez après le bip. »

— Marco, c'est Marina. Je suis désolée de t'importuner pendant tes congés, et d'insister autant puisque ce doit être le dix-huitième message que je te laisse, mais c'est urgent. Je ne peux pas t'en dire plus sur un répondeur... Putain de merde, Marco, décroche ce foutu téléphone ! Tu fais chier d'être aussi cabochard... Bon, rappelle-moi dès que tu peux. Je t'embrasse, vieux frère...

La jeune femme raccrocha le combiné et mit le moteur en route. L'installation stéréophonique Bose diffusait une ballade romantique du groupe Police, Every breath you take. Une vague nostalgique cueillit une Marina à fleur de peau. Elle se perdit dans les souvenirs que ravivait cet air sur lequel David et elle avaient échangé leur premier baiser. Le tout premier.

Since you've gone, I've been lost without a trace,

I dream at night I can only see your face;

I look around but it's you I can't replace,

I feel so cold and I long for your embrace;

I keep crying baby, baby please !*

Et une larme finit par brouiller ses traits...

* : Traduction française des paroles de Every breath you take :

Depuis que tu es parti, je suis perdu(e) sans l'ombre d'une trace,

Je rêve la nuit, je ne peux voir que ton visage;

Je regarde autour de moi mais c’est toi que je ne peux remplacer,

J'ai si froid et je désire ton étreinte;

Je n’arrête pas de pleurer bébé, bébé s’il te plaît !

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