Renégat (3)

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Yvias se redressa et laissa la jeune serveuse repartir.

— Mais avant tout, j’ai des infos pour toi.

L’homme sembla replonger dans de lointains souvenirs.

— Je suppose que tu as déjà entendu parler du projet de ton père.

— Oui, le projet Trimondes.

— Bien. J’en ai été l’un des membres-fondateurs avant que tout cela dégénère. Ton père ne paraissait plus lui-même, il était complètement obsédé par le projet, il ne dormait plus, ne mangeait plus. Ehmra était d’ailleurs venu me voir à plusieurs reprises pour me demander de le raisonner. Mais à chaque fois que je tentais d’aborder le sujet, ton père semblait un peu plus fou. Puis un jour, il nous a convoqués et nous a demandé de signer une clause de confidentialité. Nous l’avons naturellement signé. Mais lorsqu’il nous a parlé d’envoyer des nourrissons dans d’autres mondes, car une source anonyme lui avait assuré qu’ils seraient bien traités, je me suis laissé emporter. Ce projet prometteur devenait aberrant. Je me suis si violemment opposé à ton père qu’il m’a renvoyé.

— Vous faites ça par vengeance ?

— Non, laisse-moi finir. Plusieurs jours après mon renvoi, je me sentais coupable, certaines paroles avaient dépassé ma pensée. Un soir, je suis retourné au labo pour m’excuser. Ton père avait beau m’avoir viré, il n’avait pas pris la peine de supprimer mes accréditations et je suis rentré sans difficulté dans le bâtiment. Lorsque je suis arrivé, tout le monde était parti sauf lui qui restait toujours tard jusque dans la nuit. Quand je me suis approché d’une porte d’où je percevais de la lumière, j’ai pu voir par l’entrebâillement Almarran monter un incubateur à cellule-souche. Je me suis figé sur le pas de la porte et j’ai repensé aux paroles que je lui avais dites, celles que je regrettais….

Yvias fixa avec une telle insistance Nick que le jeune homme détourna les yeux.

— « Tu te proclames prophète à la conquête d’une terre vierge, mais tu n’y enverrais même pas ton fils… ». J’ai fait demi-tour et je suis revenu le lendemain, mais mes accès étaient refusés. Ton père est venu me voir pour me dire que c’était fait, que notre héritage, était partie vers des mondes meilleurs et que dans dix-huit ans si tout se passait bien nous en récolterons les fruits. Le temps est à présent écoulé et je n’ai plus entendu parler du projet. Si tu acceptes le marché que je te propose, peut-être que ces enfants reviendront dans un monde unifié à défaut d’être agréable à vivre.

L'homme sorti un petit coffret noir d’une des poches de sa blouse élimée.

Nick étudia l'objet avant d'interroger Yvias.  

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ton père comprendra, c’est entre lui et moi.

Vyrian se tourna vers Mère

Est-ce vrai ?

Je ne sais pas. Lorsque les trois scientifiques m’ont piraté mon attention était concentrée sur le projet. J’ignore donc si Yvias dit la vérité.

Nick reprit.

— Vous dîtes avoir vu mon père monter un incubateur à cellules-souche, mais vous n’avez pas de preuves que je sois un clone.

Yvias sourit à l’accusation du jeune homme.

— Je suppose que tu en as discuté avec ton père.

Nick perdit toute la hargne qui l’avait habité et répondit la tête basse.

— Oui… il n’a pas nié… Mais si je ne suis qu’un clone, où se trouve mon … frère ?

— Sur le Monde Mythique ou Numérique.

— Mondes … mythique et numérique. J’ai déjà entendu ces noms.

Le regard du jeune homme se fit vague comme s’il essayait de se rappeler dans quel contexte il avait pu en entendre parler. Yvias regarda le bracelet au poignet de Nick.

— Tu veux toujours une preuve que tu n’es pas celui que tu prétends être ?

— Comment comptez-vous le prouvez ?

— Donne-moi ton poignet. Je vais vérifier le fonctionnement de ton Tempus.

Ce que Vyrian avait pris dans un premier temps pour une montre à gousset se révéla être un bijou de technologie. Il découvrit que la montre indiquait bel et bien l’heure, mais était en plus couplée avec la date de naissance de son porteur. Il était donc possible de connaître son âge à la seconde près. Vyrian perçut des signes de protestations chez Nick, mais se ravisa. Le biologiste comprit que lui aussi voulait savoir. Mère lui fournit de plus amples détails.

— Cet appareil se base sur la fréquence cardiaque de la personne ainsi que sur l’état de différents organes : glandes surrénales, cerveau, organes génitaux. Ces paramètres permettent d’estimer l’âge d’une personne avec une exactitude surprenante. Lors de l’analyse, les aiguilles tournent sur trois cadrans distincts. Le premier indique les années, le second les mois et le troisième les jours. Suivant la précision du modèle, les heures, minutes et secondes peuvent être calculées.

Nick regarda les aiguilles tourner, elles venaient de dépasser le cap des dix-sept ans. Puis, une à une, elles s’arrêtèrent. L’estimation était faite. Il avait dix-sept ans, onze mois et quinze jours.

— Bien, maintenant, quel âge penses-tu avoir ?

— Dix-huit ans, deux jours, seize minutes et trente secondes.

— J’ignore comment ton père s’y est pris, mais il tenait à te protéger.

Un grondement fit se relever Nick.

— Il faut que j’y aille.

— Ce n’est rien. Ce n’est que les accès de la grande place qui se rouvrent.

— Et vos hommes ?

— Ils n’ont rien fait de mal. Je les ai envoyés s’expliquer pour dire qu’il s’agissait d’un accident, nous démolissons un bâtiment non loin, nous avons dit qu’un pan du mur s’était effondré contre notre gré et avait projeté des débris.

— Ils y ont cru ?

— Quel choix avaient-ils ? Il y a bien un bâtiment en démolition signalé à l’administration, l’installation de la séparation entre les bas quartiers est récente et les capteurs probablement mal réglés. Mais surtout, personne ne voulait avoir à se battre ce soir. Mais si tu veux rentrer l’accès est libre maintenant.

Nick hocha la tête, se retira, prit la boite et laissa derrière lui son café froid auquel il n’avait pas touché. Le scientifique porta le sien à sa bouche et suivit le jeune homme du regard. Une fois parti, la serveuse refit son apparition.

— Vous pensez vraiment que ces mondes existent ?

— Patience, nous allons bientôt le savoir.

— Je comprends pas bien comment vous voulez y parvenir. Quel est le rôle du garçon ?

— Notre jeune ami vient d’accepter un job de cartographe. La boite que je lui ai donnée contient un traceur, s’il quitte ce monde, je le saurais et vu l’importance que j’ai attribué à l’objet, il ne va pas s’en séparer. Mes méthodes te déplaisent-elles ?

— Non, s’il y a une chance de survivre, je la prends peu importe les risques.

— Bien.

Yvias appela l’un de ses hommes.

— Conformément à vos instructions, la balise est activée, son activité est indétectable.

— Bien, s’il trouve quelque chose, je le saurai. Suis-les, tu sais quoi faire. Et oublie pas la blessure doit être suffisamment grave mais pas mortelle.

Feyna attendait Nick légèrement plus loin. Elle ne le questionna pas. Vyrian la suspectait d’avoir entendu la conversation. Le trajet fut plus rapide qu’à l’aller. Une fois revenu sur la place centrale, Nick fit seul le reste du trajet jusqu’à son foyer. Feyna le regarda disparaître au loin. Alors qu’elle s’apprêtait à regagner l’obscurité des bas quartiers, une main se plaqua sur sa bouche, une seringue pénétra dans sa peau, ses yeux se fermèrent et son corps s’affaissa.

Au même moment, une atroce douleur irradia dans la tête de Vyrian et sa vision se brouilla. Le Monde Historique disparut et il se retrouva de nouveau parmi les siens. Seuls peine, chagrin et douleur l’accueillirent.

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