Cérémonie (2)

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Enthousiaste, le public acclama le début des épreuves. Le présentateur fut rejoint par quatre groupes de quatre personnes, portant chacun les couleurs de sa capitale. Cirys leur laissa sa place. Les nouveaux venus s'inclinèrent face au public avant de se diriger vers les extrémités du terrain. Un membre de chaque contrée par équipe. L'animateur sonna le gong depuis l'extérieur de l'arène et hurla à la foule.

— Première épreuve : démonstration kata individuel ! Honneur aux enseignants de la Confrérie !

Les deux hommes et les deux femmes vêtus de longues tuniques vert sombre entamèrent chacun de leur côté une série de mouvements codifiés. Les enchaînements étaient fluides et semblaient avoir été créés pour repousser les attaques d'un ennemi. Arrivés au centre du terrain, les quatre érudits longèrent un des bords de l’arène pour regagner leurs positions de départ.

Le maître de cérémonie attendit qu'ils aient fini de se repositionner, pour inviter le groupe suivant d'un coup de gong. Cette fois, les hommes et les femmes habillés de rouge enchaînèrent les postures ancestrales. À la différence des sages, leurs mouvements étaient vifs et puissants, destinés à l'attaque plus qu'à la défense. Dès qu'ils se rejoignirent, ils retournèrent à leur place et un nouveau groupe prit place.

Vyrian comprit que les démonstrations se poursuivaient selon l'ordre des drapeaux. Celui de la Confrérie se trouvait tout à gauche, venaient ensuite Hemyra, Hydrios et enfin Altéryx. Alors qu'il reportait son attention sur le terrain, les robes bleues des Hydriossiens s'élancèrent dans les airs. Leurs gestes étaient aussi doux que ceux des Sages, mais bien plus aériens. Comme précédemment, les quatre membres partirent sur les côtés et laissèrent place au dernier groupe.

Quatre silhouettes dorées enchaînèrent vrilles et saltos, ne s'arrêtant entre chaque figure que pour parer et porter des attaques. Vyrian peinait à les suivre. Les enchaînements étaient bien plus dynamiques que les précédentes démonstrations et le public leur porta un intérêt d'autant plus grand que leur maîtrise était impressionnante.

Vyrian observa le gabarit des professeurs et interrogea Mère sur les spécificités de leurs arts.

— D'où viennent les différents styles de combats ?

— De l'étude de leur milieu. Les enchaînements des Altériens sont plus complexes, car en tant que dompteurs, ils sont habitués à affronter tout type de créatures.

Le scientifique observa une dernière fois les démonstrateurs et se tourna vers Cirys qui s'éclaircissait la voix.

— Comme vous le savez, la Cérémonie se déroule en quatre grandes parties. La première, comme vous avez pu l'observer, concerne le combat à mains nues. L'utilisation des armes et de la magie y est proscrite. Il vous sera demandé d'effectuer deux katas. Le premier se fera individuellement et sera choisi parmi les techniques des quatre contrées. Le second se fera à plusieurs, entre deux à quatre candidats tirés au sort. Les candidats pourront faire partie de la même contrée ou non. Une fois tous les participants ayant passé cette première épreuve, nous nous rassemblerons de nouveau ici pour les démonstrations des examens suivants. Dans l'ordre, il y aura la maîtrise des armes, tous types confondus : lancer, distance, corps à corps, armes convertibles,... Puis, ce sera au tour de l'épreuve de la perception et de la modélisation magique et enfin l'épreuve finale, celle, durant laquelle vous affronterez vos mentors.

Maintenant que vous connaissez le programme des réjouissances, je vais vous demander de vous lever rangée par rangée. Un enseignant vous indiquera le terrain qui vous sera assigné et vous devrez vous y rendre. La suite des consignes sera donnée en petit comité. Sur ce, que les premiers rangs se lèvent et viennent nous rejoindre !

Les deux sœurs observèrent les candidats s'éloigner des gradins. Alors que les premiers groupes quittaient le terrain central, des nuages masquèrent le soleil et le vent se leva. Une tempête se préparait. Après un frisson, Yomi se mit debout et observa le ciel. Ylmeria lui tira le bras, lui intimant de se rasseoir.

— Qu'est-ce que tu fais ? Ce n'est pas notre tour !

— Cette tempête, elle n'est pas normale.

— Qu'est-ce que tu... Yomi !

Ylméria s'était interrompue en voyant sa sœur blêmir, ses yeux se révulser avant de s’évanouir. Elle eut tout juste le temps de la rattraper avant qu'elle ne touche le sol. Inquiète, elle l'appela à plusieurs reprises.

Le chercheur regarda les deux Mysticiennes, interdit. Que se passait-il ? Bientôt, d'autres personnes pointèrent du doigt le ciel et Vyrian vit des masses informes sortirent des nuages. Il émanait d'elles une aura malfaisante. Le scientifique en frissonna.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Des Sanctionneurs.

Les spectres fondirent sur la foule et l'un d'eux se dirigea vers Yomi. Ylméria le perçut juste à temps et poussa sa sœur sans ménagement pour l'écarter de la trajectoire. Le choc fit reprendre connaissance à l'Exilée. Désorientée, elle se redressa fébrilement, meurtrie par sa chute. Les jambes mal assurées, elle regarda autour d'elle. L'ordre qui régnait plus tôt avait laissé place au chaos. Parmi cette foule terrorisée, elle parvint à repérer Ylméria tombée en bas du gradin après l'avoir poussée. Elle dévala les marches pour la rejoindre.

Ylméria était mal en point. Du sang coulait le long de sa tempe. Malheureusement, dans sa précipitation, Yomi avait attiré l’attention de Sanctionneurs qui s'en prenaient à d'autres candidats. Le souffle court, elle passa l’un des bras d’Ylméria par-dessus sa tête et la tira en-dehors des gradins.

Les gens se bousculaient dans l’espoir d'échapper à ces ennemis intangibles. Les quelques actes de résistance furent vains. Mêmes les enseignants ne purent rétablir la situation. Les attaques passaient au travers des spectres et blessaient les fuyards. Les humains firent couler le sang et les Sanctionneurs disparaître les corps. Ils ne semblaient pas avoir de cible particulière. Ils fonçaient çà et là, fauchant les personnes sur leur passage. Par simple contact, les corps disparaissaient et les auras magiques s’évanouissaient.

La cohue qui faisait rage autour des deux sœurs se dissipait à vue d'œil. Les hurlements laissèrent ainsi place à un silence de mort. La progression de Yomi en fut facilitée. Malgré tout, sa démarche était incertaine. L'une de ses jambes se dérobait sous son propre poids. Quant à Ylméria, sa tête pendait négligemment. Yomi n'avait d'autre choix que de la traîner pour la faire avancer. Un masque de peur et de désespoir revêtit ses traits.

Impuissant, Vyrian tentait de donner un sens à la scène qui se déroulait sous ses yeux. Sans qu’il ne s’en aperçoive, les expressions de terreur observées trouvèrent en lui un écho. Un autre paysage s’était logé sur sa rétine.

Les pupilles dilatées et le souffle court, il revit les habitants fuir sur l’asphalte endommagée par les récents séismes. Les buildings s’effondraient de toute part. En quelques instants, les fiers édifices qui trônaient sous les cieux s’étaient retrouvés à terre, soulevant dans leur chute un impressionnant nuage de poussière. Toute trace de leur gloire passée s’était envolée. Cadavres et gravats jonchaient le bitume dans un assortiment macabre. Bien que connaissant par cœur ces images, Vyrian ne pouvait empêcher une douleur d’étreindre son cœur. Il aurait pensé que revivre au quotidien les mêmes scènes, ancrées à jamais dans l'esprit des survivants de son monde, le laisserait insensible. Tel un film visionné trop de fois. Mais il ne parvenait à être indifférent au sort des siens.

Le cœur lourd, il revint au Monde Mythique et regarda Yomi découvrir la détresse qui l'avait un jour habité. À bout de souffle, épuisée par l’effort, la jeune femme continuait sa laborieuse progression. Elle perdit l’équilibre. Sa sœur lui échappa et s’effondra.

Pour le chercheur, plus rien n’avait d’importance. Le monde se réduisait désormais à la jeune femme blonde et au spectre qui fondait sur elle. Yomi bondit sur sa sœur, ultime rempart face à la masse informe. La marque irradia de nouveau sur sa main. Tous purent la voir distinctement, y compris le spectre. La créature maléfique eut un mouvement de recul et propulsa Yomi au loin. Elle percuta de plein fouet un tronc d’arbre. Son corps émit un craquement sinistre et s’effondra telle une poupée de chiffon. Sans protection, Ylméria disparut, emportée par le spectre.

Yomi resta là, inconsciente. Vyrian, le regard rivé sur l’endroit où se trouvait Ylméria quelques instants plus tôt, ressentit une pointe au cœur. Il avait beau ne pas connaître la jeune femme, sa disparition lui procurait la douloureuse sensation de revivre la perte de sa bien-aimée.

Lorsque l'Éxilée reprit connaissance, la nuit tombait. Vyrian ignorait combien de temps s'était écoulé. Il ne pouvait détacher ses yeux de la scène. Le choc des derniers événements le laissait pantois. Il vit Yomi se redresser péniblement. Ses habits maculés de sang et de terre. Du sang coagulé poissait ses cheveux et son visage. Elle devait s’être déboité l’épaule, son bras droit désarticulé pendait mollement.

Chancelante, elle se dirigea vers le centre de la clairière qui n’avait à présent plus rien d’un lieu de festivité. Les étendards gisaient dans la boue. Les gradins, seuls éléments intacts, donnaient à l'endroit un aspect lugubre. Le clair de lune reflétait çà et là des taches cuivrées. Voyant qu’il n’y avait pas la moindre âme qui vive en cette terre de désolation, Yomi rebroussa chemin. Elle cria le nom de sa sœur. À force d’appels répétés, sa voix s’érailla.

Elle clopinait et s'arrêtait parfois pour fouiller les caches qu'elle trouvait sur son chemin, sans doute dans l'espoir d'y trouver sa sœur, mais en vain. Ni elle, ni personne d'autre. Yomi trébucha à plusieurs reprises et s’écorcha les mains, le visage et les genoux. Pourtant, inlassablement, elle se relevait et poursuivait ses recherches.

Vyrian percevait le désespoir de la jeune femme. Il ne le comprenait que trop bien. Bientôt des sanglots soulevèrent la poitrine de l’Exilée et des larmes perlèrent de ses yeux noisettes. Elle les chassa d’un revers de manche. Épuisée, elle laissa ses pas la ramener à l’entrée du village.

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