Personal Data Log 20.04-11/13

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Je ne sais pas quoi penser. Je me sens coupable, et en même temps, je ne me voyais pas l’empêcher de fuir. Je ne peux pas croire que Ngumi soit mort. Je suis sûre qu’il a trouvé un moyen de s’en sortir, de se soustraire à tous – humains comme baharis. Je le souhaite profondément, car sinon je porterai une part de la responsabilité de sa disparition.

Ils étaient tous sur la passerelle lorsque c’est arrivé. Un message télépathique de Ngumi laissait clairement entendre qu’il avait prévu des choses. Un message radio – officiel et pouvant être entendu par les deux humains à bord, Olga et Clair – qui précisait les conditions actuelles et ses ordres de Capitaine. Et puis un magistrat humain s’est présenté devant le vaisseau pour l’arrêter.

Je pense sincèrement que Mimba a voulu trouver un moyen de garder Ngumi à bord. De le soustraire à la « justice » humaine. Et que cela soit crédible vu de l’extérieur. Elle l’a donc violemment frappé psychiquement, afin qu’il ne soit pas en mesure d’être arrêté. En ordonnant qu’il soit conduit à l’infirmerie pour être soigné. J’ai même trouvé que c’était une bonne idée, sur le moment.

Mais lui a très mal réagi, même si je comprends parfaitement sa réaction – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne l’ai pas arrêté dans sa fuite alors que j’en avais les moyens, là où j’étais. Il a hurlé contre le Matriarcat. A-t-il cru qu’elle voulait le livrer aux humains ? Une alerte de confinement m’a empêché de penser plus loin, j’ai tout de suite activé mes équipes pour parer au plus urgent.

Il faudra à un moment qu’on tire cette histoire au clair… Pas pour le moment : ce n’est pas possible, car Mimba est à l’infirmerie après avoir reçu un méchant tir de blaster de la part du Capitaine, en réaction à son attaque psychique, poussé par la crise de panique.

Clair l’a suivi dans sa fuite à travers le vaisseau, un temps, caméra au point. Mais pas jusqu’au bout, Ngumi ne l’a pas laissé faire. Cela me permet de douter, de ne pas m’attrister de la mort éventuelle du Capitaine. Je le refuse. Il m’aura ouvert les yeux sur beaucoup de choses au cours de ce voyage et je lui en suis reconnaissante. Il m’a fait oublier nos préjugés traditionnels vis-à-vis des mâles. Il reste pour moi le Capitaine de ce vaisseau même si les commandes m’ont été transférées et que je suis maintenant le Premier Officier de notre navire de guerre.

C’est à ce titre que je me suis retrouvée embarquée dans cette putain de délégation. La Matriarche m’a demandé de la composer, pour au final décider pour la plus grosse moitié des choses. Sans surprise, en fait. Et au lieu de me laisser sur le Kinga Ya Sasa, je me suis retrouvée avec les neuf autres personnes – dont nos deux humains – dans cette délégation officielle, escortée par deux scorpionautes, en direction d’un hôtel luxueux comme les humains savent en faire…

Je note que Clair a réussi à obtenir la popularité dont il rêvait grâce à ses articles sur nous. La foule qui l’acclamait dans l’astroport de Prima en était la preuve. Cela peut servir les intérêts de la Matriarche et la reconnaissance de notre planète, alors je ne vais pas m’en plaindre. Pauvre môme qui s’est pris un coup en essayant d’approcher son idole, tout de même… Ces humains sont décidément peu compréhensibles pour moi.

Nos conditions d’hébergement me semblent démesurées face au doute qui persiste encore sur notre qualité d’espèce intelligente. Les humains font sans doute une opération de comm avec ça. Je me doute qu’il y a de nombreuses tractations et tensions politiques au Sénat, dont nous ne sommes que fort peu conscients. Les gens s’amusent avec leur petit jeu politique en misant des peuples comme ils le feraient avec des coquillages ou des étoiles de mer. Bref…

J’ai intimé l’ordre de respecter les décisions de Ngumi. Les baharis n’ont pas le droit de descendre du vaisseau – hormis la délégation. Et la pauvre Sauti se bat contre des tentatives d’intrusions numériques… Mais j’ai bon espoir que notre vaisseau spatial reste l’abri. En revanche, nous n’allons pas pouvoir retourner tout de suite protéger notre planète ; heureusement que Nova s’en est chargé suite au reportage de Clair.

De toute façon, l’essentiel va se jouer le lendemain à 18h, date de la présentation au Sénat. Et d’ici là, il faut que la Matriarche survive à tout ce qui pourrait tenter de l’empêcher de s’y rendre. Jawen, l’humaine chargée de notre accueil diplomatique, me paraît très en décalage avec le faste somptueux dans lequel nous sommes reçus : une débutante qui paraît aussi peu attentive qu’une amobea de chez nous. Mais Bada, notre responsable diplomatique, m’a dit qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. En attendant, cela me semble curieux de nous opposer deux facettes aussi différentes (contradictoires, même) dans la manière de nous traiter.

Ma confiance dans les humains ne demande qu’à être créée. Il y a Olga, bien sûr. Pour Clair, je commence doucement à m’y fier. Il suffit de voir l’émission télé à laquelle j’ai participé via holoTriD. Je pensais au départ que c’était un piège. Au lieu d’une émission lié à l’ingénierie ou à la mécanique, donc sans conséquence, je me suis retrouvée avec un consul de nos ex-cousins, un responsable diplomate humain, et même un ministre en invité surprise. Le truc tellement casse-gueule que je me demande pourquoi j’ai accepté.

Au final, j’ai bien fait. J’ai tenté – contrairement à mon habitude, je le reconnais – de rester silencieuse et calme. J’y suis plutôt bien arrivée. (Il faudra que je m’en souvienne, ça marche bien pour avoir un meilleur impact sur les gens.) Je n’ai pris la parole que trois fois, et j’ai pesé chacun de mes mots. J’ai d’ailleurs été saluée pour la justesse de mes propos. J’ai réussi, je pense, à faire avancer la cause bahari – et surtout à mettre à mal l’accusation de dégénérescence et de mauvaise moralité en faisant perdre pied au représentant du triumvirat. Ce dernier a d’ailleurs eu une réaction curieuse, à un moment. Comme s’il voyait en moi quelque chose d’autre. Nos ex-cousins sont décidément mystérieux, avec leur haine farouche pour quelque chose qui remonte à tant de générations… Il y a clairement autre chose.

Clair a été impeccable, je ne le reconnais. On voit qu’il a l’habitude des coups tordus et qu’il sait très bien renvoyer les gens à leurs failles de discours. Après l’émission, nous avons eu quelques minutes en privé avec le ministre. Je ne sais pas exactement ce qui s’est joué, je ne suis pas politicienne et peu au fait des coutumes humaines. Je n’ai d’ailleurs pas parlé, mais les deux humains ont l’air de s’être très bien compris. Clair est un bon gestionnaire de communication, même si je sais qu’il le fait aussi pour lui. Tant que nos intérêts convergent…

Nous n’avons plus qu’à patienter. Je reste étonnée par le contact très tenu que j’ai eu en sortant de la projection holoTriD. Je ne sais pas si c’est Alpha ou autre chose. Cela n’était ni bienveillant ni malveillant. Juste une entité curieuse.

Mon talent particulier semble être vraiment au cœur de beaucoup de nœuds de tout ce qui nous arrive. Peut-être même que je suis moi-même une descendante génétique de nos cousins, plus qu’une « pure » bahari. Cela expliquerait le regard bizarre qui m’a été lancé pendant l’émission. J’ai aussi vu des images de leur planète – notre ex-planète ! Qui a donc survécu à la supernova de notre ancien soleil. Mais alors, à quel prix : elle est intégralement recouverte de métal et de machines. On pourrait la croire méchalus, à ce compte-là... C’est vraiment triste. Et pourtant, j’apprécie les machines.

Peut-être que j’avais raison lorsque je plaisantais à ce sujet : que je suis autant recherchée que la Matriarche elle-même. Une espèce de vestige d’avant le schisme d’il y a trois mille ans… Manquait plus que ça ! Et pourquoi pas des dons de prescience, tant qu’on y est !

Je vais aller piquer une tête dans la piscine mise à ma disposition dans ma suite. Cela me rafraichira l’esprit.

Fin de l’enregistrement.

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