La géante

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J’ai faim… J’ai froid… J’ai mal…

Mon corps me gratte de partout. J’ai l’impression qu’un millier de petits êtres fourmillent dans mon pelage, me griffent et me mordent sans répit. Ils sont affamés, me sucent le sang jusqu’à la dernière goutte. J’ai à peine la force de m’endormir.

J’ouvre difficilement les yeux sur le monde, personne ne s’occupe de moi. Si j’ai de la chance, j’arrive à me faire une petite place pour téter, mais je reste souvent dans mon coin, à observer mes frères et soeurs jouer et se chamailler. Ils me ressemblent… immaculés, comme moi, les tâches noires en moins. Au début, nous étions à égalité, et puis, peu à peu, j’ai été écartée, mise sur le côté par ma mère adoptive.

J’essaye de me gratter, y renonce bien vite. Je me love en boule dans la grande assiette, au milieu des restes de croquettes. J’aurais préféré un peu de lait, mais il n’y a plus rien pour moi. Je me force à lécher les miettes, à en faire une bouillie que je pourrais avaler. Epuisée par le simple effort de me nourrir, je me roule en boule, dans la crasse.

Je ne suis ni triste, ni malheureuse. Pour cela, il aurait fallu que je connaisse autre chose. Je ne prétends qu’à vivre, rien de plus.

Parfois, j’utilise mes maigres forces pour pousser un fin miaulement. J’appelle à l’aide, j’appelle une mère que je n’ai jamais vue. Plus personne pour me lécher, auprès de qui me blottir pour un peu de chaleur. La nuit, je me faufile entre deux morceaux de toiles, tremblante, espérant que vienne le jour au plus vite.

Doucement, je commence à sombrer. Je bouge à peine, mange quand j’y pense. Les petites créatures noires se régalent sur mon dos. Je les sens jusque dans mon estomac, à voler le peu de nourriture glanée.

Tant pis, j’aurais essayé.

Laissez moi dormir…

..

Mais,

Aujourd’hui est un jour différent. Le soleil s’est à peine levé que le sol se met à trembler. J’essaye désespérément de cligner des paupières, impossible. Elles sont scellées par la saleté. Les vibrations augmentent, j’entends mes frères et soeurs miauler de peur, fuir dans la direction opposée. Mes pattes tentent de me soulever, impossible, je pèse une tonne. Je ne peux qu’un peu plus me rouler en boule, la tête contre la queue.

Je les sens se diriger vers moi. Qui ? Je ne sais, peut-être ce géant qui vient parfois apporter de la nourriture.

Soudain, le calme. Non, du bruit, leurs étranges cris. Je sens quelque chose m’attraper par le cou. Je suis soudainement soulevée dans les airs !

On me tire les poils, on m’écarte les pattes, on me caresse, je réagis à peine, juste de quoi leur faire comprendre que je n’aime pas ce traitement. Je suis passée de main en main, je miaule, ça les fait rire. Soudain, je me retrouve plaquée contre un corps chaud. Une main me tient fermement en place alors que des doigts humides viennent me gratter les yeux. Je me débats, ça fait mal ! L’un des géants grogne, je n’ose plus bouger. Il continue, m’oblige à ouvrir les yeux. La lumière m’agresse, je l’avais oublié. A bout de force, je le laisse faire ce qu’il veut de moi. Je referme les paupières après avoir vu deux énormes yeux me fixer.

Les deux géants discutent longuement. L’un me garde toujours, je finis par trouver le contact… rassurant. Des ondes de chaleur émanent d’en haut, j’essaye de grimper, il me laisse faire. Je vais me blottir contre son cou, c’est chaud et doux ici.

Je m’endors immédiatement.

Et me voilà réveillée ! On m’écarte, je suis presque triste, pourquoi ? On me place dans une grande boîte. J’ai peur et… pourtant… je me sens… à l'abri.

Dans ce lieu froid et inconnu, je m’allonge dans un coin et n’en bouge plus. Du mouvement, on me déplace. Puis, tout se calme. On s’éloigne, il n’y a plus qu’un géant avec moi. J'entrouvre les yeux, vois ces mêmes cheveux noirs, cette peau claire et sans poils. Il me jette par moment un regard où perce des larmes. Étrange.

Je finis par m’assoupir. Je ne saurais dire comment, un sentiment de quiétude m’envahir, comme si tout allait… s’arranger.

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J’ai récupéré un petit chaton il y a presque deux semaines dans la ferme d’un ami. La vision de la pauvre bête, famélique, épuisée, affalée dans l’assiette avec des restes de nourriture pourrie…. j’ai cru que j’allais vomir. Sa mère l’a abandonné à la naissance, aucune autre ne voulait de lui.

Je l’ai prit dans mes bras, j’ai tout fait pour essayer de la sauver. Le vétérinaire, tous me disaient de ne pas m’attacher, qu’elle allait mourir.

Tous se sont trompés. Elle a survécu, c’est une battante ! Je l’ai récupéré non sevrée (moins de deux mois de vie), 250g sur la balance, avec au bas-mot 100 puces, 3 tiques et l’estomac bourré de vers.

Cette vision me hantera pour longtemps. On s’amuse à évaluer la cruauté de l’être humain, les animaux n'ont rien à nous envier sur ce point.

Je suis heureuse de dire que j’ai sauvé cette petite vie. Ravioli va mieux, elle va vivre. Même si elle ne vous connaît pas, elle vous fait une petite léchouille d’amour !

Bien à vous.

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