3. La créature

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Cela fait une bonne dizaine de minutes maintenant qu'If regarde face à lui sans comprendre. Ses yeux analysent la situation. Son cerveau a compris, mais pas lui. Quelle est cette chose face à lui ? Visiblement, elle possède la capacité de bouger. Est-ce vivant pour autant ? If peut bouger, il est vivant, mais il l’était déjà avant d’atterrir dans ce corps. À l’inverse, la feuille qu’il a vu virevolter dans les airs se déplaçait, mais elle n’était pas vivante. Il le sait. D’ailleurs, elle n’agissait pas d’elle-même.

Alors, If n’a aucune idée de l’identité de cet être.

Oh, pardonnez-moi. J’ai fait une ellipse temporelle, cela vous a-t-il perturbé ? En effet, If est sorti de la forêt depuis un moment. Son voyage n’était pas très intéressant à raconter, et je dois avouer m’être assoupi un instant. Un arbre au milieu des arbres. Bon, reprenons.

If réfléchit. Il réfléchit si intensément qu’il en oublie la présence de l’inconnu. Il sait que, quelque part, il l’a déjà vu. Non, pas lui… Maxime l’a déjà vu. Oui, c’est ça, Maxime le connait bien. Malheureusement, il ne peut lui demander. Il doit trouver par lui-même.

Comme la réponse ne peut lui parvenir, il se contente de s’accroupir, pour mener une observation de plus près. Seulement, aucun nouvel indice ne se fait remarquer.

Quoique. Attendez. If penche la tête sur le côté. Sa réflexion s’élève à son maximum. Il tente de lister les points communs visuels entre son nouveau physique et cette… chose. Voyons voir. Il parvient à remarquer deux pieds, il en est sûr car il les a patiemment analysés, même s’il ne comprend pas encore tout à fait leur fonctionnement. If distingue ensuite une touffe de poils localisées à un unique endroit. Il pense que ce petit être est sûrement infecté par un champignon et ressent un vague sentiment de compassion.

Finalement, un élément sort du lot. If est pratiquement sûr que ces bouts de chair luisants qui sont logés dans une cavité visqueuse de cet étranger sont des doigts. Ils ressemblent à ceux qu'If est capable d’articuler pour attraper divers objets, mais en beaucoup plus petits. Pour le confirmer, If gesticule sa main devant ses yeux. Il valide sa théorie.

Aurait-il donc, finalement, en face de lui, un être humain ?

Mais un petit être humain. Très petit. Après tout, les arbres aussi sont de tailles différentes. Mais, de manière générale, les petits et les grands ne se ressemblent pas beaucoup. Or, dans sa situation, If est persuadé que ce petit être humain lui ressemble beaucoup. Du moins, de ce qu’il peut en voir.

Il décide donc de tenter une communication.

- Bonjour.

Sans connaître la définition exacte de ce mot, If l’a prononcé. Il entendu auparavant, lorsque les souvenirs de Maxime ont surgi. En fait, Maxime a déjà vécu une situation comme celle-ci. Il peut voir la scène dans son crâne comme s’il y était.

Il regarde de loin. Il reconnaît tout de suite Maxime. Celui-là est accroupi face à un être humain si petit qu’il semble fragile. Il lui a dit « Bonjour », tout comme If l’a fait. Puis, il a prononcé d’autres paroles, mais celles-ci sont à peine audibles pour If, qui semble s’éloigner de plus en plus. Pourtant, il les a comprises.

Lorsqu’il ouvre les yeux, il se retrouve à la place de Maxime. Non, c’est faux. Il est de retour là où il était, lui, If. Il ne se laisse pas le temps de délibérer, et laisse ses lèvres agir d’elles-mêmes.

- Qu’est-ce qu’il se passe petit bonhomme, tu es perdu ?

Aucune réaction. If parvient à détecter une once de peur dans le regard de son interlocuteur. Non, pas de la peur, de la méfiance. C’est ça, il se méfie des inconnus. Si c’est le cas, If ne doit plus paraître comme tel.

- Moi, je m’appelle Maxime. Et toi, comment tu t’appelles ?

- Mathieu, répond l’enfant après quelques secondes d’hésitation.

- Alors, Mathieu, où sont tes parents ? Tu es tout seul ?

- Non.

If remarque que ce petit Mathieu répond uniquement à l’aide d’un unique mot. Il commence à se sentir impatient. Maintenant qu’il sait ce qu’il est, If veut s’en aller découvrir de nouvelles choses, mais la conscience de Maxime l’en empêche. Celui-là aime beaucoup les enfants, et refuse d’en abandonner un. If prend son mal en patience et continue d’essayer.

- Alors, où est ta maman ?

Sans dire un seul mot, l’enfant se retourne et pointe du doigt une baraque bancale, faite de pierres et de planches empilées douteusement. Puis il se replace le buste face à If, le tout sans lâcher le doigt qui se trouve toujours à l’intérieur de sa bouche.

- Et qu’est-ce que tu fais ici ?

If rassemble tous ses efforts pour ne pas se montrer désagréable. Il sait que l'impolitesse peut vexer les êtres humains. Il l’a entendu dans un souvenir. Il a vu Théo, quand il avait 4 ans, se moquer d’une fillette avec des cheveux blancs. If se souvient avoir ressenti la honte du garçon lorsqu’il s’était fait gronder, au beau milieu d’un lieu dont le nom est encore inconnu à If. Il se rappelle seulement qu’il y avait beaucoup d’autres humains aux alentours, à la fois gênés et intéressés par le spectacle.

- Maman m’a dit d’aller jouer.

If, pour la première fois, sens ses veines bouillonner. Il est en colère. Je le comprends. Moi aussi, à sa place… Oups, c’est vrai, je suis ici pour vous parler d'If. Celui-ci, d’ailleurs, se sent un peu perdu. Il sait qu’il ne doit pas s’énerver, car la colère ne conduit qu’à des résultats indésirables. C’est Maxime qui lui chuchote dans son subconscient. C’est vrai, Maxime regrette beaucoup de comportements dictés par la colère, alors il fait désormais son maximum pour garder son sang-froid. Pourtant, il serait si facile de se laisser emporter par cette vague qui remonte et s’amplifie lentement.

If voudrait crier de tous ses poumons qu’il est en vie, qu’il veut voir, entendre, sentir le monde. Mais, quelque part, il entend Maxime implorer pour son aide. Il est tiraillé dans son tout premier dilemme, et il n’aime pas ça.

- Dis, Mathieu, tu veux jouer avec moi ?

Le gamin ne décroche pas un mot, mais secoue fortement sa tête. If sursaute, il a eu peur de voir le doigt séparé en deux. Mais tout va bien, le doigt est toujours dans la bouche, et en entier. If estime que ce mouvement signifie que Mathieu accepte sa proposition. Il se relève lentement, et tend une main vers l’enfant. Il a vu Maxime faire ça, et il espère que Mathieu ne lui donnera pas la main qu’il ne cesse de goûter.

Heureusement, Mathieu attrape la main d'If de ses doigts secs. Celui-là marche en direction d’un objet dont il ne connaît ni le nom, ni l’utilité. Lorsqu’il se trouve à quelques centimètres de cet objet, il s’accroupit et l’attrape dans sa main libre. Ce geste peut sembler maladroit de prime abord, mais il est tellement empli d’assurance et de bonne volonté que cela ne se remarque pas.

- Tu sais ce que c’est, Mathieu ?

- C’est un caillou ! rigole l’enfant, comme s’il s’attendait à une blague.

- Oui, c’est ça, un caillou.

If est pensif. Il réfléchit si vite que même lui ne peut vous dire à quoi il pense.

- Est-ce que tu sais à quoi ça sert ?

- À taper dedans !

If remarque que Mathieu répond plus vite et avec plus d’entrain. Désormais, ses doigts mouillés sont à l’air libre et ses lèvres arborent un large sourire. Il est amusé. Au fond de lui, If croit entendre un mot. Merci. Merci, lui dit Maxime. Et continue comme ça. Suite à ces paroles réconfortantes, If se rappelle une histoire. Un conte qu’a raconté Maxime à ses enfants maintes fois. Et il en connaît chaque phrase.

- Non, Mathieu, ce n’est pas pour taper dedans. Dis-moi, est-ce que tu connais l’histoire de la famille chanceuse ?

Mathieu se laisse tomber sur le sol. If ne comprend pas ce geste. Il pense que c’était une action volontaire. Il observe ce petit bout d’homme qui le regarde, et qui attend. Il croit remarquer que l’enjouement dans ses yeux ne s’est pas encore volatilisé. If doit absolument le conserver. Il veut amuser cet enfant, sans vraiment comprendre d’où lui vient cette idée.

- Il était une fois, dans un royaume lointain, une famille. C’était une famille très pauvre, mais très heureuse. Ils vivaient uniquement grâce à la chance, c’est pour cela qu’on l’appelait la famille chanceuse. Dans leur petite maison perdue au milieu de la forêt, il y avait le papa, la maman, et deux enfants, une fille et un garçon. L’aîné des deux, le garçon, n’était plus un enfant. Il devait se débrouiller tout seul désormais. C’est pourquoi, un beau matin, son père décida de lui montrer le secret grâce auquel leur vie est si épanouie. « Ecoute mon garçon, lui dit-il, je vais t’emmener là où je vais chaque semaine. C’est notre secret familial qui se transmet uniquement de père en fils. C’est un lourd secret que tu ne dois révéler à personne, sais-tu pourquoi ? » Le fils hésita. Il lui répondit « Parce que c’est un secret ? », mais sa réponse sembla déplaire au père. « Non, mon fils, c’est parce que c’est un endroit qui ne doit pas tomber entre de mauvaises mains. Tu devras le protéger de tout ton cœur, quoi qu’il en coûte. C’est compris ? » Le fils sentit en lui une vague de peur l’envahir, mais il n’oserait l’admettre. C’était un homme maintenant. Il rassembla son courage et acquiesça.

If se surprend à sourire. C’est la première fois pour lui, et il ne comprend que partiellement ce phénomène. Il sent la conscience de Maxime le chatouiller dans un recoin de son crâne. Il sent l’excitation monter en lui, et semble s’amuser bien plus encore que Mathieu. Narrer, c’est toute une histoire !

- Sans dire un mot de plus, le père enfila un bandeau sur les yeux de son fils. « Pourquoi ? », demanda-t-il. « Quand tu auras compris la valeur de ce lieu, je te laisserai apprendre le chemin. Mais, en attendant, tu garderas ce bandeau sur tes yeux. » Le fils n’osait pas répondre. Il ne voulait pas se montrer insolent, alors qu’il était sur le point de prouver sa maturité. Ils marchèrent des heures durant. Quand ils arrivèrent en ce lieu si mystérieux, le fils obtint le droit de retirer son bandeau. Quelle surprise, quand il découvrit ce qui se trouvait face à lui, c’était une fontaine de diamants ! « Papa, demanda-t-il enfin, pourquoi restons-nous pauvres si nous avons une source à disposition ? » « C’est une excellente question, mon fils. Si nous nous élevons dans la richesse, un tas de gens deviendront jaloux et nous voudrons du mal. De plus, il faut que quelqu’un protège cette source pour aider les pauvres âmes égarées, et qu’y a-t-il à craindre d’une famille sans rien à donner ? » Mais le fils n’écoutait déjà plus. Il rêvait d’une vie dans une grande maison, à jouer au prince et à la princesse avec sa sœur, et à s’amuser avec tous les jouets qu’il souhaitait depuis son enfance.

« Une semaine plus tard, le père décida de retourner à la source pour acheter un peu de viande. De nouveau, il banda les yeux de son fils et le guida dans le labyrinthe. Seulement, cette fois-ci, le fils avait décidé d’agir. Il avait caché dans sa poche des petits cailloux qu’il semait sur son chemin au fur et à mesure qu’ils avançaient. Le soir-même, une fois la nuit tombée, le fils se faufila hors de la maison. A l’aide des petits cailloux parsemés, il trouva aisément son chemin jusqu’au bout. Une fois face à la source, il tendit le bras et parvint à attraper deux ou trois diamants. Satisfait, il rebroussa chemin et rentra chez lui. Malheureusement, il n’avait pas prévu ce qu’il allait se produire. Il s’arrêta brusquement, puisqu’il aperçut deux ombres se rapprocher de lui. D’instinct, il se cacha derrière un arbre, et observa. Les deux hommes étaient très laids, et possédaient tous deux un pistolet dans la main. Ils entrèrent dans la maison, et commencèrent à crier : « Donnez-nous tout votre argent ! ». Le fils, ne sachant que faire d’autre, fourra la main dans sa poche, mais les diamants avaient disparu ! Ils étaient sûrement tombés quand il s’était précipité, alors il courut en direction de la source. Mais, une fois arrivé au bout, il ne vit de source nulle part, seulement un petit bout de bois rouge.

« Il savait qu’il ne trouverait jamais la source seul, alors il empoigna la branche et se précipita dans la direction opposée. En un rien de temps, il était de retour chez lui. Les bandits étaient toujours là, et fouillaient dans tous les recoins de la maison. Le fils, se sentant soudainement très courageux, pointa le bâton vers eux, et pria pour que la chance lui sourit. Chez la famille chanceuse, si quelque chose doit se produire en leur faveur, on peut être sûr que ça arrivera un jour. Quand le fils ouvrit ses yeux, les bandits s’étaient volatilisés, et il était acclamé par sa famille. Il se dit que, finalement, sa vie était plus palpitante qu’elle en avait l’air.

- Mathieu, viens, on mange !

If se retourne précipitamment. C’est une grosse femme qui a crié, elle est sortie de la cabane bancale dans laquelle If se jure de ne jamais mettre un pied. Il tourne la tête et observe l’enfant. Celui-ci semble émerveillé par cette histoire, et a arrêté de sucer son pouce, puisqu’il a désormais la bouche grande ouverte.

- Merci, monsieur. C’était la meilleure histoire !

If sourit. Il a entendu Maxime, très satisfait d’avoir pu aider un enfant, et très fier d’If qui s’est véritablement surpassé. Cependant, If n’est pas très convaincu d’avoir fait une bonne action. En quoi faire sourire un enfant est-il une bonne chose ? pourquoi ces créatures semblent-elles plus importantes que les autres semblables de l’espèce humaine ? Qu’ont-ils de si particulier ? If continue de chercher la réponse, il n’entend pas Maxime chuchoter à son oreille. Malgré tout, il est heureux. C’était une bonne expérience.

Il regarde Mathieu s’éloigner, avec toujours autant de questions en tête.

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