Pour elle

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Depuis ce jour marquant, Naoki et moi avons pris l'habitude de rendre visite tous les jours à Yoko. Nous profitons des deux visites par jour qui nous sont accordées pour aller voir notre amie durant un quart d'heure le matin, avant l'école et encore quinze minutes le soir, après les cours.

Il nous arrive très souvent d'y croiser monsieur et madame Myoji, mais à part un signe de tête respectueux ou un "Bonjour" et "Au revoir" de temps à autre, nous ne nous disons pas grand chose.

J'apporte régulièrement des fleurs avec moi, que je laisse au chevet de la jeune fille. Lorsque je suis dans la salle, je me tiens toujours près du lit, que ce soit debout ou assise, afin de tenir la main de ma soeur de coeur. C'est malheureusement tout ce que je peux faire pour la soutenir dans cette épreuve, mais malgré toute notre bonne volonté et nos prières, il n'y a toujours aucun signe d'amélioration. Son état stagne désespérément, à tel point qu'on a l'impression qu'elle dormira pour toujours, sans jamais ni se réveiller, ni mourir.

C'est à la fois angoissant et soulageant.

Je suis toujours accompagnée de Naoki lors de mes visites à l'hôptital. À chaque fois, il se tient debout, de l'autre côté du lit, soit tout près de ce dernier, à contempler l'accidentée, soit dans un coin de la pièce, à regarder par la fenêtre. Dans les deux cas, il a un regard songeur et mélancolique, presque nostalgique. Il ne souffle pas un mot.

Seulement, au fil du temps, il ne m'accompagne plus qu'une fois dans la journée, puis juste un jour sur deux et ainsi de suite, jusqu'au jour où il cesse complètement de venir à l'hôpital.

Lorsque le lendemain, nous nous retrouvons au club de littérature, je lui demande :

- Naoki, est-ce que tout va bien ?

- Notre meilleure amie est presque morte alors évidemment, je me porte à merveille, me répond-t-il sur un ton à la fois ironique et agacé.

- Justement, tu n'es pas venu la voir hier, tes visites sont de plus en plus espacées, pourquoi ?

- À quoi bon continuer à y aller ? On sait tous les deux très bien comment ça va finir. Je ne veux pas la voir mourir sous mes yeux.

- Voyons, Naoki . . . C'est vrai qu'il est malheureusement possible qu'elle nous quitte à tout jamais, mais il y a encore de fortes chances pour qu'elle survive. Tant que son état ne se dégrade pas, il n'y a pas de raisons de se persuader que cela va mal finir . . .

- Arrête, Imaé. Cesse de me donner de faux espoirs. Cela fait déjà deux semaines qu'elle est dans le coma et il n'y a toujours aucun signe d'amélioration.

- Certains ne se réveillent pas avant plusieurs années, mais ils s'en sortent quand même.

- Et d'autres ne survivent pas plus de quelques jours.

- Naoki . . .

- Je sais, je suis pessimiste, mais c'est comme ça, tu ne peux rien y faire. Si tu veux, tu peux continuer à espérer pour Yoko, mais de mon côté, j'ai déjà cessé d'y croire.

Il tourne les talons et s'éloigne.

Depuis, Naoki se montre froid et distant envers tout le monde. Au club de littérature, il s'est remis à lire et écrire seul, dans son coin. Nous faisons toujours le trajet du retour ensemble, jusqu'à ce que nos chemins se séparent, mais il ne parle plus et répond de façon très évasive à mes questions. Il est clairement en train de se refermer sur lui-même. Cela m'inquiète.

*

La cloche sonne, il est dix-huit heures. La séance du club de littérature touche à sa fin. Comme les autres membres, je me lève et range mes affaires. Alors que je passe la bandoulière de mon cartable sur mon épaule, j'aperçois Naoki, debout dans un coin, un livre à la main. Je l'interpelle :

- Naoki, tu viens ? Nous devons y aller, maintenant.

- Oui, je sais. Je dois juste finir une chose, ce ne sera pas long. Tu dois rendre visite à Yoko, aujourd'hui, pas vrai ? Alors vas-y, tu ne dois surtout pas la faire attendre.

- Bon, d'accord. À bientôt !

- Oui, à bientôt.

Je quitte la salle et ferme la porte derrière moi. Cependant, au fur et à mesure que j'avance dans le couloir, un mauvais pressentiment nait en moi et s'accentue à chaque pas. Quelque chose ne va pas, mais quoi ?

Soudain, je réalise ! Mes yeux s'écarquillent alors d'horreur et je fais instantanément demi-tour ! Je cours à toute vitesse dans le couloir en priant pour qu'il ne soit pas déjà trop tard !

J'ouvre la porte de la salle du club à la volée. Je vois alors Naoki, toujours dans le coin où je l'ai laissé, mais cette fois, il est agenouillé à terre. En m'approchant de lui, je peux voir des gouttes de sang tâcher le sol ! Je me précipite alors vers mon ami et l'attrape par les épaules en m'exclamant :

- Naoki ! Naoki, est-ce que ça va ?

Il lève la tête vers moi et je peux voir de l'étonnement dans ses yeux :

- Imaé ? Qu'est-ce que tu fais là ? Je te croyais partie.

En baissant les yeux, je découvre avec effroi qu'il est blessé au poignet ! Je lui demande alors :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? C'est toi qui t'es fait ça, pas vrai ?

- Oui, c'est moi.

- Tu t'es ouvert la veine ? ! Enfin, tu sais pourtant que c'est très dangereux ! Naoki . . . C'était une tentative de suicide, n'est-ce pas ?

- Non, c'est un suicide. Je veux mourir ce soir.

- C'est hors de question ! Je ne te laisserai pas faire !

- Tu ne peux pas m'en empêcher ! Tu n'as pas le droit ! C'est ma vie, je suis libre d'en faire ce que je veux !

- C'est justement parce que c'est ta vie que tu dois en prendre soin. J'ai promis de te sauver, le moment est venu alors c'est ce que je vais faire !

Je l'attrape fermement par le poignet et l'assied sur une chaise. Je m'approche ensuite de la petite boite de premier secours, qu'on peut trouver dans presque toutes les pièces de l'école et l'ouvre pour y chercher du désinfectant, une compresse et des bandages.

Je reviens ensuite vers Naoki et entreprend de soigner sa blessure. Ce dernier rétorque :

- Arrête ! Puisque je te dis que je ne veux pas être guéri !

- Pourquoi, Naoki ? Il y a bien une raison qui t'a poussé à le faire aussi précipitament, non ?

- L'accident de Yoko m'a fait ouvrir les yeux sur une chose : n'importe qui peut partir, à n'importe quel instant. Elle était jeune, joyeuse et en bonne santé. Personne ne pensait une seule seconde qu'elle pourrait se retrouver aussi soudainement dans un tel état et, pourtant, c'est le cas. C'est donc une vérité pour tout le monde : personne n'échappe jamais à la mort, même s'il semble encore très loin d'elle. Je ne veux pas voir tous mes proches se faire emporter un par un sous mes yeux. Je ne veux plus souffrir dans ce monde cruel, voilà tout !

- Et si elle se réveillait et que tu n'étais plus là ? Que se passera-t-il ? Que penses-tu qu'elle ressentira ? Elle se sentira juste abandonnée par l'un de ses meilleurs amis ! Tu y penses à ça ? Je sais que c'est dur, mais il faut que tu tiennes le coup ! Si tu ne le fais ni pour toi, ni pour moi, fais le pour elle ! S'il te plait, Naoki.

Nos regards restent plongés l'un dans l'autre durant plusieurs secondes, avant qu'il ne soupire :

- C'est bon. Je vais le faire . . . mais uniquement pour elle.

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