Sang

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Bien qu'Halloween soit une fête d'origine occidentale, elle a été introduite au Japon depuis plusieurs décennies à des fins commerciales et économiques et, aujourd'hui, elle est fêtée par la majorité des japonais, surtout dans les grandes villes.

Les grandes places, avenues et rues principales, sont donc décorées de citrouilles et des araignées et chauves-souris en plastique ornent les devantures des magasins. Toutes ces décorations, éclairées par la lumière des lampadaires et feux de signalisation, donnent à notre ville une ambiance particulière que j'apprécie beaucoup.

Je me tourne vers Naoki, qui marche silencieusement à mes côtés. Il n'a pas dit un mot depuis que nous avons repris notre marche. Je lui demande :

- Tu m'en veux pour la farce de tout à l'heure ?

- Non. Ça m'a un peu embêté que tu ris à mes dépends mais si je t'en voulais, je ne serai pas en train de te raccompagner.

- Tant mieux, alors.

Après quelques secondes, je remarque :

- C'est le premier Halloween qu'on vit ensemble.

- Oui, c'est vrai.

- Il faut donc le fêter dignement. Et si on allait faire le porte-à-porte pour récupérer des bonbons ?

- C'est une activité pour les enfants, nous ne sommes plus des enfants. À notre âge, et sans déguisement en plus, on passerait juste pour deux gratteurs.

- Tant que nous ne sommes pas encore adultes, nous sommes des enfants, rétorqué-je. Je ne pense pas qu'on passera pour des gratteurs, mais plutôt pour deux amis qui veulent fêter ensemble Halloween. Après tout, c'est ce que nous sommes pas vrai ?

- Hmmm . . . répond-t-il, sceptique.

- Tu sais, s'il y a bien une chose sur laquelle ceux qui me connaissent s'accordent, c'est que je suis une véritable tête de mule ! Et l'autre chose que je sais, c'est que tu ne laisseras jamais une jeune fille sans défense seule dans les rues à cette heure.

- Attends, tu essayes de me faire un chantage émotionnel, là ?

- Non, je te dis juste ce que je sais, répondé-je, un sourire malicieux aux lèvres.

Il pousse un long soupir en déclarant :

- Bon, d'accord, je viens avec toi . . . Mais c'est seulement pour respecter ma promesse de te raccompagner chez toi.

- Super ! Merci beaucoup, Naoki !

- Il n'y a pas de quoi . . . Par contre, je maintiens qu'on ne sera pas du tout crédibles sans costumes.

- Oh, ne te fais de soucis pour ça, j'ai la solution.

Je fouille dans mon sac pour en sortir mon baume à lèvres rouge. J'ouvre la petite boîte circulaire et trempe mon doigt dans la matière grasse. Je m'approche ensuite de Naoki pour lui en appliquer sur le visage et le cou. Ce dernier proteste :

- Hey ! Qu'est-ce que tu fais, Yoko ? !

- Je te maquille pour achever ton déguisement.

- Quel déguisement ?

- Avec nos vêtements tâchés de boue et ces fausses tâches de sang, on ressemble à deux zombies, déclaré-je en m'affublant également du baume.

- C'est vrai, tu ressembles à un zombie comme cela, constate-t-il.

- Toi aussi !

Je pouffe et il sourit.

Nous nous remettons en route, en nous arrêtant aux portes de chaque maison dont émerge de la lumière. Quelques rares personnes nous répondent qu'elles n'ont malheureusement pas de friandises à nous offrir, mais la plupart nous en servent généreusement à tel point qu'au bout d'une vingtaines d'arrêts, nos sacs sont déjà pleins à craquer de sucreries !

C'est le moment que je choisis pour dire à mon ami :

- Alors ? Tu vois bien que personne ne nous a pris pour des gratteurs !

- Oui, d'accord, j'admets que c'était une bonne idée. Mais maintenant il faut rentrer, sinon nos parents vont s'inquiéter.

- Tu as raison, rentrons. Si nous passons par là, nous arriverons plus vite chez moi, déclaré-je en désignant du doigt une petite ruelle.

Nous nous y engouffrons donc. Elle est étroite et mal éclairée, mais étrangement, cela ne m'effraye pas. C'est sans doute parce que je sais que je ne suis pas seule. Seulement, après seulement une dizaine de mètres, je me fige net en remarquant quelque chose sur le sol. Naoki me demande donc :

- Qu'y a-t-il ? Pourquoi t'arrêtes-tu ?

- Regarde . . . dis-je en pointant d'une main légèrement tremblante le béton du trottoir.

Il se met à ma hauteur et se penche un peu en avant pour mieux voir :

- On dirait . . .

Il tourne son visage vers moi et nos regards se croisent. Nous nous regardons dans les yeux pendant de longues secondes, avant que je ne parvienne à articuler :

- On dirait . . . du sang . . .

- Oui, mais ce n'est peut-être pas ça, dit-il pour me rassurer.

- Oui, mais c'est peut-être ça, aussi, rétorqué-je.

- Raison de plus pour nous dépêcher, dit-il en reprenant sa marche.

Je lui emboite très vite le pas car je n'ai aucune envie de rester seule ici. Seulement, au fur et à mesure de notre progression, une sensation de malaise monte en moi. J'ai l'impression que nous ne sommes suivis . . .

Je n'ose pas me retourner et chuchote à Naoki :

- Est-ce que tu ressens la même chose que moi ?

- Si tu parles de la sensation d'être suivis, alors oui.

- Qui est-ce que tu penses que c'est ?

- Je n'en ai aucune idée.

- C'est cela le plus effrayant, n'est-ce pas ? Le fait de ne pas savoir . . .

- Tu as peur ?

- Juste un peu, avoué-je. Pas toi ?

- Disons que je préfère me donner la mort par moi-même.

- Sérieusement ? Ce n'est pas le moment de sortir ce genre de réflexions !

- Tu voulais savoir ce que je ressentais, je te l'ai juste dit.

- Tu m'as plutôt dit ce que tu pensais !

- Chut !

- Quoi ?

- Il est juste derrière nous, cette fois, j'en suis sûr.

Un frisson me parcourt la colonne vértébrale. Ses mots viennent juste de me glacer le sang !

- Qu'est-ce qu'on fait ?

- Il faut d'abord être sûrs de ce qui nous poursuit . . . Tu as un baume sur toi. Est-ce que tu n'as pas un miroir aussi, par hasard ?

- Si, j'ai un petit miroir de poche.

Je fouille à nouveau dans mon sac jusqu'à ce que ma main se referme sur l'objet désiré. Je l'en extirpe et le tend à Naoki. Ce dernier le prend, l'ouvre et le lève afin de pouvoir observer le reflet de ce qui se trouve derrière nous. Je le vois plisser les yeux, se concentrant sur ce que le miroir lui permet de voir. Ses yeux s'écarquillent de surprise et il se retourne brusquement !

Par réflexe, je fais de même et découvre alors . . . Un adorable petit chien !

Ce dernier marche derrière nous mais lorsqu'il se rend compte que nous nous sommes arrêtés pour l'observer, il s'assied et nous fixe en retour, la langue pendante. Naoki soupire de soulagement et déclare :

- Nous avons eu peur pour rien. Ce n'est qu'un chien.

- Oui, et il est vraiment trop mignon !

Je m'accroupis face au quadrupède et tends doucement ma main vers lui. Il la hume avant de la lécher. Sa langue humide me chatouille et je ris. Le jeune brun se penche à son tour pour caresser son pelage crème. Il constate alors :

- Il est sale et n'a pas de collier. Ce doit être un chien errant.

- Le pauvre ! Il semble si seul !

- Tu n'as qu'à le ramener chez toi et le garder, me propose-t-il.

- J'aurai adoré ! Seulement, mes parents ne voudront pas. Nous vivons en appartement et ils disent toujours que les animaux ne sont pas faits pour vivre dans ce type de logement.

- Je vois. De mon côté, j'ai déjà un chien alors je ne pense pas que mes parents accepteront d'en garder un deuxième, c'est trop de responsabilités. Néanmoins, je ne crois pas qu'ils s'opposeront à le garder le temps d'une nuit. Ensuite, je l'amènerai au refuge pour animaux afin qu'ils lui trouvent un nouveau maitre.

- Bonne idée ! Et, surtout, veille bien sur lui !

- Oui, ne t'en fais pas, je sais m'occuper d'un chien, dit-il en prenant l'animal dans ses bras. Allons-y, je dois encore te ramener chez toi.

- Tu es vraiment quelqu'un de bien, Naoki ! Tu penses toujours aux autres et te montre généreux envers autrui. C'est ce que j'apprécie chez toi.

- Ne dis pas n'importe quoi, je suis loin d'être quelqu'un de bien !

- Alors, nous avons des façons bien opposées de voir le monde !

- Allez, remettons-nous en route, sinon je ne rentrerai jamais chez moi !

- Bon, d'accord.

Je lui emboite le pas en riant.

*

Je me tourne et me retourne dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil. Je viens de repenser à ma journée, comme je le fais à chaque fois avant de m'endormir, et un détail me tracasse : le chien ne présentait aucune blessure ou cicatrice, mais, dans ce cas, d'où vient le sang que nous avons vu plus tôt sur le trottoir ?

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