Vos cheveux rouges

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La porte.

Quoi encore ? Cassez-vous ! Je ne veux plus voir personne…

– Bonjour, monsieur Blanchard !

Ma colère se dissipe dans les boucles d’une chevelure rouge que je croyais à jamais perdue.

– Sylvie ?

– Ben oui, je viens vous faire un petit coucou, c’est ma pause-déjeuner.

– Ah, c’est gentil à vous…

Je me redresse. Je souris bêtement. Je me sens tout d’un coup comme un célibataire bordélique qui vient d’ouvrir la porte de chez lui à une ex qu’il n’attendait pas, pour qui il en pincerait toujours et qui est tout gêné de se présenter dans une tenue négligée.

– Vous avez l’air d’aller beaucoup mieux, on dirait… Je suis très contente pour vous !

– Merci Sylvie, réponds-je en retrouvant ma contenance. Moi aussi je suis vraiment content de vous voir.

– J'ai croisé Isabelle tout à l'heure, il paraît que vous avez marché ce matin ?

– Oui, c’est vrai. On ne peut pas dire que je sois encore très stable, mais c’est déjà ça.

– Oui, c’est bien… Écoutez, je suis désolé de ne pas avoir pu vous accompagner pour votre transfert, mais j’avais pris mon après-midi…

– Non Sylvie, vous n’avez pas à être désolé, après tout ce que vous avez fait pour moi ! C’est plutôt moi qui m’excuse pour l’autre matin… Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’étais… perturbé après le réveil…

Comme un mec qui a perdu son corps, comme un mec qui a perdu sa vie. Dans un flash je revois l’expression de Nelly que je croyais serrer dans mes bras et que je ne voulais pas lâcher.

– Y’a pas de mal, monsieur Blanchard, je comprends… J’ai vu à quel point vous étiez perdu, j’ai vraiment eu de la peine pour vous, vous savez.

À quoi bon lui dire la vérité, maintenant que tout le monde est content de retrouver Rémi Blanchard. Autant qu’elle en garde un bon souvenir, pas vrai Stan ?

– Vous devez être content de retrouver votre femme et vos enfants, maintenant.

Je rassemble toute la dissimulation dont je suis capable pour composer un sourire crédible par-dessus mon abattement.

– Oui, c’est vraiment super… Mais c’est surtout pour eux que ç’a été très dur, finalement. Moi, je dormais…

– C’est vrai, mais on ne sait jamais ce qu’il se passe là-dedans pendant ce temps-là, remarque-t-elle en tapotant un doigt sur sa tête.

– Qui sait ?...

– Enfin, l’important c’est que vous puissiez reprendre une vie normale et…

Le bruit de la porte qui s’ouvre nous interrompt.

– Ça doit être le repas…

– Bonjour monsieur, je vous apporte le déjeuner.

– Bonjour ! Laissez, je vais lui porter, dit Sylvie en prenant le plateau de l’aide-soignante. Je me suis occupé de ce monsieur pendant cinq semaines en réa, j’ai l’habitude, explique-t-elle avec le sourire. Surtout qu’il est réveillé maintenant, alors j’en profite un peu !

– Ah, merci… Bon appétit.

L’aide-soignante s’éclipse et Sylvie installe la tablette avec le plateau-repas devant moi.

– Alors aujourd’hui, le chef vous propose… des pâtes au jambon, annonce-t-elle fièrement en soulevant le couvercle en plastique censé garder le plat au chaud.

– Ah bah on est sauvé ! m’exclamé-je, soulagé. Ça ne pourra pas être pire que le bœuf d’hier soir, de toute façon.

– Ah oui ?

– Non, Sylvie, je ne préfère pas revenir sur cet épisode… Encore heureux qu’il y ait toujours un yaourt !

– Je sais, c’est pas top, mais vous retrouverez bientôt les bons petits plats de votre femme.

– Oui…

Un silence.

– Bon bah je vais vous laisser manger vos pâtes tranquillement, alors, dit-elle en s’éloignant de moi. Si je ne vous revois pas avant votre départ, je vous souhaite plein de bonheur avec votre famille, monsieur Blanchard. Vous vous êtes accroché à la vie, vous la méritez, alors profitez-en !

Mon cœur se serre. Je voudrais lui dire. Je voudrais qu’elle reste.

– Merci beaucoup, Sylvie. Pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je me suis peut-être accroché, mais c’est aussi grâce à vous que je suis là. Alors, merci…. Et vous direz merci aussi à l’équipe de ma part.

– Oui, je n’y manquerai pas, c’est gentil.

– Au revoir, monsieur Blanchard, dit-elle en marchant vers la porte.

– Heu, Sylvie !

– Oui ?

– Je voulais juste vous dire… J’adore vos cheveux rouges.

– Oh… merci.

Ses joues s’empourprent involontairement et son sourire gêné disparaît derrière le mur de la chambre. Au revoir, Sylvie…

Je respire quelques instants en silence. L’afflux de sang dans mon visage se résorbe, mais le départ de l’infirmière créé une nouvelle boule de vide en moi. Tu t’accroches à la vie, Stan ?

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