Viviane et Raymond

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Un bruit de couloir. J’entends la porte s’ouvrir, mais je ne la vois pas d’où je suis installé. Mon cœur se met à battre, comme si…

– Allez-y, il est réveillé.

Je reconnais la voix de Selma en retrait. Une silhouette.

– Regarde, Raymond, il est réveillé… Rémi…

La mère de Rémi… Cette pensée n’a pas le temps d’éclore qu’elle se presse vers moi, les yeux plein de larmes et je ne peux retenir les miennes dans son étreinte maternelle…

– Rémi, Rémi, gémit-elle.

Je dois le dire, mais ça ne veut pas sortir… Une boule dans la gorge… Un coup de poignard dans le cœur… Et je pense à celle que j’aimerais voir et serrer et que j’aimerais appeler…

– … Maman ! finis-je par souffler.

Mon âme hurle tandis que je presse le corps de cette femme qui n’est pas ma mère contre le mien et que nos larmes de joie et de chagrin se mélangent…

– Doucement, Viviane, laisse-le un peu respirer quand même.

Viviane et pas Sylvianne. Le père de Rémi s’approche de moi à son tour de l’autre côté du lit. Il n’a jamais été très démonstratif, mais je vois qu’il a les yeux humides quand il se penche vers moi.

– Salut mon grand, me dit-il en me faisant une bise sur chaque joue… Tu nous as fait peur quand même, hein, dit-il en me prenant la main.

– Bonjour papa…

Papa. Maman. J’essaye de leur sourire en essuyant mes yeux, je serre leurs mains, heureux de les voir, malgré tout, mais l’émotion déborde… Et si c’était la seule mère et le seul père que j’avais dans ce monde de fou ? Mon Dieu… Le chagrin me submerge, mais je dois me calmer, je n’ai pas le choix. Je dois être Rémi… Faire comme Rémi… Heureux de voir mes parents, morts d’inquiétude pendant cinq semaines et qui me retrouvent enfin. Je suis Rémi. Je ne suis pas Rémi. Je suis Rémi…

– C’était long tu sais, mon chéri… Mais tu es bien là, tu es revenu, c’est toi !...C’est bien toi, répète-t-elle pour se convaincre qu’elle ne rêve pas, en s'essuyant à nouveau les yeux.

L’émotion inonde la pièce. Même le Nil est en crue dans les yeux de Selma qui se tient silencieuse, sur le mur en face de moi, à côté du plateau avec le gobelet de thé et les madeleines.

– Ça va, dis-moi ? T’as pas mal ? finit par demander Viviane.

– Non, ça va, maman…

J’hésite à parler, comme si j’avais peur que ce ne soit plus la voix de Rémi qui allait sortir, mais la mienne… Tant pis, je n’ai pas le choix.

– Tu sais, maman, pour moi, j’ai l’impression qu’il ne s’est passé qu’une seconde quand je me suis réveillé. Je dormais bien, ajouté-je en souriant.

L’illusion vocale est si parfaite que j’en ai le vertige.

– Hé bien pour nous, c’était très long, demande à ton père… C’était dur, tu sais.

Le père de Rémi acquiesce en silence.

– Excusez-moi, en profite Selma… Je vous laisse le thé et les madeleines ici ?

– Oui, merci beaucoup.

– Je vous laisse, à plus tard.

– Ah, tu allais manger, Rémi ?

– Heu, c’est juste un goûter, en fait. Je n’ai pas pu manger grand-chose depuis mon petit-déjeuner.

– Dis-donc, elles sont plutôt mignonnes les infirmières ici, me glisse le père de Rémi, avec un sourire complice.

– Raymond ! Tu crois que c’est le moment ? Tiens, mon chéri, je t’installe le plateau… Il faut que tu reprennes des forces, tu as vu comme tu as maigri. Même Clarisse n’en revenait pas… Il va falloir qu’elle te nourrisse bien, à la maison.

Clarisse ? Clarisse, pas Clara. Clarisse. Et Nelly ? Non, pas maintenant…

– Maintenant c’est moi qui vais devoir t’attendre, sur le vélo, hein !

– Oui, bah pour le vélo, on verra plus tard, Raymond. Pour le moment il faut qu’il mange… Tiens, mon chéri, dit-elle en me tendant la madeleine qu’elle a retirée du sachet en plastique.

Le vélo… Rémi me parlait parfois de ses sorties en vélo le dimanche avec son père… Moi qui n’ai jamais aimé le cyclisme de route, j’ai soudain une vision d’horreur, à devoir me taper des centaines de bornes sur un tape-cul en tirant la langue derrière Raymond… Non… Je me concentre sur la madeleine et sur mon thé. Encore heureux que le palais de Rémi semble apprécier ce gâteau… Vu l’état actuel des choses, c’est ce qui se rapproche le plus d’un petit bonheur.

– Et dans la tête, comment tu te sens, mon grand ? me demande le père de Rémi.

Je sens la madeleine se bloquer à mi-chemin entre ma bouche et mon estomac. Si ça va dans ma tête ?

– Oh, l’embête pas tout de suite avec ça, Raymond, laisse-le manger tranquillement.

– Mais je ne l’embête pas, Viviane, c’est important quand même. Le docteur a dit qu’il pourrait avoir des séquelles…

Comme elle se retourne vers moi, le visage de la mère de Rémi se décompose à mesure que l’inquiétude creuse chacune de ses rides. Les voilà tous les deux suspendus à mes lèvres…

Alors, tu vas leur dire, Stan ?

Leur dire que je ne suis pas Rémi, leur fils chéri qui a survécu à l’accident et qui s’est réveillé du coma ? Leur dire que je suis Stanislas Rousseau, le super pote de Rémi depuis la fin du collège, même s’il y a toutes les chances qu’ils n’aient jamais entendu ce nom de leur vie ? …Sauf si le docteur Frankin leur a dit… Alors ? C’est maintenant ou jamais, Stan. Je ne sais pas… Je ne peux pas…

– Heu… Ça va, mais… commencé-je, au supplice.

Ça va ? Mais qu’est-ce que tu fous, Stan ? Tu crois qu’ils ne verront rien ?

C’est juste le temps que Rémi revienne, sinon…

– … Ça s’embrouille un peu dans ma tête, en fait… L’accident…

Rien d’autre ne sort de ma bouche. Je voudrais avoir l’air rassurant, mais mon visage se décompose malgré moi.

– T’es encore tout chamboulé, mon chéri, c’est normal, me console Viviane en me serrant le bras, les yeux luisants d’amour maternel… Tu vois, Raymond, c’est encore trop tôt.

L’étreinte de cette mère apaise quelque peu mon martyre. J’avale une gorgée de thé pour faire descendre le gâteau. Je regagne le contrôle de mes émotions. Je suis Rémi, me rappelé-je… Raymond me dévisage, énigmatique.

– À vrai dire, je ne me souviens même pas de ce qu’il s’est passé… Un instant, je roulais et la seconde d’après, je me réveille avec des tuyaux partout, repris-je avec un peu plus d’assurance.

– Mon chéri…

– Mais on t’a expliqué ce qu’il s’est passé, non ?

– Le docteur Frankin m’a dit que j’avais été renversé par un chauffard, mais…

– Un criminel, me coupe Raymond avec un éclair de fureur dans les yeux.

– Tu sais qu’ils ne l’ont pas encore attrapé, ce salaud…

– Comment ça, maman ?

– Raymond, explique-lui.

– Cet enfoiré t’a renversé et il ne s’est même pas arrêté… Tu te rends compte ?

Je digère cette nouvelle et je sens monter ma propre rage pour ce connard, ce lâche qui a failli tuer mon ami et qui s’est barré.

– Mais on l’a pas retrouvé ? Il n’y avait pas de témoin ou de caméra ou quoi que ce soit ?

– Hé non… Il était encore trop tôt, c’était samedi matin.

– Tu as eu de la chance tu sais, mon chéri. Il y a une dame qui avait sa fenêtre ouverte et qui a entendu le bruit du choc. Elle a juste eu le temps d’apercevoir une voiture noire tourner au coin de la rue. C’est elle qui a appelé les secours. Si elle n’avait pas été là…

Je vois de nouveau les larmes mouiller les yeux de la mère de Rémi.

– C’est bon, c’est bon, Viviane… Il est là, maintenant.

– Putain, j’y crois pas, murmuré-je, en trouvant refuge dans la colère. Alors il n’y a rien à faire ? Il va s’en tirer comme ça ? m’écrié-je.

– Bah… La police a mis des annonces un peu partout pour voir si quelqu’un avait vu quelque chose, on a sonné chez tous les habitants du quartier avec ta mère, mais pour l’instant, il n’y a rien. Ils continuent de chercher aussi, avec leurs caméras deux rues plus loin, pour voir s’ils repèrent un suspect, mais à mon avis…

– Enfin, l’important c’est que tu sois réveillé, hein Raymond ?... Tiens, Rémi, mange ta deuxième madeleine.

– Merci maman…

– Mais tu te souviens de Clarisse et des enfants quand même ? me demande Raymond, en proie à un nouveau doute.

– Mais oui, enfin papa ! rétorqué-je la bouche pleine.

Mon agacement n’est pas feint. Je veux qu’ils me croient ! Je me prends au jeu… Le docteur Frankin a dû leur raconter pour Nelly ou Clara, je le savais.

– Tiens, un appel, dit la mère de Rémi en cherchant son portable dans son sac. Si ça se trouve, c’est Clarisse, justement.

– Et tu sais encore compter ?

– Oui, papa.

– Et ton boulot, tu t’en souviens ?

– Papa, c’est bon !

Je fais l’offusqué, mais une nouvelle angoisse me foudroie… Le boulot de Rémi, putain ! Il faisait des trucs financiers super balèzes… Je n’ai pas le temps de céder à la panique que Viviane me tend son téléphone en souriant.

– Tiens, c’est pour toi, c’est une surprise.

Je me sens bombardé de partout… Juste avant de coller le portable sur mon oreille, j’aperçois les premières lettres du nom de l’appelant « Mag… ».

– Salut !

La sœur de Rémi. Ouf. Au moins je me souviens d’elle.

– Salut Magali !

– Alors, ça y est, t’es réveillé ?

– Bah ouais, pourquoi, j’ai dormi ?

– Ah, très drôle… On s’inquiétait pour toi, tu sais. Je suis contente de t’entendre, Rémi.

– Moi aussi…

C’est vrai que je suis content d’entendre cette voix familière, venue d’un lointain passé… Une fille dont j’étais très proche fut un temps, et même que ça faisait râler Rémi, et que j’ai perdue de vue depuis plusieurs années…

Fais gaffe, Stan, tu parles à ta sœur !

– … Mais comme je disais à papa et maman qui sont là, pour moi, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Je faisais du vélo et pouf je me réveille… Ça fait bizarre, j’ai encore du mal à recoller les morceaux, en fait, ajouté-je en regardant le père de Rémi. Je suis assez fatigué, mais petit à petit, ça revient.

– Et tu as vu Clarisse et les enfants ?

– Oui, mais c’était juste au réveil, je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait.

– Tu leurs feras un gros bisou de ma part, hein. C’était super dur, pour eux.

– Oui, je me doute…

– Bon, je vais te laisser, je dois y aller. On se reparle plus tard ?

Dommage, j’aurais aimé prolonger cette conversation avec Magali. C’est tellement plus simple qu’ici, face à Viviane et Raymond… Est-ce qu’elle me croirait si je lui disais la vérité ?... Est-ce que Rémi l’appelait par un petit nom ? Je ne sais plus. Tant pis.

– Ok, ça marche. Bisous, Mag.

– Bisous.

Je redonne le portable à Viviane.

– Elle voulait venir te voir, tu sais, mais c’était difficile avec Lucille.

– Ouais, je comprends…

Je ne comprends rien du tout, en fait. Je bluffe. Lucille ?

– Oui, bah on peut quand même se débrouiller pour voyager, même avec un bébé de trois mois, remarque Raymond.

Le souvenir de Rémi évoquant Mag enceinte il y a un paquet de mois me revient lentement. Merde, il ne m’avait pas dit qu’elle avait eu son petit. Ou alors je ne m’en souviens pas.

– Ouais, enfin, tu sais, papa, ça n’aurait pas changé grand-chose. Je n’entendais rien de toute façon… Et la petite va bien ?

– Pas la peine de prendre sa défense, Rémi, commence Raymond.

– Oui, ça va, mais il paraît qu’elle pleure beaucoup, intervient Viviane.

– …Elle aurait quand même pu faire un effort, c’est pas l’autre bout du monde non plus, l’Angleterre.

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